Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Déjection

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Éd. Garnier - Tome 18
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DÉJECTION[1].

Excréments ; leur rapport avec le corps de l’homme, avec ses idées
et ses passions.

L’homme n’a jamais pu produire par l’art rien de ce que fait la nature. Il a cru faire de l’or, et il n’a jamais pu seulement faire de la boue, quoiqu’il en soit pétri. On nous a fait voir un canard artificiel qui marchait, qui béquetait ; mais on n’a pu réussir à le faire digérer, et à former de vraies déjections.

Quel art pourrait produire une matière qui, ayant été préparée par les glandes salivaires, ensuite par le suc gastrique, puis par la bile hépatique, et par le suc pancréatique, ayant fourni dans sa route un chyle qui s’est changé en sang, devient enfin ce composé fétide et putride qui sort de l’intestin rectum par la force étonnante des muscles ?

Il y a sans doute autant d’industrie et de puissance à former ainsi cette déjection qui rebute la vue, et à lui préparer les conduits qui servent à sa sortie, qu’à produire la semence qui fit naître Alexandre, Virgile et Newton, et les yeux avec lesquels Galilée vit de nouveaux cieux. La décharge de ces excréments est nécessaire à la vie comme la nourriture.

Le même artifice les prépare, les pousse et les évacue, chez l’homme et chez les animaux.

Ne nous étonnons pas que l’homme, avec tout son orgueil, naisse entre la matière fécale et l’urine, puisque ces parties de lui-même, plus ou moins élaborées, plus souvent ou plus rarement expulsées, plus ou moins putrides, décident de son caractère et de la plupart des actions de sa vie.

Sa merde commence à se former dans le duodénum quand ses aliments sortent de son estomac et s’imprègnent de la bile de son foie. Qu’il ait une diarrhée, il est languissant et doux, la force lui manque pour être méchant. Qu’il soit constipé, alors les sels et les soufres de sa merde entrent dans son chyle, portent l’acrimonie dans son sang, fournissent souvent à son cerveau des idées atroces. Tel homme (et le nombre en est grand) n’a commis des crimes qu’à cause de l’acrimonie de son sang, qui ne venait que de ses excréments par lesquels ce sang était altéré.

Ô homme ! qui oses te dire l’image de Dieu, dis-moi si Dieu mange, et s’il a un boyau rectum.

Toi l’image de Dieu ! et ton cœur et ton esprit dépendent d’une selle !

Toi l’image de Dieu sur ta chaise percée ! Le premier qui dit cette impertinence la proféra-t-il par une extrême bêtise, ou par un extrême orgueil ?

Plus d’un penseur (comme vous le verrez ailleurs) a douté qu’une âme immatérielle et immortelle pût venir, de je ne sais où, se loger pour si peu de temps entre de la matière fécale et de l’urine.

Qu’avons-nous, disent- ils, au-dessus des animaux ? Plus d’idées, plus de mémoire, la parole, et deux mains adroites. Qui nous les a données ? Celui qui donne des ailes aux oiseaux et des écailles aux poissons. Si nous sommes ses créatures, comment pouvons-nous être son image ?

Nous répondons à ces philosophes que nous ne sommes l’image de Dieu que par la pensée. Ils nous répliquent que la pensée est un don de Dieu, qui n’est point du tout sa peinture ; et que nous ne sommes images de Dieu en aucune façon. Nous les laissons dire, et nous les renvoyons à messieurs de Sorbonne.

Plusieurs animaux mangent nos excréments ; et nous mangeons ceux de plusieurs animaux, ceux des grives, des bécasses, des ortolans, des alouettes.

Voyez à l’article Ézéchiel pourquoi le Seigneur lui ordonna de manger de la merde sur son pain, et se borna ensuite à la fiente de vache.

Nous avons connu le trésorier Paparel qui mangeait les déjections des laitières ; mais ce cas est rare, et c’est celui de ne pas disputer des goûts.


  1. Cet article fut ajouté en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
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