Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Spiritisme

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Henri Plon (p. 630-632).
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Spiritisme. C’est la découverte que l’on croit récente des communications avec les esprits. On a publié là-dessus beaucoup d’ouvrages. De la plupart, il est sage de se défier. Nous nous bornerons à citer ici des emprunts à quelques journaux transatlantiques, reproduits dans plusieurs feuilles françaises. Un ou deux de ces fragments suffiront au lecteur pour comprendre.

Remontons aux premiers bruits que fit aux États-Unis le spiritisme. On lisait le 4 décembre 1850, dans la Voix de la Vérité :

Une société de magnétiseurs illuminés, établie à New-York, prétend avoir avec Swedenborg des relations suivies. Nous allons, grâce à un correspondant américain du Journal du magnétisme, les initier aux révélations ultramondaines qui se sont manifestées à quelques croyants de l’état de New-York en 1846.

Chez un M. John Fox, qui habitait à cette époque un petit village, des coups très-légers, comme si quelqu’un frappait sur le parquet, se faisaient entendre assez souvent la nuit, à ce point qu’il n’y eut plus moyen de dormir dans la maison. Pendant longtemps il fut impossible de découvrir la cause de ces coups mystérieux, lorsque, dans la nuit du 31 mars 1847, les jeunes filles de M. Fox, tenues en éveil par ces coups, se mettent, pour se distraire, à les imiter en faisant claquer leurs doigts. À leur grand étonnement, les coups répondent à chaque claquement. Alors la plus jeune se met à vérifier ce fait surprenant ; elle fait un claquement, on entend un coup ; deux, trois, etc.; toujours l’être invisible rend le même nombre de coups. Une des autres filles dit en badinant : « Maintenant, faites ce que je fais ; comptez un, deux, trois, quatre, cinq, six, etc., » en frappant chaque fois dans sa main le nombre indiqué. Les coups la suivirent avec la même précision ; mais, ce signe d’intelligence alarmant la jeune fille, elle cessa bientôt son expérience. Alors ce fut madame Fox qui dit : « Comptez dix. » Et sur-le-champ dix coups se font entendre. Elle ajoute ; « Voulez-vous me dire l’âge de Catherine ? (une de ses filles) ; » et les coups frappent précisément le nombre d’années qu’avait cette enfant.

Madame Fox demanda ensuite si c’était un être humain qui frappait ces coups ? Point de réponse. Puis elle dit ; « Si vous êtes un esprit, je vous prie de frapper deux coups, » et deux coups se font entendre. Elle ajoute : « Si vous êtes un esprit auquel on a fait du mal, répondez-moi de la même façon, et les coups répondent de suite. De cette manière on lia conversation, pour ainsi dire, et bientôt madame Fox parvint à savoir que c’était l’esprit d’un homme ; qu’il avait été tué dans cette maison plusieurs années auparavant ; qu’il était marchand colporteur, et que le locataire qui habitait la maison à cette époque l’avait tué pour s’emparer de son argent.

On pense bien que cette affaire n’en resta pas là. On accourut de toutes parts pour causer avec les coups, qui, à ce qu’il paraît, se firent entendre dans d’autres localités. On imagina de se servir de l’alphabet, et un coup se faisait entendre à la lettre voulue. On fit tout si bien, enfin, qu’on en vint à des expériences publiques, dans lesquelles les incrédules usèrent de tous les moyens pour s’assurer qu’il n’y avait là nulle supercherie.

