Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/PAPIER-MONNOIE

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PAPIER-MONNOIE : tout le monde sait ce que c’est ; nos peres nous l’ont appris ; quelques vieillards pleurent encore lorsqu’ils en parlent ; les Anglo-Américains ont eu un papier-monnoie dans leur guerre avec les Anglo-Européens, & ils donnoient pour un dollard le billet qui en valoit dix. Malgré ces petites leçons, nous avons des gens qui soupirent après le papier-monnoie. C’est le seul moyen, vous disent-ils, de sauver la France, de ranimer le commerce & de vivifier tout ce qui est dans un état de mort… Ces bonnes gens, qu’ils connoissent peu ce dont nos agioteurs sont capables !… Écoutez sur-tout ce pauvre diable de rentier qui n’a que 45 liv. à recevoir, & à qui l’on présente un billet de caisse de 200 liv. : Ah ! Monsieur, s’écrie-t-il d’une voix que les sanglots étouffent ; ah ! Monsieur, si j’avois eu à vous rendre, je ne me serois pas traîné jusqu’ici. Pourquoi n’avez-vous pas fait de petits billets ? Je vais mourir de faim contre les vôtres. — Eh ! mon ami, c’est le repentir d’en avoir fait des gros qui nous empêche d’en faire des petits. Nous étions perdus si nous eussions commis cette bévue, & ce peu de monnoie de cuivre que l’avidité de nos marchands d’argent dédaigne, ils nous l’auroient enlevé. Nous étions sans espoir, au lieu que bientôt — que m’importe ton bientôt, répond l’homme aux 45 liv., si quand il arrivera je ne serai plus. La situation de ce bon homme consterne toute ame qui n’est point celle d’un marchand d’argent, mais les circonstances qui l’ont produite pouvoient en amener de pire encore.