Fausseté
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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Fausseté des vertus humaines
Quand le duc de La Rochefoucauld eut écrit ses pensées sur l’amour-propre, et qu’il eut mis à découvert ce ressort de l’homme, un monsieur Esprit, de l’Oratoire, écrivit un livre captieux, intitulé De la Fausseté des vertus humaines[2]. Cet Esprit dit qu’il n’y a point de vertu ; mais par grâce il termine chaque chapitre en renvoyant à la charité chrétienne. Aussi, selon le sieur Esprit, ni Caton, ni Aristide, ni Marc-Aurèle, ni Épictète, n’étaient des gens de bien : mais on n’en peut trouver que chez les chrétiens. Parmi les chrétiens, il n’y a de vertu que chez les catholiques ; parmi les catholiques, il fallait encore en excepter les jésuites, ennemis des oratoriens : partant, la vertu ne se trouvait guère que chez les ennemis des jésuites.
Ce monsieur Esprit commence par dire que la prudence n’est pas une vertu ; et sa raison est qu’elle est souvent trompée. C’est comme si on disait que César n’était pas un grand capitaine parce qu’il fut battu à Dirrachium.
Si monsieur Esprit avait été philosophe, il n’aurait pas examiné la prudence comme une vertu, mais comme un talent, comme une qualité utile, heureuse ; car un scélérat peut être très-prudent, et j’en ai connu de cette espèce. Ô la rage de prétendre que
Nul n’aura de vertu que nous et nos amis[3] !
Qu’est-ce que la vertu, mon ami ? c’est de faire du bien : fais-nous-en, et cela suffit. Alors nous te ferons grâce du motif. Quoi ! selon toi il n’y aura nulle différence entre le président de Thou et Ravaillac ? entre Cicéron et ce Popilius auquel il avait sauvé la vie, et qui lui coupa la tête pour de l’argent ? et tu déclareras Épictète et Porphyre des coquins, pour n’avoir pas suivi nos dogmes ? Une telle insolence révolte. Je n’en dirai pas davantage, car je me mettrais en colère.
- ↑ Dictionnaire philosophique, 1764. (B.)
- ↑ 1768, 2 volumes in-12.
- ↑ Parodie de ce vers :
Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.
(Molière, Femmes savantes, III, ii.)