Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Songes (explication des)

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Henri Plon (p. 619-623).
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Songes (explication des), suivant les livres les plus consultés :

Aigle. Si on voit en songe voler un aigle, bon

 
 
présage ; signe de mort s’il tombe sur la tête du songeur. Âne. Si on voit courir un âne, présage de malheur ; si on le voit en repos, caquets et méchancetés ; si on l’entend braire, inquiétudes et fatigues. Arc-en-ciel. Vu du côté de l’orient, signe de bonheur pour les pauvres ; du côté de l’occident, le présage est pour les riches. Argent trouvé, chagrin et pertes ; argent perdu, bonnes affaires.

Bain dans l’eau claire, bonne santé ; bain dans l’eau trouble, mort de parents et d’amis. Belette. Si on voit une belette en songe, signe qu’on aura ou qu’on a une méchante femme. Boire de l’eau fraîche, grandes richesses ; boire de l’eau chaude, maladie ; boire de l’eau trouble, chagrins. Bois. Être peint sur bois dénote longue vie. Boudin. Faire du boudin, présage de peines ; manger du boudin, visite inattendue. Brigands. On est sûr de perdre quelques parents ou une partie de sa fortune si on songe qu’on est attaqué par des brigands.

Cervelas. Manger des cervelas, bonne santé. Champignons, signe d’une vie longue, par contraste, sans doute. Chanter. Un homme qui chante, espérance ; une femme qui chante, pleurs et gémissements. Charbons éteints, mort ; charbons allumés, embûches ; manger des charbons, pertes et revers. Chat-huant, funérailles. Cheveux arrachés, pertes d’amis. Corbeau qui vole, péril de mort. Couronne. Une couronne d’or sur la tête, présage des honneurs ; une couronne d’argent, bonne santé ; une couronne de verdure, dignités ; une couronne d’os de morts annonce la mort. Cygnes noirs, tracas de ménage.

Déménagements. Annonce d’un mariage ou d’une succession.

 
 

Dents. Chute de dents, présage de mort. Dindon. Voir ou posséder des dindons, folie de parents ou d’amis.

Enterrement. Si quelqu’un rêve qu’on l’enterre vivant, il peut s’attendre à une longue misère. Aller à l’enterrement de quelqu’un, heureux mariage. Étoiles. Voir des étoiles tomber du ciel, chutes, déplaisirs et revers.

Fantôme blanc, joie et honneurs ; fantôme noir, peines et chagrins. Femme. Voir une femme, infirmité ; une femme blanche, heureux événement ; une femme noire, maladie ; plusieurs femmes, caquets. Fèves. Manger des fèves, querelles et procès. Filets. Voir des filets, présage de pluie. Flambeau allumé, récompense ; flambeau éteint, emprisonnement. Fricassées, caquets de voisins.

Gibet. Songer qu’on est condamné à être pendu, heureux succès. Grenouilles, indiscrétions et babils.

Hannetons, importunités. Homme vêtu de blanc, bonheur ; vêtu de noir, malheur ; homme assassiné, sûreté.

Insensé. Si quelqu’un songe qu’il est devenu insensé, il recevra des bienfaits de son prince.

Jeu. Gain au jeu, perte d’amis.

Lait. Boire du lait, amitié. Lapins blancs, succès ; lapins noirs, revers ; manger du lapin, bonne santé ; tuer un lapin, tromperie et perte. Lard. Manger du lard, victoire. Limaçon, charges honorables. Linge blanc, mariage ; linge sale, mort. Lune. Voir la lune, retard dans les affaires ; la lune pâle, peines ; la lune obscure, tourments.

Manger à terre, emportements. Médecine. Prendre médecine, misère ; donner médecine à quelqu’un, profit. Meurtre. Voir un meurtre, sûreté. Miroir, trahison. Moustaches. Songer qu’on a de grandes moustaches, augmentation de richesses.

Navets, vaines espérances. Nuées, discorde.

Œufs blancs, bonheur ; œufs cassés, malheur. Oies. Qui voit des oies en songe peut s’attendre à être honoré des princes. Ossements, traverses et peines inévitables.

Palmiers, palmes, succès et honneurs. Paon. L’homme qui voit un paon aura de beaux enfants. Perroquet, indiscrétion, secret révélé.

Quenouille, pauvreté.

Rats, ennemis cachés. Roses, bonheur etplaisirs.

Sauter dans l’eau, persécutions. Scorpions, lézards, chenilles, scolopendres, etc., malheurs et trahisons. Soufflet donné, paix et union entre le mari et la femme. Soufre, présage d’empoisonnement. Spectre. Signe d’une surprise.

 
 

Tempête, outrage et grand péril. Tête blanche, joie ; tête tondue, tromperie ; tête chevelue, dignité ; tête coupée, infirmité ; tête coiffée d’un agneau, heureux présage. Tourterelles, accord des gens mariés, mariage pour les célibataires.

