Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Miracles

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Henri Plon (p. 467-468).
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Miracles. Un certain enchanteur abattit une bosse en y passant la main. ; on cria au miracle !… La bosse était une vessie enflée[1]. Tels sont les miracles des charlatans. Mais parce que les charlatans font des tours de passe-passe qui singent les faits surnaturels proprement appelés miracles (et il n’y a de miracles que ceux qui viennent de Dieu), il est absurde de les nier. Nous vivons entourés de miracles qui ne se peuvent expliquer, quoiqu’ils soient constants. Nous ne pouvons parler ici que des faux miracles, œuvre de Satan, ou fourberies des imposteurs qui servent ainsi la cause de l’esprit du mal. Ce qui est affligeant, c’est que les jongleries ont souvent plus de crédit chez les hommes fourvoyés que les faits extraordinaires dont la vérité est établie, comme les superstitions ont plus de racines que les croyances religieuses dans les têtes détraquées[2].

On raconte l’anecdote suivante pour prouver que les plus grandes absurdités trouvent des partisans. Deux charlatans débutaient dans une petite ville de province, au temps où Cagliostro et d’autres personnages importants venaient de se présenter à Paris à titre de docteurs qui guérissaient toutes les maladies. Ils pensèrent qu’ils fallait quelque chose de plus relevé pour accréditer leur savoir-faire. Ils s’annoncèrent donc comme ayant le pouvoir de ressusciter les morts ; et, afin qu’on n’en pût douter, ils déclarèrent qu’au bout de trois semaines, jour pour jour, ils rappelleraient à la vie, publiquement, dans le cimetière indiqué, le mort dont on leur montrerait la sépulture, fût-il enterré depuis dix ans. Ils demandent au juge du lieu qu’on les garde à vue pour s’assurer qu’ils ne s’échapperont pas, mais qu’on leur permette en attendant de vendre des drogues et d’exercer leurs talents. La proposition paraît si belle qu’on n’hésite pas à les consulter. Tout le monde assiège leur maison ; tout le monde trouve de l’argent pour payer de tels médecins. Le grand jour approchait. Le plus jeune des deux charlatans, qui avait moins d’audace, témoigna ses craintes à l’autre, et lui dit : — Malgré toute votre habileté, je crois que vous nous exposez à être lapidés ; car enfin vous n’avez pas le talent de ressusciter les morts. — Vous ne connaissez pas les hommes, lui répliqua le docteur, je suis tranquille.

L’événement justifia sa présomption. Il reçut d’abord une lettre d’un gentilhomme du lieu ; elle était ainsi conçue : « Monsieur, j’ai appris que vous deviez faire une grande opération qui me fait trembler. J’avais une méchante femme ; Dieu m’en a délivré ; et je serais le plus malheureux des hommes si vous la ressuscitiez. Je vous conjure donc de ne point faire usage de votre secret dans notre ville, et d’accepter un petit dédommagement que je vous envoie, etc. » Une heure après, les charlatans virent arriver chez eux deux jeunes gens qui leur présentèrent une autre gratification, sous la condition de ne point employer leur talent à la résurrection d’un vieux parent dont ils venaient d’hériter. Ceux-ci furent suivis par d’autres, qui apportèrent aussi leur argent pour de pareilles craintes, en faisant la même supplication. Enfin le juge du lieu vint lui-même dire aux deux charlatans qu’il ne doutait nullement de leur pouvoir miraculeux, qu’ils en avaient donné des preuves par une foule de guérisons ; mais que l’expérience qu’ils devaient faire le lendemain dans le cimetière avait mis d’avance toute la ville en combustion ; que l’on craignait de voir ressusciter un mort dont le retour pourrait causer des révolutions dans les fortunes ; qu’il les priait de partir, et qu’il allait leur donner une attestation comme quoi ils ressuscitaient réellement les morts. Le certificat fut signé, paraphé, légalisé, dit le conte ; et les deux compagnons parcoururent les provinces, montrant partout la preuve légale de leur talent surnaturel….

  1. Voyez, dans les Légendes des sept péchés capitaux, la légende de Tachelin.
  2. On contait devant M. Mayran qu’il y avait une boucherie à Troyes où jamais la viande ne se gâtait, quelque chaleur qu’il fit. Il demanda si dans le pays on n’attribuait pas cette conservation à quelque chose de particulier. On lui dit qu’on l’attribuait à la puissance d’un saint révéré dans l’histoire. « Eh bien, dit M. Mayran, je me range du côté du miracle, pour ne pas compromettre ma physique. » Ce saint est saint Loup.