Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Démoniaques

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Éd. Garnier - Tome 18
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DÉMONIAQUES[1].

Possédés du démon, énergumènes, exorcisés, « ou plutôt » malades de la matrice, des pâles couleurs, hypocondriaques, épileptiques, cataleptiques, guéris par les émollients de M. Pomme, grand exorciste.


Les vaporeux, les épileptiques, les femmes travaillées de l’utérus, passèrent toujours pour être les victimes des esprits malins, des démons malfaisants, des vengeances des dieux. Nous avons vu[2] que ce mal s’appelait le mal sacré, et que les prêtres de l’antiquité s’emparèrent partout de ces maladies, attendu que les médecins étaient de grands ignorants.

Quand les symptômes étaient fort compliqués, c’est qu’on avait plusieurs démons dans le corps, un démon de fureur, un de luxure, un de contraction, un de roideur, un d’éblouissement, un de surdité ; et l’exorciseur avait à coup sûr un démon d’absurdité joint à un de friponnerie.

[3] Nous avons vu[4] que les Juifs chassaient les diables du corps des possédés avec la racine barath et des paroles ; que notre Sauveur les chassait par une vertu divine, qu’il communiqua cette vertu à ses apôtres, mais que cette vertu est aujourd’hui fort affaiblie.

On a voulu renouveler depuis peu l’histoire de saint Paulin. Ce saint vit à la voûte d’une église un pauvre démoniaque qui marchait sous cette voûte ou sur cette voûte, la tête en bas et les pieds en haut, à peu près comme une mouche. Saint Paulin vit bien que cet homme était possédé ; il envoya vite chercher à quelques lieues de là des reliques de saint Félix de Nole : on les appliqua au patient comme des vésicatoires. Le démon, qui soutenait cet homme contre la voûte, s’enfuit aussitôt, et le démoniaque tomba sur le pavé.

Nous pouvons douter de cette histoire en conservant le plus profond respect pour les vrais miracles ; et il nous sera permis de dire que ce n’est pas ainsi que nous guérissons aujourd’hui les démoniaques. Nous les saignons, nous les baignons, nous les purgeons doucement, nous leur donnons des émollients : voilà comme M. Pomme les traite ; et il a opéré plus de cures que les prêtres d’Isis et de Diane, ou autres, n’ont jamais fait de miracles.

Quant aux démoniaques qui se disent possédés pour gagner de l’argent, au lieu de les baigner on les fouette.

Il arrivait souvent que des épileptiques ayant les fibres et les muscles desséchés pesaient moins qu’un pareil volume d’eau, et surnageaient quand on les mettait dans le bain. On criait : Miracle ! on disait : C’est un possédé ou un sorcier ; on allait chercher de l’eau bénite ou un bourreau. C’était une preuve indubitable, ou que le démon s’était rendu maître du corps de la personne surnageante, ou qu’elle s’était donnée à lui. Dans le premier cas elle était exorcisée, dans le second elle était brûlée.

C’est ainsi que nous avons raisonné et agi pendant quinze ou seize cents ans ; et nous avons osé nous moquer des Cafres[5] ! c’est une exclamation qui peut souvent échapper[6].

En 1603, dans une petite ville de la Franche-Comté, une femme de qualité faisait lire les Vies des saints à sa belle-fille devant ses parents ; cette jeune personne, un peu trop instruite, mais ne sachant pas l’orthographe, substitua le mot d’histoires à celui de vies. Sa marâtre, qui la haïssait, lui dit aigrement : Pourquoi ne lisez-vous pas comme il y a ? La petite fille rougit, trembla, n’osa répondre ; elle ne voulut pas déceler celle de ses compagnes qui lui avait appris le mot propre mal orthographié, qu’elle avait eu la pudeur de ne pas prononcer. Un moine, confesseur de la maison, prétendit que c’était le diable qui lui avait enseigné ce mot. La fille aima mieux se taire que se justifier : son silence fut regardé comme un aveu. L’Inquisition la convainquit d’avoir fait un pacte avec le diable. Elle fut condamnée à être brûlée, parce qu’elle avait beaucoup de bien de sa mère, et que la confiscation appartenait de droit aux inquisiteurs : elle fut la cent millième victime de la doctrine des démoniaques, des possédés, des exorcismes, et des véritables diables qui ont régné sur la terre.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)
  2. Tome XI, page 136 ; et dans les Mélanges, année 1768, le troisième entretien de l’A, B, C.
  3. Cet alinéa n’existait pas en 1771 : il a été ajouté en 1774. (B.)
  4. Voyez la note 1, tome XI, page 137.
  5. Voyez à la fin de l’article Convulsions.
  6. Fin de l’article en 1771 ; l’addition est de 1774.
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