Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Prodiges

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Henri Plon (p. 559-560).
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Prodiges, événements surprenants dont on ignore la cause, et que l’on est tenté de regarder comme surnaturels. C’est la définition de Bergier. Sous le consulat de Volumnius, on entendit parler un bœuf. Il tomba du ciel, en forme de pluie, des morceaux de chair, que les oiseaux dévorèrent en grande partie ; le reste fut quelques jours sur la terre sans rendre de mauvaise odeur. Dans d’autres temps, on rapporta des événements aussi extraordinaires, qui ont néanmoins trouvé créance parmi les hommes. Un enfant de six mois cria victoire dans un marché de bœufs. Il plut des pierres à Picenna. Dans les Gaules, un loup s’approcha d’une sentinelle, lui tira l’épée du fourreau et l’emporta. Il parut en Sicile une sueur de sang sur deux boucliers, et, pendant la seconde guerre punique, un taureau dit, en présence de Cnéus Domitius : Rome, prends garde à


toi[1] ! Dans la ville de Galéna, sous le consulat de Lépide, on entendit parler un coq d’Inde, qui ne s’appelait pas alors un coq d’Inde ; car c’était une pintade. Voilà des prodiges.

Delancre parle d’une sorcière qui, de son temps, sauta du haut d’une montagne sur un rocher éloigné de deux lieues. Quel saut !… Un homme ayant bu du lait, Schenck dit qu’il vomit deux petits chiens blancs aveugles. Vers la fin du mois d’août 1682, on montrait à Charenton une fille qui vomissait des chenilles, des limaçons, des araignées et beaucoup d’autres insectes. Les docteurs de Paris étaient émerveillés. Le fait semblait constant. Ce n’était pas en secret : c’était devant des assemblées nombreuses que ces singuliers vomissements avaient lieu. Déjà on préparait de toutes parts des dissertations pour expliquer ce phénomène, lorsque le lieutenant criminel entreprit de s’immiscer dans l’affaire. Il interrogea la maléficiée, lui fit peur du fouet et du carcan, et elle avoua que depuis sept ou huit mois elle s’était accoutumée à avaler des chenilles, des araignées et des insectes ; qu’elle désirait depuis longtemps avaler des crapauds, mais qu’elle n’avait pu s’en procurer d’assez petits[2]. On a pu lire, il y a vingt ans, un fait pareil rapporté dans les journaux : une femme vomissait des grenouilles et des crapauds ; un médecin peu crédule, appelé pour vérifier le fait, pressa de questions la malade et parvint à lui faire avouer qu’elle avait eu recours à cette jonglerie pour gagner un peu d’argent[3].

« Il y a, dit Chevreau, des choses historiques et qui ne sont presque pas vraisemblables. Il plut du sang sous l’empereur Louis II ; de la laine sous l’empereur Jovinien ; des poissons, dont on ne put approcher pour leur puanteur, sous Othon III ; et Valère-Maxime, dans le chapitre des Prodiges, de son premier livre, a parlé d’une pluie de pierres et d’une autre de pièces sanglantes de chair, qui furent mangées par les oiseaux. Louis, fils de Ladislas, roi de Hongrie et de Bohême, pour être venu avant terme, naquit sans peau, et les médecins trouvèrent moyen de lui en faire une, Une femme, dans le Péloponnèse, comme le dit Pline, eut en quatre couches vingt enfants, cinq à la fois, dont la plupart vécurent ; et selon Trogus, une autre, en Égypte, eut sept enfants d’une même couche. Saint Augustin, dans le chapitre xxiii du livre XIV de la Cité de Dieu, dit qu’il a vu un homme qui suait quand il voulait, sans faire aucun exercice violent, et qu’il y prenait un fort grand plaisir. Le bras d’un des capitaines de Brutus sua de l’huile rosat en telle abondance, que toute la peine qu’on se donna pour l’essuyer et pour le sécher fut inutile. Démophon, maître d’hôtel d’Alexandre, s’échauffait à l’ombre et se rafraîchissait au soleil.Il s’est trouvé une Athénienne qui a vécu de ciguë jusqu’à la vieillesse ; et un certain Mahomet, roi de Cambaye, s’accoutuma si bien aux viandes empoisonnées, dans la peur qu’il eut de périr par le poison, qu’il n’en eut plus d’autres dans ses repas. Il devint si venimeux qu’une mouche qui le louchait tombait morte dans le même instant ; il tuait de son haleine ceux qui passaient une heure avec lui. Pyrrhus, roi d’Épire, comme le disent Pline et Plutarque, guérissait avec le pouce de son pied droit tous les maux de rate, et, selon d’autres, tous les ulcères qui s’étaient formés dans la bouche ; mais ce qui n’est pas moins étonnant, c’est que, le corps de Pyrrhus étant brûlé et réduit en cendre, on trouva tout entier le même pouce, qui fut porté en cérémonie dans un temple, et là enchâssé comme une relique. C’en est assez pour justifier qu’il y a des choses historiques qui ne sont presque jamais vraisemblables[4].

  1. Valère-Maxime.
  2. Dictionnaire des merveilles de la nature, article Estomac.
  3. M. Salgues, Des erreurs et des préjugés, t. II, p. 94.
  4. Chevrœana, t. I, p. 257.