Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Perteman

La bibliothèque libre.
Henri Plon (p. 523-524).
◄  Persil
Pertinax  ►

Perteman. Une jeune fille de la commune d’Uccle (près de Bruxelles) avait dit à plusieurs personnes qu’elle était ensorcelée ; que la nuit des spectres et des revenants, vêtus de longues robes jaunes, se présentaient devant son lit et venaient lui causer de grandes frayeurs, au point que sa santé en était altérée. Les frères de cette jeune fille, croyant que leur sœur était réellement ensorcelée, eurent recours à un individu de la commune surnommé le perteman (le joueur de mauvais tours), qui avait la réputation de posséder le moyen de conjurer les spectres et les esprits malins. Cet homme s’attendait probablement, et pour cause, à être consulté par les parents de la jeune fille ; il se mit donc en devoir d’employer, moyennant salaire, bien entendu, ses talents surnaturels, comme il les appelait, pour combattre les œuvres des nombreuses sorcières dont il prétendait que la jeune fille était la victime. Presque tous les soirs il se rendait, muni d’un gros livre, au domicile de la fille, y allumait des chandelles et restait souvent là toute la nuit ; cependant le revenant reparaissait toujours lorsque l’exorciseur ne venait pas ; enfin, le perteman vint annoncer qu’il était parvenu à reconnaître la cause du malheur et le remède à employer ; ce remède était une somme de 15 fr. à répartir entre les trente sorcières qui assiégeaient la malheureuse jeune fille ; on les calmait donc à raison de 50 centimes par tête.

Le frère de cette infortunée, ne possédant pas la somme de quinze francs, alla consulter le bourgmestre, et l’on conçoit qu’il n’en fallut pas davantage pour mettre un terme aux manœuvres du sorcier. L’autorité communale envoya, le soir même où le perteman devait venir opérer le désenchantement définitif, deux gardes forestiers chargés de vérifier ce qui se passait ; ceux-ci trouvèrent le perteman dans la maison. Il s’occupait à feuilleter son gros volume, à jeter de l’eau bénite et à marmotter certaines paroles ; vers minuit, ils virent approcher de la maison une femme habillée de jaune, qui alla écouter à la porte ; un instant après, le perteman sortit, disposé à lier conversation avec le revenant ; il aperçut alors les gardes, prit la fuite, ainsi que la femme, et dans son trouble il laissa tomber son volume mystérieux qui, vérification faite, fut trouvé être un ouvrage de Mirabeau, intitulé De la monarchie prussienne sous Frédéric le Grand. Le perteman fut arrêté, et depuis le revenant n’a plus été vu ni par la jeune fille ni par personne. Ce fait s’est passé il y a moins de trente ans.