Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Flatterie

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Éd. Garnier - Tome 19
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FLATTERIE[1].

Je ne vois pas un monument de flatterie dans la haute antiquité ; nulle flatterie dans Hésiode ni dans Homère. Leurs chants ne sont point adressés à un Grec élevé en quelque dignité, ou à madame sa femme, comme chaque chant des Saisons de Thomson est dédié à quelque riche, et comme tant d’épîtres en vers, oubliées, sont dédiées en Angleterre à des hommes ou à des dames de considération, avec un petit éloge et les armoiries du patron ou de la patronne à la tête de l’ouvrage.

Il n’y a point de flatterie dans Démosthène. Cette façon de demander harmonieusement l’aumône commence, si je ne me trompe, à Pindare. On ne peut tendre la main plus emphatiquement.

Chez les Romains, il me semble que la grande flatterie date depuis Auguste. Jules César eut à peine le temps d’être flatté. Il ne nous reste aucune épître dédicatoire à Sylla, à Marius, à Carbon, ni à leurs femmes ni à leurs maîtresses. Je crois bien que l’on présenta de mauvais vers à Lucullus et à Pompée ; mais, Dieu merci, nous ne les avons pas.

C’est un grand spectacle de voir Cicéron, l’égal de César en dignité, parler devant lui en avocat pour un roi de la Bithynie et de la Petite-Arménie, nommé Déjotar, accusé de lui avoir dressé des embûches, et même d’avoir voulu l’assassiner. Cicéron commence par avouer qu’il est interdit en sa présence. Il l’appelle le vainqueur du monde, victorem orbis terrarum. Il le flatte ; mais cette adulation ne va pas encore jusqu’à la bassesse ; il lui reste quelque pudeur.

C’est avec Auguste qu’il n’y a plus de mesure. Le sénat lui décerne l’apothéose de son vivant. Cette flatterie devient le tribut ordinaire payé aux empereurs suivants : ce n’est plus qu’un style. Personne ne peut plus être flatté, quand ce que l’adulation a de plus outré est devenu ce qu’il y a de plus commun.

Nous n’avons pas eu en Europe de grands monuments de flatterie jusqu’à Louis XIV. Son père Louis XIII fut très-peu fêté ; il n’est question de lui que dans une ou deux odes de Malherbe. Il l’appelle, à la vérité, selon la coutume, roi le plus grand des rois, comme les poëtes espagnols le disent au roi d’Espagne, et les poëtes anglais lauréats au roi d’Angleterre ; mais la meilleure part des louanges est toujours pour le cardinal de Richelieu.

Son âme toute grande est une âme hardie,
Qui pratique si bien l’art de nous secourir
Que, pourvu qu’il soit cru, nous n’avons maladie
Qu’il ne sache guérir[2].

Pour Louis XIV, ce fut un déluge de flatteries. Il ne ressemblait pas à celui qu’on prétend avoir été étouffé sous les feuilles de roses qu’on lui jetait. Il ne s’en porta que mieux.

La flatterie, quand elle a quelques prétextes plausibles, peut n’être pas aussi pernicieuse qu’on le dit. Elle encourage quelquefois aux grandes choses ; mais l’excès est vicieux comme celui de la satire.

La Fontaine a dit, et prétend avoir dit après Ésope :

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Ésope[3] le disait ; j’y souscris quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.

(Liv. I, fable xiv.)

Ésope n’a rien dit de cela, et on ne voit point qu’il ait flatté aucun roi ni aucune concubine. Il ne faut pas croire que les rois soient bien flattés de toutes les flatteries dont on les accable. La plupart ne viennent pas jusqu’à eux.

Une sottise fort ordinaire est celle des orateurs qui se fatiguent à louer un prince qui n’en saura jamais rien. Le comble de l’opprobre est qu’Ovide ait loué Auguste en datant de Ponto[4].

Le comble du ridicule pourrait bien se trouver dans les compliments que les prédicateurs adressent aux rois quand ils ont le bonheur de jouer devant leur majesté. Au révérend, révérend père Gaillard, prédicateur du roi : Ah ! révérend père, ne prêches-tu que pour le roi ? es-tu comme le singe de la Foire, qui ne sautait que pour lui ?


  1. Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)
  2. Ode de Malherbe (au roi, allant châtier la rébellion des Rochelois). Mais pourquoi Richelieu ne guérissait-il pas Malherbe de la maladie de faire des vers si plats ? (Note de Voltaire.)
  3. On lit dans La Fontaine : Malherbe le disait, etc.
  4. Où il était exilé.


Finesse

Flatterie

Fleuri