Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Origines du monde

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Henri Plon (p. 508-510).
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Origines du monde. Tout s’accorde pour reconnaître au monde une origine peu éloignée. L’histoire, aussi bien que la sainte Bible, ne nous permet guère de donner au monde plus de six mille ans ; et rien dans les arts, dans les monuments, dans la civilisation des anciens peuples, ne contredit l’Écriture sainte. Racontons toutefois les rêveries des conteurs païens. Sanchoniaton présente ainsi l’origine du monde. Le Très-Haut et sa femme habitaient le sein de la lumière. Ils eurent un fils beau comme le Ciel, dont il porta le nom, et une fille belle comme la Terre, dont elle porta le nom. Le Très-Haut mourut, tué par des bêtes féroces, et ses enfants le déifièrent. Le Ciel, maître de l’empire de son père, épousa alors la Terre, sa sœur, et en eut plusieurs enfants, entre autres Hus ou Saturne. Il prit encore soin de sa postérité avec quelques autres femmes ; mais la Terre en témoigna tant de jalousie qu’ils se séparèrent. Néanmoins le Ciel revenait quelquefois à elle et l’abandonnait ensuite de nouveau, ou cherchait à détruire les enfants qu’elle lui avait donnés. Quand Saturne fut grand, il prit le parti de sa mère et la protégea contre son père, avec le secours d’Hermès, son secrétaire. Saturne chassa son père et régna en sa place. Ensuite il bâtit une ville, et se défiant de Sadid, l’un de ses fils, il le tua et coupa la tête à sa fille, au grand étonnement des dieux. Cependant le Ciel, toujours fugitif, envoya trois de ses filles à Saturne pour le faire périr ; ce prince les fit prisonnières et les épousa. À cette nouvelle, le père en détacha deux autres que Saturne épousa pareillement. Quelque temps après Saturne, ayant tendu des embûches à son père, l’estropia et l’honora ensuite comme un dieu.

Tels sont les divins exploits de Saturne, tel fut l’âge d’or. Astarté la Grande régna alors dans le pays par le consentement de Saturne ; elle porta sur sa tête une tête de taureau pour marque de sa royauté, etc.[1].

Au commencement, dit Hésiode, était le Chaos, ensuite la Terre, le Tartare, l’Amour, le plus beau des dieux. Le Chaos engendra l’Érèbe et la Nuit, de l’union desquels naquirent le Jour et la Lumière. La Terre produisit alors les étoiles, les montagnes et la mer. Bientôt, unie au Ciel, elle enfanta l’Océan, Hypérion, Japhet, Rhéa, Phœbé, Thétis, Mnémosyne, Thémis et Saturne, ainsi que les cyclopes et les géants Briarée et Gygès, qui avaient cinquante têtes et cent bras. À mesure que ses enfants naissaient, le Ciel les enfermait dans le sein de la Terre. La Terre, irritée, fabriqua une faux qu’elle donna à Saturne. Celui-ci en frappa son père, et du sang qui sortit de cette blessure naquirent les géants et les furies. Saturne eut de Rhéa, son épouse et sa sœur, Vesta, Cérès, Junon, Pluton, Neptune et Jupiter. Ce dernier, sauvé de la dent de son père, qui mangeait ses enfants, fut élevé dans une caverne, et par la suite fit rendre à Saturne ses oncles qu’il tenait en prison, ses frères qu’il avait avalés, le chassa du ciel, et, la foudre à la main, devint le maître des dieux et des hommes.

 
Origines du monde
Origines du monde
 

Les Égyptiens faisaient naître l’homme et les animaux du limon échauffé par le Soleil. Les Phéniciens disaient que le Soleil, la Lune et les astres ayant, paru, le Limon, fils de l’Air et du Feu, enfanta tous les animaux ; que les premiers hommes habitaient la Phénicie ; qu’ils furent d’une grandeur démesurée et donnèrent leur nom aux montagnes du pays ; que bientôt ils adorèrent deux pierres, l’une consacrée au Vent, l’autre au Feu, et leur immolèrent des victimes. Mais le Soleil fut toujours le premier et le plus grand de leurs dieux.