Vendanger, santé et richesses. Violette, succès. Violon. Entendre jouer du violon et des autres instruments de musique, concorde et bonne intelligence entre le mari et la femme, etc., etc.

Telles sont les extravagances que débitent, avec étendue et complaisance, les interprètes des songes ; et l’on sait combien ils trouvent de gens qui les croient ! Le monde fourmille de petits esprits qui, pour avoir entendu dire que les grands hommes étaient au-dessus de la superstition croient se mettre à leur niveau en refusant à l’âme son immortalité et à Dieu son pouvoir, et qui n’en sont pas moins les serviles esclaves des plus absurdes préjugés. On voit tous les jours d’ignorants esprits forts, de petits sophistes populaires, qui ne parlent que d’un ton railleur des saintes Écritures, et qui passent les premières heures du jour à chercher l’explication d’un songe insignifiant, comme ils passent les moments du soir à interroger les cartes sur leurs plus minces projets[1].

Il y a des songes qui ont embarrassé ceux qui veulent expliquer tout. Nous ne pouvons passer sous silence le fameux songe des deux Arcadiens. Il est rapporté par Valère-Maxime et par Cicéron. Deux Arcadiens, voyageant ensemble, arrivèrent à Mégare. L’un se rendit chez un ami qu’il avait en cette ville, l’autre alla loger à l’auberge. Après que le premier fut couché, il vit en songe son compagnon, qui le suppliait de venir le tirer des mains de l’aubergiste, par qui ses jours étaient menacés. Cette vision l’éveille en sursaut ; il s’habille à la hâte, sort et se dirige vers l’auberge où était son ami. Chemin faisant, il réfléchit sur sa démarche, la trouve ridicule, condamne sa légèreté à agir ainsi sur la foi d’un songe ; et après un moment d’incertitude, il retourne sur ses pas et se remet au lit. Mais à peine a-t-il de nouveau fermé l’œil, que son ami se présente de nouveau à son imagination, non tel qu’il l’avait vu d’abord, mais mourant, mais souillé de sang, couvert de blessures, et lui adressant ce discours : « Ami ingrat, puisque tu as négligé de me secourir vivant, ne refuse pas au moins de venger ma mort. J’ai succombé sous les coups du perfide aubergiste ; et pour cacher les traces de son crime, il a enseveli mon corps, coupé en morceaux, dans un tombereau plein de fumier, qu’il conduit à la porte de la ville. » Le songeur, troublé de cette nouvelle vision, plus effrayante que la première, épouvanté par le discours de son ami, se lève derechef, vole à la porte de la ville et y trouve le tombereau désigné, dans lequel il reconnaît les tristes restes de son compagnon de voyage. Il arrête aussitôt l’assassin et le livre à la justice.

Cette aventure, on l’explique. Les deux amis étaient fort liés et naturellement inquiets l’un pour l’autre ; l’auberge pouvait avoir un mauvais renom : dès lors, le premier songe n’a rien d’ extraordinaire Le second en est la conséquence ! dans l’imagination agitée du premier des deux voyageurs. Les détails du tombereau sont plus forts ; il peut seiaire qu’ils soient un effet des pressentiments ou d’une anecdote du temps, ou une rencontre du hasard. Mais il y a des choses qui sont plus inexplicables et qu’on ne peut pourtant contester.

Un célèbre médecin irlandais, le docteur Abercombie, raconte, dans ses Études de psychologie, deux songes de deux de ses malades qui peuvent appuyer le récit qu’on vient de lire. « Un ministre, venu d’un village voisin à Édimbourg, y passait la nuit dans une auberge ; là, pendant son sommeil, il songea que le feu prenait à sa maison et que ses enfants y couraient danger de mort. Aussitôt il se lève et se hâte de quitter la ville ; à peine hors des murs, il aperçoit sa maison en feu ; il y court et arrive assez à temps pour sauver un de ses fils en bas âge que, dans le désordre causé par l’incendie, on avait laissé au milieu des flammes. » — Voici le second fait : « Un bourgeois d’Édimhourg était affecté d’un anévrysme de l’artère crurale. Deux chirurgiens distingués qui le soignaient devaient faire l’opération dans quelques jours. La femme du patient songea que le mal avait disparu et que l’opération projetée devenait inutile. En effet, le malade, en examinant le matin le siège de son affection, fut surpris de voir qu’elle n’avait pas laissé la moindre trace. » Il est important d’ajouter, dit le compte rendu, que ces sortes de guérisons sont extrêmement rares et qu’il est presque inconnu que cette maladie se soit résolue ainsi sans le secours de l’art.

