Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Muraille du diable

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Henri Plon (p. 483).
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Muraille du diable. C’est cette fameuse muraille qui séparait autrefois l’Angleterre de l’Ecosse, et dont il subsiste encore diverses parties que le temps n’a pas trop altérées. La force du ciment et la dureté des pierres ont persuadé aux habitants des lieux voisins qu’elle a été faite de la main du diable ; et les plus superstitieux ont grand soin d’en recueillir jusqu’aux moindres débris, qu’ils mêlent dans les fondements de leurs maisons, pour leur communiquer la même solidité. Elle a été bâtie par l’empereur Adrien. Un jardinier écossais, ouvrant la terre dans son jardin, trouva une pierre d’une grosseur considérable, sur laquelle on lisait, en caractères du pays, qu’elle était là pour la sûreté des murs du château et du jardin, et qu’elle y avait été apportée de la grande muraille dont elle avait fait autrefois partie ; mais qu’il serait aussi dangereux de la remuer qu’il y aurait d’avantage à la laisser à sa place. Le seigneur de la maison, moins crédule que ses ancêtres, voulut la faire transporter dans un autre endroit, pour l’exposer à la vue, comme un ancien monument. On entreprit de la faire sortir de terre à force de machines, et on en vint à bout, comme on l’aurait fait d’une pierre ordinaire. Elle demeura sur le bord du trou, pendant que la curiosité y fit descendre le jardinier, plusieurs domestiques, les deux fils du gentilhomme, qui s’amusèrent quelques moments à creuser encore le fond. La pierre fatale, qu’on avait négligé apparemment de placer dans un juste équilibre, prit ce temps pour retomber au fond du trou, et écrasa tous ceux qui s’y trouvaient. Ce n’était là que le prélude des malheurs que devait causer cette pierre. La jeune épouse de l’aîné des deux frères apprit ce qui venait d’arriver. Elle courut au jardin ; elle y arriva dans le temps que les ouvriers s’empressaient de lever la pierre, avec quelque espérance de trouver un reste de vie aux infortunés qu’elle couvrait. Ils l’avaient levée à demi, et l’on s’aperçut en effet qu’ils respiraient encore, lorsque l’imprudente épouse, perdant tout soin d’elle-même, se jeta si rapidement sur le corps de son mari, que les ouvriers, saisis de son action, lâchèrent malheureusement les machines qui soutenaient la pierre et l’ensevelirent ainsi avec les autres. Cet accident confirma plus que jamais la superstitieuse opinion des Écossais :on ne manqua pas de l’attribuer à quelque pouvoir établi pour la conservation du mur d’Écosse et de toutes les pierres qui en sont détachées.