Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Alger

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Éd. Garnier - Tome 17
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ALGER[1].


La philosophie est le principal objet de ce dictionnaire. Ce n’est pas en géographes que nous parlerons d’Alger, mais pour faire remarquer que le premier dessein de Louis XIV, lorsqu’il prit les rênes de l’État, fut de délivrer l’Europe chrétienne des courses continuelles des corsaires de Barbarie[2]. Ce projet annonçait une grande âme. Il voulait aller à la gloire par toutes les routes. On peut même s’étonner qu’avec l’esprit d’ordre qu’il mit dans sa cour, dans les finances et dans les affaires, il eût je ne sais quel goût d’ancienne chevalerie qui le portait à des actions généreuses et éclatantes qui tenaient même un peu du romanesque. Il est très certain que Louis XIV tenait de sa mère beaucoup de cette galanterie espagnole noble et délicate, et beaucoup de cette grandeur, de cette passion pour la gloire, de cette fierté qu’on voit dans les anciens romans. Il parlait de se battre avec l’empereur Léopold comme les chevaliers qui cherchaient les aventures. Sa pyramide érigée à Rome, la préséance qu’il se fit céder, l’idée d’avoir un port auprès d’Alger pour brider ses pirateries, étaient encore de ce genre. Il y était encore excité par le pape Alexandre VII ; et le cardinal Mazarin, avant sa mort, lui avait inspiré ce dessein. Il avait même longtemps balancé s’il irait à cette expédition en personne, à l’exemple de Charles-Quint ; mais il n’avait pas assez de vaisseaux pour exécuter une si grande entreprise, soit par lui-même, soit par ses généraux. Elle fut infructueuse, et devait l’être. Du moins elle aguerrit sa marine, et fit attendre de lui quelques-unes de ces actions nobles et héroïques auxquelles la politique ordinaire n’était point accoutumée, telles que les secours désintéressés donnés aux Vénitiens assiégés dans Candie, et aux Allemands pressés par les armes ottomanes à Saint-Gothard.

Les détails de cette expédition d’Afrique se perdent dans la foule des guerres heureuses ou malheureuses faites avec politique ou avec imprudence, avec équité ou avec injustice. Rapportons seulement cette lettre, écrite il y a quelques années à l’occasion des pirateries d’Alger :

« Il est triste, monsieur, qu’on n’ait point écouté les propositions de l’ordre de Malte, qui offrait, moyennant un subside médiocre de chaque État chrétien, de délivrer les mers des pirates d’Alger, de Maroc et de Tunis. Les chevaliers de Malte seraient alors véritablement les défenseurs de la chrétienté. Les Algériens n’ont actuellement que deux vaisseaux de cinquante canons, et cinq d’environ quarante, quatre de trente ; le reste ne doit pas être compté.

« Il est honteux qu’on voie tous les jours leurs petites barques enlever nos vaisseaux marchands dans toute la Méditerranée. Ils croisent même jusqu’aux Canaries, et jusqu’aux Açores.

« Leurs milices, composées d’un ramas de nations, anciens Mauritaniens, anciens Numides, Arabes, Turcs, Nègres même, s’embarquent presque sans équipages sur des chebecs de dix-huit à vingt pièces de canon ; ils infestent toutes nos mers comme des vautours qui attendent une proie. S’ils voient un vaisseau de guerre, ils s’enfuient ; s’ils voient un vaisseau marchand, ils s’en emparent ; nos amis, nos parents, hommes et femmes, deviennent esclaves, et il faut aller supplier humblement les barbares de daigner recevoir notre argent pour nous rendre leurs captifs.

« Quelques États chrétiens ont la honteuse prudence de traiter avec eux, et de leur fournir des armes avec lesquelles ils nous dépouillent. On négocie avec eux en marchands, et ils négocient en guerriers.

« Rien ne serait plus aisé que de réprimer leurs brigandages ; on ne le fait pas. Mais que de choses seraient utiles et aisées qui sont négligées absolument ! La nécessité de réduire ces pirates est reconnue dans les conseils de tous les princes, et personne ne l’entreprend. Quand les ministres de plusieurs cours en parlent par hasard ensemble, c’est le conseil tenu contre les chats.

« Les religieux de la rédemption des captifs sont la plus belle institution monastique ; mais elle est bien honteuse pour nous. Les royaumes de Fez, Alger, Tunis, n’ont point de marabous de la rédemption des captifs. C’est qu’ils nous prennent beaucoup de chrétiens, et nous ne leur prenons guère de musulmans.

« Ils sont cependant plus attachés à leur religion que nous à la nôtre : car jamais aucun Turc, aucun Arabe ne se fait chrétien, et ils ont chez eux mille renégats qui même les servent dans leurs expéditions. Un Italien, nommé Pelegini, était, en 1712, général des galères d’Alger. Le miramolin, le bey, le dey, ont des chrétiennes dans leurs sérails ; et nous n’avons eu que deux filles turques qui aient eu des amants à Paris[3].

« La milice d’Alger ne consiste qu’en douze mille hommes de troupes réglées ; mais tout le reste est soldat, et c’est ce qui rend la conquête de ce pays si difficile. Cependant les Vandales les subjuguèrent aisément, et nous n’osons les attaquer ! etc. »


  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)
  2. Voyez l’Expédition de Gigeri, par Pellisson. (Note de Voltaire.) — Année 1664, livre II de son Histoire de Louis XIV, tome Ier, pages 197-198.
  3. Dont l’une, Mlle  Aïssé. — On signale encore, lors de la Révolution, une dame échappée du harem, à laquelle le roi avait accordé l’autorisation de tenir à Rueil une maison de jeu, et qui, après le 10 août, envoya à l’Assemblée législative son offrande patriotique. (G. A.)


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