Un jour que plusieurs personnes étaient réunies pour entendre les coups, les voilà qui demandent l’alphabet, et qui disent à l’assemblée ; « Vous avez tous un devoir à remplir. Nous voudrions que vous donnassiez plus de retentissement aux faits que vous examinez. » Cette demande étant très-inattendue, on se mit à en discuter les difficultés, le ridicule, l’incrédulité qu’il faudrait braver en attirant l’attention du public sur ce sujet bizarre. « Tant mieux, répondent les coups, votre triomphe n’en sera que plus éclatant. » Après avoir reçu de longues communications de cet interlocuteur invisible, une foule d’indications quant à ce qu’il fallait faire, et les assurances les plus positives que les coups se feraient entendre à toute l’audience, et que tout irait au mieux, ces personnes se décidèrent enfin à louer une grande salle déjà désignée par les coups, pour y faire entendre ces phénomènes au public, les coups insistant sur la nécessité d’une pareille manifestation, qui devait préparer les esprits à l’établissement d’un nouvel ordre de rapports entre les deux mondes, lequel aurait lieu à une époque prochaine.

Quelques magnétiseurs, entre autres un M. Capron, qui depuis a publié un livre sur la matière, donnèrent à ces faits un grand retentissement. On se passionna pour et contre. On consulta les somnambules sur le degré de confiance qu’on pouvait accorder aux révélations des coups, et, à ce qu’il paraît, aucune rivalité haineuse ne s’établit entre ces concurrents d’une nouvelle espèce. On demanda entre autres à un jeune garçon clairvoyant s’il pouvait voir ce qui faisait ces bruits. Il dit que oui. « Quelle est l’apparence de ces êtres ? — Ils ressemblent à la lumière, ils sont comme de la gaze ; je vois tout à travers leur corps. — Eh bien ! comment s’y prennent-ils pour faire ces bruits ; est-ce qu’ils frappent ? — Non, ils ne frappent pas du tout. » Puis, ayant paru regarder avec une grande attention pendant quelques instants, il ajoute : « Ils veulent ces bruits, et ces bruits se font partout où ils les désirent. »

Enfin, le 26 février 1850, le Rochester Daily Magnet publia sur ces faits le récit surprenant d’une entrevue qu’aurait eue la famille Fox avec l’esprit de Benjamin Franklin, qui désigna, dans une première conversation au moyen des coups, quelles personnes il fallait convoquer pour une séance solennelle, fixée au 20 février. À l’heure convenue (nous traduisons le récit du journal américain), on se réunit chez M. Draper ; mais quelques-uns se firent un peu attendre. On demanda d’abord les instructions de Benjamin Franklin, qui répondit : « Hâtez-vous ; faites tout de suite magnétiser madame Draper. » M. Draper la magnétisa, et elle ne fut pas plutôt endormie, qu’elle nous dit : « Il nous reproche d’être en retard ; il nous pardonne pour cette fois, mais il faut que nous soyons plus exacts à l’avenir. »

Alors la société se divise en deux groupes. MM. Jervis et Jones, mesdames Fox, Brown et mademoiselle Catherine s’installèrent dans une pièce éloignée, ayant deux portes fermées entre eux et le salon, où restaient mesdames Draper et Jervis, MM. Draper et Willet, et mademoiselle Margaretta. Bientôt des bruits télégraphiques se firent entendre dans les deux pièces, mais cette fois si forts, que mademoiselle Fox, tout effrayée, demande à la voyante : « Mais que veut dire tout ceci ? » Madame Draper, la figure radieuse d’animation, répond : « Il essaye les batteries. » Bientôt le signal demande l’alphabet, et on nous dit : « Maintenant, mes amis, je suis prêt. Il y aura de grands changements dans le cours du dix-neuvième siècle. Les choses qui vous paraissent maintenant obscures et mystérieuses rieuses deviendront claires à vos regards. Des merveilles vont être révélées. Le monde sera illuminé. Je signe : Benjamin Franklin.

