Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Dévot

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Éd. Garnier - Tome 18
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DÉVOT[1].

L’Évangile au chrétien ne dit en aucun lieu :
Sois dévot ; elle dit : Sois doux, simple, équitable ;
Car d’un dévot souvent au chrétien véritable
La distance est deux fois plus longue, à mon avis,
Que du pôle antarctique au détroit de Davis.

(Boileau, sat. XI, vers 112-116.)


Il est bon de remarquer, dans nos Questions[2], que Boileau est le seul poëte qui ait jamais fait Évangile féminin[3]. On ne dit point la sainte Évangile, mais le saint Évangile. Ces inadvertances échappent aux meilleurs écrivains ; il n’y a que des pédants qui en triomphent. Il est aisé de mettre à la place :

L’Évangile au chrétien ne dit en aucun lieu :
Sois dévot ; mais il dit : Sois doux, simple, équitable.

À l’égard de Davis, il n’y a point de détroit de Davis, mais un détroit de David[4]. Les Anglais mettent un s au génitif, et c’est la source de la méprise. Car, au temps de Boileau, personne en France n’apprenait l’anglais, qui est aujourd’hui l’objet de l’étude des gens de lettres. C’est un habitant du mont Krapac qui a inspiré aux Français le goût de cette langue, et qui, leur ayant fait connaître la philosophie et la poésie anglaises, a été pour cela persécuté par des Welches.

Venons à présent au mot dévot ; il signifie dévoué ; et dans le sens rigoureux du terme, cette qualification ne devrait appartenir qu’aux moines et aux religieuses qui font des vœux. Mais comme il n’est pas plus parlé de vœux que de dévots dans l’Évangile, ce titre ne doit en effet appartenir à personne. Tout le monde doit être également juste. Un homme qui se dit dévot ressemble à un roturier qui se dit marquis ; il s’arroge une qualité qu’il n’a pas. Il croit valoir mieux que son prochain. On pardonne cette sottise à des femmes ; leur faiblesse et leur frivolité les rendent excusables ; les pauvres créatures passent d’un amant à un directeur avec bonne foi ; mais on ne pardonne pas aux fripons qui les dirigent, qui abusent de leur ignorance, qui fondent le trône de leur orgueil sur la crédulité du sexe. Ils se forment un petit sérail mystique, composé de sept ou huit vieilles beautés subjuguées par le poids de leur désœuvrement, et presque toujours ces sujettes payent des tributs à leur nouveau maître. Point de jeune femme sans amant, point de vieille dévote sans un directeur. Oh ! que les Orientaux sont plus sensés que nous ! Jamais un bacha n’a dit : « Nous soupâmes hier avec l’aga des janissaires qui est l’amant de ma sœur, et le vicaire de la mosquée, qui est le directeur de ma femme. »


  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B)
  2. L’article Dévot faisait, comme on l’a vu, partie des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  3. Brossette, dans sa lettre du 10 août 1706, consulta Boileau lui-même au sujet de ce féminin. La réponse de Boileau n’existe pas. (B.)
  4. Le grand détroit entre l’Amérique septentrionale et le Groenland est appelé détroit de Davis, du nom de Jean Davis, navigateur anglais, qui le découvrit en 1585. (B.)


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