Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Froid

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Éd. Garnier - Tome 19
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FROID[1].

De ce qu’on entend par ce terme dans les belles-lettres
et dans les beaux-arts.

On dit qu’un morceau de poésie, d’éloquence, de musique, un tableau même, est froid, quand on attend dans ces ouvrages une expression animée qu’on n’y trouve pas. Les autres arts ne sont pas si susceptibles de ce défaut. Ainsi l’architecture, la géométrie, la logique, la métaphysique, tout ce qui a pour unique mérite la justesse, ne peut être ni échauffé, ni refroidi. Le tableau de la Famille de Darius, peint par Mignard, est très-froid, en comparaison du tableau de Lebrun, parce qu’on ne trouve point dans les personnages de Mignard cette même affliction que Lebrun a si vivement exprimée sur le visage et dans les attitudes des princesses persanes. Une statue même peut être froide. On doit voir la crainte et l’horreur dans les traits d’une Andromède, l’effort de tous les muscles et une colère mêlée d’audace dans l’attitude et sur le front d’un Hercule qui soulève Antée.

Dans la poésie, dans l’éloquence, les grands mouvements des passions deviennent froids quand ils sont exprimés en termes trop communs et dénués d’imagination. C’est ce qui fait que l’amour, qui est si vif dans Racine, est languissant dans Campistron son imitateur.

Les sentiments qui échappent à une âme qui veut les cacher demandent au contraire les expressions les plus simples. Rien n’est si vif, si animé que ces vers du Cid[2] : « Va, je ne te hais point... Tu le dois... Je ne puis. » Ce sentiment deviendrait froid s’il était relevé par des termes étudiés.

C’est par cette raison que rien n’est si froid que le style ampoulé. Un héros, dans une tragédie[3] dit qu’il a essuyé une tempête, qu’il a vu périr son ami dans cet orage ; il touche, il intéresse, s’il parle avec douleur de sa perte, s’il est plus occupé de son ami que de tout le reste ; il ne touche point, il devient froid, s’il fait une description de la tempête, s’il parle de « source de feu bouillonnant sur les eaux », et de « la foudre qui gronde, et qui frappe à sillons redoublés la terre et l’onde ». Ainsi le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l’intempérance des idées, souvent d’une diction trop commune, quelquefois d’une diction trop recherchée.

L’auteur qui n’est froid que parce qu’il est vif à contre-temps peut corriger ce défaut d’une imagination trop abondante ; mais celui qui est froid parce qu’il manque d’âme n’a pas de quoi se corriger. On peut modérer son feu ; on ne saurait en acquérir.


  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)
  2. Acte III, scène iv.
  3. Tydée, dans l’Électre de Crébillon, acte II, scène ire.


Frivolité

Froid

Galant