» N’allez pas dans l’autre pièce. »

Nous attendions depuis quelques instants, lorsque M. Jervis se présenta dans le salon, et nous dit que les coups lui avaient ordonné de s’y rendre pour comparer ses notes avec les nôtres. Alors il lut ces notes, qui étaient comme il suit :

Nous demandons : « Est-ce tout comme vous le voulez ? — Oui. » Nous entendons le signal pour faire réciter l’alphabet, et on nous dit : « Il y aura de grands changements dans le cours du dix-neuvième siècle. Des choses qui vous paraissent maintenant obscures et mystérieuses deviendront claires à vos regards. Des merveilles vont être révélées. Le monde sera illuminé. Je signe : Benjamin Franklin.

» Allez dans le salon, et comparez vos notes avec celles des autres. »

Cette comparaison faite, M. Jervis retourne à son groupe, et alors, par l’alphabet, on leur dit : « Maintenant, allez tous dans le salon. » Ce qui fut fait ; et enfin la lecture générale des notes fut faite en présence de tous.

Après cette lecture, nous demandâmes : « Le docteur Franklin a-t-il encore quelque chose à nous dire ? — Il me semble que je vous ai donné bien assez de preuves pour aujourd’hui. — Ne faut-il pas garder le secret sur cette expérience ? — Non, il faut en mettre le récit dans les journaux. — Dans quels journaux ? — Dans le Democrat ou le Magnet. — Qui doit rédiger ce compte rendu ? — George Willet. »

Alors on nous fixa l’heure et le lieu d’un prochain rendez-vous, en nous indiquant encore deux autres individus qui devaient y assister avec nous.

On sait que les esprits ont causé avec les humains, au moyen des tables tournantes. Ensuite sont venus les mediums, personnages favorisés par les esprits qui font d’eux leurs organes. Nos journaux reproduisaient en janvier 1862 plusieurs nouvelles du spiritisme, venues aussi des relations américaines. En voici une :

« Le général Scott avait pour principal conseiller un beau guéridon en palissandre. D’après le Journal de Mayfield, ce n’est plus une table que consulte Beauregard, mais un medium en chair et en os, une jeune Hindoustani, nommée Elzur Bahoor.

» Cette fille de Brahma a commencé, dit-on, par être bayadère au service du fameux Nana-Sahib. Après le massacre de Gawnpore, elle resta dans cette ville assiégée par les Anglais, et tomba aux mains du général Havelock, qui l’envoya à Londres. Là elle fut douée de la faveur spirite, devint medium, connut M. Home et partit avec un riche planteur pour la Nouvelle-Orléans. Elle y émerveilla Beauregard, qui se l’attacha et s’abandonna entièrement à ses avis. Ce n’est que sur ses conseils qu’il a bombardé Sumter. Il lui doit la bataille de Bull-Run. Elle lui a prédit qu’il entrerait un jour vainqueur dans Washington. Sa puissance comme medium est si grande qu’elle évoque qui elle veut, vivant ou mort. On prétend même qu’elle a fait apparaître M. Lincoln à Jefferson Davis, abusant d’un moment où le président, abdiquant sa volonté, était endormi à la Maison-Blanche. On raconte que M. Lincoln a révélé tous ses secrets à son adversaire, a fait trois fois le tour de la chambre en voltigeant, puis s’est évanoui par la cheminée. On conçoit qu’après de pareilles preuves de puissance, Beau-regard ait confiance dans Elzur Bahoor. »

En tout cela, nous ne jugeons pas ; c’est l’affaire de l’Église. Le P. Matignon, dans un admirable petit livre[1], éclaire les âmes prudentes sur ces faits du spiritisme. Il voit Paris conserver à ce propos des séances hebdomadaires où l’on est reçu dès qu’on est sympathique aux esprits ; il voit, dans la plupart de nos grands centres, des réunions d’hommes influents évoquer les morts et ne recevoir des esprits trompeurs qui leur répondent que des illusions ou des fourberies. Dieu a condamné les évocations des morts ; les esprits qui se donnent des noms ne sont donc que ces puissances de l’air qui nous circonviennent pour nous entraîner. Voy. Tables.


  1. Les morts et les vivants, entretiens sur les communications d’outre-tombe, petit in-12.