Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Calebasse

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Éd. Garnier - Tome 18
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C.
CALEBASSE[1].

Ce fruit, gros comme nos citrouilles, croît en Amérique aux branches d’un arbre aussi haut que les plus grands chênes.

Ainsi Matthieu Garo[2], qui croit avoir eu tort en Europe de trouver mauvais que les citrouilles rampent à terre, et ne soient pas pendues au haut des arbres, aurait eu raison au Mexique. Il aurait eu encore raison dans l’Inde, où les cocos sont fort élevés. Cela prouve qu’il ne faut jamais se hâter de conclure. Dieu fait bien ce qu’il fait, sans doute ; mais il n’a pas mis les citrouilles à terre dans nos climats de peur qu’en tombant de haut elles n’écrasent le nez de Matthieu Garo[3].

La calebasse ne servira ici qu’à faire voir qu’il faut se défier de l’idée que tout a été fait pour l’homme. Il y a des gens qui prétendent que le gazon n’est vert que pour réjouir la vue. Les apparences pourtant seraient que l’herbe est plutôt faite pour les animaux qui la broutent, que pour l’homme, à qui le gramen et le trèfle sont assez inutiles. Si la nature a produit les arbres en faveur de quelque espèce, il est difficile de dire à qui elle a donné la préférence : les feuilles, et même l’écorce, nourrissent une multitude prodigieuse d’insectes ; les oiseaux mangent leurs fruits, habitent entre leurs branches, y composent l’industrieux artifice de leurs nids ; et les troupeaux se reposent sous leurs ombres. L’auteur du Spectacle de la nature[4] prétend que la mer n’a un flux et un reflux que pour faciliter le départ et l’entrée de nos vaisseaux. Il paraît que Matthieu Garo raisonnait encore mieux : la Méditerranée, sur laquelle on a tant de vaisseaux, et qui n’a de marée qu’en trois ou quatre endroits, détruit l’opinion de ce philosophe.

Jouissons de ce que nous avons, et ne croyons pas être la fin et le centre de tout. Voici sur cette maxime quatre petits vers d’un géomètre ; il les calcula un jour en ma présence : ils ne sont pas pompeux :

Homme chétif, la vanité te point.
Tu te fais centre : encor si c’était ligne !
Mais dans l’espace à grand’peine es-tu point.
Va, sois zéro : ta sottise en est digne.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Voyez la fable de Matthieu Garo, dans La Fontaine, livre IX, fable v, le Gland et la Citrouille. (Note de Voltaire.)
  3. Voltaire a parlé de Matthieu Garo dans le sixième des Discours en vers sur l’homme.
  4. Pluche. Voyez ci-devant l’article Bornes de l’esprit humain.


Bulle

Calebasse

Caractère