Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Préface

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Dictionnaire infernal
Henri Plon (p. vii-viii).
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PRÉFACE.



L’immense réunion de matières, toutes adhérentes par quelque point, que comprend le Dictionnaire infernal, forme un tel pandæmonium d’aberrations et de germes ou de causes d’erreurs, qui côtoient presque toujours la vérité, qu’il n’y a que l’Église, dont le flambeau ne pâlit jamais, qui puisse être, en ces excentricités, un guide sûr. Les ouvrages qui, avant ce livre, ont traité de ces matières si variées, et qui sont dans chaque spécialité extrêmement nombreux, ne sont généralement, à peu d’exceptions près, que d’indigestes amas d’idées extravagantes, ou d’incomplètes compilations, ou d’interminables discussions désordonnées, ou de mauvais livres dans tous les sens de ce mot. Le lecteur qui veut un peu connaître ce mystérieux dédale des croyances faussés ou dénaturées, et faire la collection des ouvrages rares et recherchés, mais très-peu lus, dont elles sont le sujet, doit, pour cela, dépenser de grandes sommes, consacrer des années à ces recherches, et hasarder sa foi en plusieurs cas. Tous ces frais, toute cette peine et ce péril seront épargnés par cette nouvelle édition du Dictionnaire infernal.

Nous disons « cette nouvelle édition, » parce que, dans les deux premières, publiées en 1818 et en 1825, l’auteur, en combattant l’énorme phalange des erreurs populaires et des impostures mystérieuses, est tombé lui-même dans des égarements non moins funestes. Il cherchait alors la vérité hors de son centre ; au lieu de s’appuyer sur l’Église, où elle siège toujours inaltérable, il s’était ébloui aux lueurs d’une philosophie orgueilleuse et sans autorité, dont les enseignements pris d’en bas égareront longtemps encore les esprits frivoles. Entraîné là trop longtemps, il eut, en 1841, l’insigne bonheur de sortir des steppes où la lumière lui manquait et de la retrouver dans les seules doctrines où elle est indéfectible et toujours sûre. Il a donc entièrement refondu ses travaux, en reconnaissant que les superstitions, les folles croyances, les sciences et les pratiques occultes, insurrections plus ou moins tacites contre la religion, ne sont venues que des déserteurs de la foi, ou par l’hérésie, ou par le schisme, ou par des voies moins déterminées.

Tout homme qui étudiera l’histoire avec des intentions droites reconnaîtra que l’Église a constamment lutté contre les superstitions et les fourberies infernales ; qu’elle n’a jamais cessé de répandre la lumière sur les fausses croyances, sur les folles terreurs et sur les pratiques périlleuses des docteurs en sciences secrètes.

Pour ne citer que quelques témoignages, saint Augustin dit que les superstitions sont l’opprobre du genre humain. Origène les condamne avec plus de force que les encyclopédistes, et surtout avec plus de poids. Le pape Léon X notait d’infamie ceux qui se livraient aux divinations et autres pratiques superstitieuses. Le quatrième concile de Carthage les exclut de l’assemblée des fidèles. Le concile provincial tenu à Toulouse en 1590 ordonne aux confesseurs et aux prédicateurs de déraciner, par de fréquentes exhortations et par des raisons solides, les pratiques superstitieuses que l’ignorance a introduites dans la religion. Le concile de Trente, après avoir condamné ces diverses erreurs, enjoint formellement aux évêques de défendre aux fidèles tout ce qui peut les porter à la superstition et scandaliser le prochain.

Nous réunirions au besoin mille témoignages pareils. Contentons-nous d’ajouter, sans craindre un démenti de quelque poids, que l’Église a seule les moyens et les grâces nécessaires pour dissiper ces égarements si souvent dangereux et toujours abominables.

Ce qui peut-être n’a pas été remarqué suffisamment au milieu des clameurs intéressées des philosophes, c’est que les seuls hommes qui vivent exempts de superstitions sont les fidèles enfants de l’Église, parce qu’eux seuls possèdent la vérité. Les douteurs, au contraire, semblent tous justifier cette grande parole, que ceux qui se séparent de Dieu ont l’esprit fourvoyé ; car, parmi eux, les plus incrédules sont aussi les plus superstitieux. Ils repoussent les dogmes révélés, et ils croient aux revenants ; ils ont peur du nombre 13 ; ils ont un préjugé contre le vendredi ; ils recherchent l’explication des songes ; ils consultent les tireuses de cartes ; ils étudient l’avenir dans des combinaisons de chiffres ; ils redoutent les présages. On a cité un savant de nos jours qui poursuit l’élixir de vie ; un mathématicien célèbre qui croit les éléments peuplés par les essences cabalistiques ; un philosophe qui ne sait pas s’il croit à Dieu et qui exécute les cérémonies du grimoire pour faire venir le diable.

Ce livre donc reproduit les aspects les plus étranges des évolutions de l’esprit humain ; il expose tout ce qui concerne les esprits, lutins, fées, génies, démons, spectres et fantômes, les sorciers et leurs maléfices, les prestiges des charmeurs, la nomenclature et les fonctions des démons et des magiciens, les traditions superstitieuses, les récits de faits surnaturels, les contes, populaires. Il ouvre les cent portes fantastiques de l’avenir, par la définition claire des divinations, depuis la chiromancie des bohémiens jusqu’à l’art de prédire par le marc de café ou le jeu de cartes. L’astrologie, l’alchimie, la cabale, la phrénologie, le magnétisme, ont leur place en des notices qui résument par quelques pages de longs et lourds in-folio. Enfin, le spiritisme, les tables parlantes et les progrès du magnétisme se trouvent dans ces pages. Depuis quarante-cinq ans, l’auteur n’a cessé d’agrandir ce patient travail, en poursuivant ses recherches dans des milliers de volumes. Avant lui, personne n’avait songé à réunir en un seul corps d’ouvrage toutes les variétés que rassemble le Dictionnaire infernal ; et nul ne peut nier l’utilité de cette entreprise.

Les superstitions et les erreurs ont toujours pour fondement une vérité obscurcie, altérée ou trahie ; les éclairer, c’est les combattre. Si on les groupe, elles font saillie, et leurs difformités se révèlent. Ainsi, peu à peu, on produit la lumière dans ces pauvres intelligences qui refusent de s’élever jusqu’aux mystères sublimes de la foi, et qui s’abaissent à croire fermement les plus grossières impostures. On donne aussi des armes aux amis de la vérité, pour confondre les déceptions auxquelles se soumettent des esprits qui se croient supérieurs, parce qu’ils ne sentent pas leur faiblesse.

Par-dessus ces avantages, on a voulu satisfaire le goût de notre époque, qui exige des lectures piquantes, et, les sujets aidant, on a pu lui offrir très-fréquemment ces excentricités, ces singularités, cet imprévu et ces émotions dont il est si avide.

L’auteur de cette sixième édition, en la revoyant avec grand soin, l’a augmentée de 800 articles ; et l’éditeur l’a illustrée de 550 gravures, parmi lesquelles 72 portraits de démons, dessinés, d’après les documents de Wierus et des plus curieux démonographes, par M. L. Breton.