Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Bataillon

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Éd. Garnier - Tome 17
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BATAILLON[1].

Ordonnance militaire.

La quantité d’hommes dont un bataillon a été successivement composé a changé depuis l’impression de l’Encyclopédie ; et on changera encore les calculs par lesquels, pour tel nombre donné d’hommes, on doit trouver les côtés du carré, les moyens de faire ce carré plein ou vide, et de faire d’un bataillon un triangle à l’imitation du cuneus des anciens, qui n’était cependant point un triangle. Voilà ce qui est déjà à l’article Bataillon, dans l’Encyclopédie ; et nous n’ajouterons que quelques remarques sur les propriétés ou sur les défauts de cette ordonnance.

La méthode de ranger les bataillons sur trois hommes de hauteur leur donne, selon plusieurs officiers, un front fort étendu, et des flancs très-faibles : le flottement, suite nécessaire de ce grand front, ôte à cette ordonnance les moyens d’avancer légèrement sur l’ennemi ; et la faiblesse de ses flancs l’expose à être battu toutes les fois que ses flancs ne sont pas appuyés ou protégés ; alors il est obligé de se mettre en carré, et il devient presque immobile : voilà, dit-on, ses défauts.

Ses avantages, ou plutôt son seul avantage, c’est de donner beaucoup de feu, parce que tous les hommes qui le composent peuvent tirer ; mais on croit que cet avantage ne compense pas ses défauts, surtout chez les Français.

La façon de faire la guerre aujourd’hui est toute différente de ce qu’elle était autrefois. On range une armée en bataille pour être en butte à des milliers de coups de canon ; on avance un peu plus ensuite pour donner et recevoir des coups de fusil, et l’armée qui la première s’ennuie de ce tapage a perdu la bataille. L’artillerie française est très-bonne, mais le feu de son infanterie est rarement supérieur, et fort souvent inférieur à celui des autres nations. On peut dire avec autant de vérité que la nation française attaque avec la plus grande impétuosité, et qu’il est très-difficile de résister à son choc. Le même homme qui ne peut pas souffrir patiemment des coups de canon pendant qu’il est immobile, et qui aura peur même, volera à la batterie, ira avec rage, s’y fera tuer, ou enclouera le canon : c’est ce qu’on a vu plusieurs fois. Tous les grands généraux ont jugé de même des Français. Ce serait augmenter inutilement cet article que de citer des faits connus ; on sait que le maréchal de Saxe voulait réduire toutes les affaires à des affaires de poste. Pour cette même raison, « les Français l’emporteront sur leurs ennemis, dit Folard, si on les abandonne dessus ; mais ils ne valent rien si on fait le contraire ».

On a prétendu qu’il faudrait croiser la baïonnette avec l’ennemi, et, pour le faire avec plus d’avantage, mettre les bataillons sur un front moins étendu, et en augmenter la profondeur ; ses flancs seraient plus sûrs, sa marche plus prompte, et son attaque plus forte. (Cet article est de M. D. P., officier de l’état-major.)


ADDITION[2].

Remarquons que l’ordre, la marche, les évolutions des bataillons, tels à peu près qu’on les met aujourd’hui en usage, ont été rétablis en Europe par un homme qui n’était point militaire, par Machiavel, secrétaire de Florence. Bataillons sur trois, sur quatre, sur cinq de hauteur ; bataillons marchant à l’ennemi ; bataillons carrés pour n’être point entamés après une déroute ; bataillons de quatre de profondeur soutenus par d’autres en colonne ; bataillons flanqués de cavalerie, tout est de lui. Il apprit à l’Europe l’art de la guerre : on la faisait depuis longtemps, mais on ne la savait pas.

Le grand-duc voulut que l’auteur de la Mandragore et de Clitie commandât l’exercice à ses troupes selon sa nouvelle méthode. Machiavel s’en donna bien de garde ; il ne voulut pas que les officiers et les soldats se moquassent d’un général en manteau noir : les officiers exercèrent les troupes en sa présence, et il se réserva pour le conseil.

C’est une chose singulière que toutes les qualités qu’il demande dans le choix d’un soldat. Il exige d’abord la gagliardia, et cette gaillardise signifie vigueur alerte ; il veut des yeux vifs et assurés, dans lesquels il y ait même de la gaieté, le cou nerveux, la poitrine large, le bras musculeux, les flancs arrondis, peu de ventre, les jambes et les pieds secs, tous signes d’agilité et de force.

Mais il veut surtout que le soldat ait de l’honneur, et veut que ce soit par l’honneur qu’on le mène. « La guerre, dit-il, ne corrompt que trop les mœurs ; » et il rappelle le proverbe italien qui dit : « La guerre forme les voleurs, et la paix leur dresse des potences. »

Machiavel fait très-peu de cas de l’infanterie française ; et il faut avouer que jusqu’à la bataille de Rocroi elle a été fort mauvaise. C’est un étrange homme que ce Machiavel ; il s’amusait à faire des vers, des comédies, à montrer de son cabinet l’art de se tuer régulièrement, et à enseigner aux princes l’art de se parjurer, d’assassiner et d’empoisonner dans l’occasion : grand art que le pape Alexandre VI et son bâtard César Borgia pratiquaient merveilleusement sans avoir besoin de ces leçons.

Observons que dans tous les ouvrages de Machiavel, sur tant de différents sujets, il n’y a pas un mot qui rende la vertu aimable, pas un mot qui parte du cœur. C’est une remarque qu’on a faite sur Boileau même. Il est vrai qu’il ne fait pas aimer la vertu, mais il la peint comme nécessaire.


BÂTARD, voyez BALA[3].


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Cette Addition est aussi de 1770. (B.)
  3. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770, l’article Bâtard commençait ainsi : Nous n’ajouterons que deux mots à l’article Bâtard de l’Encyclopédie. Venaient ensuite les deux alinéas de la page 532, commençant par les mots En Espagne, et La race d’Aragon, après lesquels était le renvoi qu’on lit aujourd’hui à la fin de l’article, et qui le terminait. (B.)


Barbe

Bataillon

Bayle