Tous les peuples anciens faisaient ainsi remonter très-haut leur origine, et chaque nation se croyait la première sur la terre. Quelques nations modernes ont la même ambition : les Chinois se disent antérieurs au déluge de quelques centaines de mille ans. Ils croient la matière éternelle ; ils lui font produire un jour le dragon, la tortue, le dragon-cheval, des oiseaux singuliers, et un homme que les chroniques chinoises appellent Pan-kou ; quand il s’est tâté et reconnu dans le chaos, Pan-kou, qui n’est ni créé ni créateur, se fait un ciseau et un maillet avec quoi il débrouille

 
Origines du monde
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les éléments divers. Les Japonais soutiennent que les dieux dont ils sont descendus ont habité leur pays plusieurs millions d’années avant le règne de Sin-Mu, fondateur de leur monarchie. C’est ainsi que les vieux chroniqueurs français font remonter la généalogie de nos rois plus loin que Noé. Une seule découverte dans ces prétentions explique toutes les autres. Nos chroniqueurs ont mis à la file soixante petits rois qui régnaient ensemble, dans le même temps, chacun en sa ville. Telle est la vérité des dynasties chinoises, égyptiennes et japonaises.

Les Parsis ou Guèbres prétendent que, pour peupler plus promptement le monde nouvellement créé, Dieu permit qu’Ève, notre mère commune, mît au monde chaque jour deux enfants jumeaux ; ils ajoutent que durant mille ans la mort respecta les hommes et leur laissa le temps de se multiplier. Les Lapons, qui ne sont pas très-forts, s’imaginent que le monde existe de toute éternité et qu’il n’aura jamais de fin.

Disons un mot de quelques autres origines.

Les hommes tirent plus de vanité d’une noble souche ou d’une souche singulière que d’un cœur noble et d’un mérite personnel. Les peuples de la Côte-d’Or, en Afrique, croient que le premier homme fut produit par une araignée. Les Athéniens se disaient descendus des fourmis d’une forêt de l’Attique. Parmi les sauvages du Canada, il y a trois familles principales : l’une prétend descendre d’un lièvre, l’autre dit qu’elle descend d’une très-belle et très-courageuse femme qui eut pour mère une carpe, dont l’œuf fut échauffé par les rayons du soleil ; la troisième famille se donne pour premier ancêtre un ours. Les rois des Goths étaient pareillement nés d’un ours. Les Pégusiens sont nés d’un chien. Les Suédois et les Lapons sont issus de deux frères, dont le courage était bien différent, s’il faut en croire les Lapons. Un jour qu’il s’était élevé une tempête horrible, l’un des deux frères (ils se trouvaient ensemble) fut si épouvanté qu’il se glissa sous une planche, que Dieu, par pitié, convertit en maison. De ce poltron sont nés tous les Suédois. L’autre, plus courageux, brava la furie de la tempête, sans chercher même à se cacher : ce brave fut le père des Lapons, qui vivent encore aujourd’hui sans s’abriter.

Les Syriens disent que notre planète n’était pas faite pour être habitée originairement par des gens raisonnables, mais que, parmi les citoyens du ciel, il se trouva deux gourmands, le mari et la femme, qui s’avisèrent de manger une galette. Pressés ensuite d’un besoin qui est la suite de la gourmandise, ils demandèrent à un des principaux domestiques de l’empire où était la garde-robe. Celui-ci leur répondit : Voyez-vous-la terre, ce petit globe qui est à mille millions de lieues de nous ? C’est là. Ils y allèrent, et on les y laissa pour les en punir.

Selon les Indiens, huit éléphants soutiennent le monde ; ils les appellent Achtequedjams.

On peut voir, pour plus de détails, le préambule des Légendes de l’Ancien Testament.


  1. L’auteur du Monde primitif trouve la clef de ce morceau dans l’agriculture… ; d’autres en cherchent l’explication dans l’astronomie, ce qui n’est pas moins ingénieux ; ceux-ci n’y voient que les opinions religieuses des Phéniciens touchant l’origine du monde, ceux-là y croient voir l’histoire dénaturée des premiers princes du pays, etc.