Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Académie

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Éd. Garnier - Tome 17
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ACADÉMIE[1].


Les académies sont aux universités ce que l’âge mûr est à l’enfance, ce que l’art de bien parler est à la grammaire, ce que la politesse est aux premières leçons de la civilité. Les académies n’étant point mercenaires doivent être absolument libres. Telles ont été les académies d’Italie, telle est l’Académie française, et surtout la Société royale de Londres.

L’Académie française, qui s’est formée elle-même, reçut à la vérité des lettres patentes de Louis XIII, mais sans aucun salaire, et par conséquent sans aucune sujétion. C’est ce qui engagea les premiers hommes du royaume, et jusqu’à des princes, à demander d’être admis dans cet illustre corps. La Société de Londres a eu le même avantage.

Le célèbre Colbert, étant membre de l’Académie française, employa quelques-uns de ses confrères à composer les inscriptions et les devises pour les bâtiments publics. Cette petite assemblée, dont furent ensuite Racine et Boileau, devint bientôt une académie à part. On peut dater même de l’année 1663 l’établissement de cette Académie des inscriptions, nommée aujourd’hui des belles-lettres, et celle de l’Académie des sciences de 1666. Ce sont deux établissements qu’on doit au même ministre, qui contribua en tant de genres à la splendeur du siècle de Louis XIV.

Lorsque après la mort de Jean-Baptiste Colbert, et celle du marquis de Louvois, le comte de Pontchartrain, secrétaire d’État, eut le département de Paris, il chargea l’abbé Bignon, son neveu, de gouverner les nouvelles académies. On imagina des places d’honoraires, qui n’exigeaient nulle science, et qui étaient sans rétribution ; des places de pensionnaires, qui demandaient du travail, désagréablement distinguées de celles des honoraires ; des places d’associés sans pension, et des places d’élèves, titre encore plus désagréable, et supprimé depuis.

L’Académie des belles-lettres fut mise sur le même pied. Toutes deux se soumirent à la dépendance immédiate du secrétaire d’État, et à la distinction révoltante des honorés, des pensionnés, et des élèves.

L’abbé Bignon osa proposer le même règlement à l’Académie française, dont il était membre. Il fut reçu avec une indignation unanime. Les moins opulents de l’Académie furent les premiers à rejeter ses offres, et à préférer la liberté et l’honneur à des pensions.

L’abbé Bignon, qui, avec l’intention louable de faire du bien, n’avait pas assez ménagé la noblesse des sentiments de ses confrères, ne remit plus le pied à l’Académie française ; il régna dans les autres tant que le comte de Pontchartrain fut en place. Il résumait même les Mémoires lus aux séances publiques, quoiqu’il faille l’érudition la plus profonde et la plus étendue pour rendre compte sur-le-champ d’une dissertation sur des points épineux de physique et de mathématiques ; et il passa pour un Mécène. Cet usage de résumer les discours a cessé, mais la dépendance est demeurée.

Ce mot d’académie devint si célèbre que lorsque Lulli, qui était une espèce de favori, eut obtenu l’établissement de son Opéra en 1672, il eut le crédit de faire insérer dans les patentes que c’était une « Académie royale de musique, et que les gentilshommes et les demoiselles pourraient y chanter sans déroger ». Il ne fit pas le même honneur aux danseurs et aux danseuses ; cependant le public a toujours conservé l’habitude d’aller à l’Opéra, et jamais à l’Académie de musique.

On sait que ce mot académie, emprunté des Grecs, signifiait originairement une société, une école de philosophie d’Athènes, qui s’assemblait dans un jardin légué par Academus.

Les Italiens furent les premiers qui instituèrent de telles sociétés après la renaissance des lettres, L’Académie de la Crusca est du XVIe siècle. Il y en eut ensuite dans toutes les villes où les sciences étaient cultivées.

Ce titre a été tellement prodigué en France qu’on l’a donné pendant quelques années à des assemblées de joueurs qu’on appelait autrefois des tripots. On disait académies de jeu. On appela les jeunes gens qui apprenaient l’équitation et l’escrime dans des écoles destinées à ces arts, académistes, et non pas académiciens.

Le titre d’académicien n’a été attaché par l’usage qu’aux gens de lettres des trois Académies, la française, celle des sciences, celle des inscriptions.

L’Académie française a rendu de grands services à la langue.

Celle des sciences a été très utile, en ce qu’elle n’adopte aucun système, et qu’elle publie les découvertes et les tentatives nouvelles.

Celle des inscriptions s’est occupée des recherches sur les monuments de l’antiquité, et depuis quelques années il en est sorti des mémoires très instructifs.

C’est un devoir établi par l’honnêteté publique, que les membres de ces trois Académies se respectent les uns les autres dans les recueils que ces sociétés impriment. L’oubli de cette politesse nécessaire est très rare. Cette grossièreté n’a guère été reprochée de nos jours qu’à l’abbé Foucher[2] de l’Académie des inscriptions, qui, s’étant trompé dans un mémoire sur Zoroastre, voulut appuyer sa méprise par des expressions qui autrefois étaient trop en usage dans les écoles, et que le savoir-vivre a proscrites ; mais le corps n’est pas responsable des fautes des membres.

La Société de Londres n’a jamais pris le titre d’académie.

Les académies dans les provinces ont produit des avantages signalés. Elles ont fait naître l’émulation, forcé au travail, accoutumé les jeunes gens à de bonnes lectures, dissipé l’ignorance et les préjugés de quelques villes, inspiré la politesse, et chassé autant qu’on le peut le pédantisme[3].

On n’a guère écrit contre l’Académie française que des plaisanteries frivoles et insipides. La comédie des Académiciens, de Saint-Évremond, eut quelque réputation en son temps ; mais une preuve de son peu de mérite, c’est qu’on ne s’en souvient plus, au lieu que les bonnes satires de Boileau sont immortelles. Je ne sais pourquoi Pellisson dit que la comédie des Académiciens tient de la farce. Il me semble que c’est un simple dialogue sans intrigue et sans sel, aussi fade que le sir Politick et que la comédie des Opéra, et que presque tous les ouvrages de Saint-Évremond, qui ne sont, à quatre ou cinq pièces près, que des futilités en style pincé et en antithèses.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)
  2. Voyez le Mercure de France, juin, page 151 ; juillet, deuxième volume, page 144 ; et août, page 122, année 1769. (Note de Voltaire.) — Les numéros du Mercure cités ici contiennent deux lettres de Bigex (ou écrites sous son nom) à Foucher, et la réponse de Foucher à la première. Voyez les deux lettres à Foucher dans les Mélanges, année 1769.
  3. C’est ici que finissait l’article en 1770. La fin de l’article est dans l’édition de 1775, encadrée. (B.)


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