Alexander ab Alexandro raconte, chap, xi du premier livre de ses Jours Géniaux, qu’un sien fidèle serviteur, homme sincère et vertueux, couché dans son lit, dormant profondément, commença à se plaindre, soupirer et se lamenter si fort, qu’il éveilla tous ceux de la maison. Son maître, après l’avoir éveillé, lui demanda la cause de son cri. Le serviteur répondit : « Ces plaintes que vous avez entendues ne sont point vaines ; car lorsque je m’agitais ainsi, il me semblait que je voyais le corps mort de ma mère passer devant mes yeux, par des gens qui la portaient en terre. » On fit attention à l’heure, au jour, à la saison où cette vision était advenue, pour savoir si elle annoncerait quelque désastre au garçon : et l’on fut tout étonné d’apprendre la mort de cette femme quelques jours après. S’étant informé des jour et heure, on trouva qu’elle était morte le même jour et à la même heure qu’elle s’était présentée morte à son fils. Voy. Rambouillet.

Saint Augustin, sur la Genèse, raconte l’histoire d’un frénétique qui revient un peu à ce songe. Quelques gens étant dans la maison de ce frénétique entrèrent en propos d’une femme I qu’ils connaissaient, laquelle était vivante et faisait bonne chère, sans aucune appréhension de mal. Le frénétique leur dit : « Comment parlez-vous de cette femme ? Elle est morte ; je l’ai vue passer comme on la portait en terre. » Et un ou deux jours après, la prédiction fut confirmée[2]. Voy. Cassius, Hymera, Amilcar, Décius, etc.

Un certain Égyptien, joueur de luth, songea une nuit qu’il jouait de son luth aux oreilles d’un âne. Il ne fit pas d’abord grandes réflexions sur un tel songe ; mais quelque temps après, Antiochus, roi de Syrie, étant venu à Memphis pour voir son neveu Ptolomée, ce prince fit venir le joueur de luth pour amuser Antiochus. Le roi de Syrie n’aimait pas la musique ; il écouta d’un air distrait et ordonna au musicien de se retirer. L’artiste alors se rappela le songe qu’il avait fait, et ne put s’empêcher de dire en sortant ; « J’avais bien rêvé que je jouerais devant un âne. » Antiochus l’entendit par malheur, commanda qu’on le liât, et lui fit donner les étrivières. Depuis ce moment, le musicien perdit l’habitude de rêver, ou du moins de se vanter de ses rêves.

On raconte sur la mort de l’acteur Champmeslé une anecdote plus extraordinaire. Il avait perdu sa femme et sa mère. Frappé d’un songe où il avait vu sa mère et sa femme lui faire signe du doigt de venir les trouver, il était allé chez les Cordeliers demander deux messes des morts, l’une pour sa mère, l’autre pour sa femme. L’honoraire de ces messes était alors de dix sous. Champmeslé ayant donné au sacristain une pièce de trente sous, le religieux était embarrassé pour lui rendre les dix sous restants. « Gardez tout, dit l’acteur et faites dire sur-le-champ une troisième messe des morts ; elle sera pour moi. » En effet, il mourut subitement le même jour, au moment où le cordelier venait le voir.

 
 

Terminons par un petit fait récent, consigné dans l’Indicateur de Champagne :

Un jeune homme de vingt-cinq ans, M. Baptiste Renard, cultivateur demeurant chez ses parents, au hameau dit les Tourneurs, commune de Fontenelle, rêve, la nuit en dormant, qu’il était monté sur un arbre, que la branche sur laquelle il était se rompait sous lui et qu’il se brisait les membres en tombant.

Ce jeune homme, le lendemain, eut la fatale pensée d’aller grimper sur l’arbre qu’il avait vu en songe, comme pour prouver qu’il n’ajoutait aucune foi aux rêves. Il était sur l’arbre, et racontait en riant à l’un de ses camarades son rêve de la nuit précédente, lorsque tout à coup la branche qui le portait rompt sous le poids de son corps ; M. Renard tombe, et dans sa chute il se casse un bras et une jambe ; il est relevé dans un état tel, que trois jours après il expira au milieu des plus cruelles souffrances.


  1. Il y a des gens qui ne croient à rien et qui mettent à la loterie sur la signification des songes. Mais qui peut leur envoyer des songes, s’il n’y a pas de Dieu ?… Comment songent-ils quand leur corps est assoupi, s’ils n’ont point d’âme ? Deux savetiers s’entretenaient, sous l’Empire, de matières de religion. L’un prétendait qu’on avait eu raison de rétablir le culte ; l’autre, au contraire, qu’on avait eu tort. — Mais, dit le premier, je vois bien que tu n’es pas foncé dans la politique ; ce n’est pas pour moi qu’on a remis Dieu dans ses fonctions, ce n’est pas pour toi non plus ; c’est pour le peuple. — Ces deux savetiers, avec tout leur esprit, se faisaient tirer les cartes et se racontaient leurs songes.
  2. Boistuau, Visions prodigieuses.