Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Hermès

La bibliothèque libre.
Éd. Garnier - Tome 19
◄  Hérésie Hermès, ou Ermès Hérodote   ►


HERMÈS, ou ERMÈS, ou MERCURE TRISMÉGISTE, ou THAUT, ou TAUT, ou THOT[1].

On néglige cet ancien livre de Mercure Trismégiste, et on peut n’avoir pas tort. Il a paru à des philosophes un sublime galimatias ; et c’est peut-être pour cette raison qu’on l’a cru l’ouvrage d’un grand platonicien.

Toutefois, dans ce chaos théologique, que de choses propres à étonner et à soumettre l’esprit humain ! Dieu, dont la triple essence est sagesse, puissance et bonté ; Dieu, formant le monde par sa pensée, par son verbe ; Dieu, créant des dieux subalternes ; Dieu, ordonnant à ces dieux de diriger les orbes célestes, et de présider au monde ; le soleil, fils de Dieu ; l’homme, image de Dieu par la pensée ; la lumière, principal ouvrage de Dieu, essence divine ; toutes ces grandes et vives images éblouirent l’imagination subjuguée.

Il reste à savoir si ce livre, aussi célèbre que peu lu, fut l’ouvrage d’un Grec ou d’un Égyptien.

Saint Augustin ne balance pas à croire que le livre est d’un Égyptien[2] qui prétendait être descendu de l’ancien Mercure, de cet ancien Thaut, premier législateur de l’Égypte.

Il est vrai que saint Augustin ne savait pas plus l’égyptien que le grec ; mais il faut bien que de son temps on ne doutât pas que l’Hermès dont nous avons la théologie ne fût un sage de l’Égypte, antérieur probablement au temps d’Alexandre, et l’un des prêtres que Platon alla consulter.

Il m’a toujours paru que la théologie de Platon ne ressemblait en rien à celle des autres Grecs, si ce n’est à celle de Timée, qui avait voyagé en Égypte ainsi que Pythagore.

L’Hermès Trismégiste que nous avons est écrit dans un grec barbare, assujetti continuellement à une marche étrangère. C’est une preuve qu’il n’est qu’une traduction dans laquelle on a plus suivi les paroles que le sens.

Joseph Scaliger, qui aida le seigneur de Candale, évêque d’Aire, à traduire l’Hermès ou Mercure Trismégiste, ne doute pas que l’original ne fût égyptien.

Ajoutez à ces raisons qu’il n’est pas vraisemblable qu’un Grec eût adressé si souvent la parole à Thaut. Il n’est guère dans la nature qu’on parle avec tant d’effusion de cœur à un étranger ; du moins on n’en voit aucun exemple dans l’antiquité.

L’Esculape égyptien qu’on fait parler dans ce livre, et qui peut-être en est l’auteur, écrit au roi d’Égypte Ammon[3] : « Gardez-vous bien de souffrir que les Grecs traduisent les livres de notre Mercure, de notre Thaut, parce qu’ils le défigureraient. » Certainement un Grec n’aurait point parlé ainsi.

Toutes les vraisemblances sont donc que ce fameux livre est égyptien.

Il y a une autre réflexion à faire, c’est que les systèmes d’Hermès et de Platon conspiraient également à s’étendre chez les écoles juives dès le temps des Ptolémées. Cette doctrine y fit bientôt de très-grands progrès. Vous la voyez étalée tout entière chez le juif Philon, homme savant à la mode de ces temps-là.

Il copie des passages entiers du Mercure Trismégiste dans son chapitre de la formation du monde. « Premièrement, dit-il, Dieu fit le monde intelligible, le ciel incorporel, et la terre invisible ; après il créa l’essence incorporelle de l’eau et de l’esprit, et enfin l’essence de la lumière incorporelle, patron du soleil et de tous les astres. »

Telle est la doctrine d’Hermès toute pure. Il ajoute que « le verbe ou la pensée invisible et intellectuelle est l’image de Dieu ».

Voilà la création du monde par le verbe, par La pensée, par le logos, bien nettement exprimée.

Vient ensuite la doctrine des nombres, qui passa des Égyptiens aux Juifs. Il appelle la raison : la parente de Dieu. Le nombre de sept est l’accomplissement de toute chose ; et c’est pourquoi, dit-il, la lyre n’a que sept cordes.

En un mot, Philon possédait toute la philosophie de son temps.

On se trompe donc quand on croit que les Juifs, sous le règne d’Hérode, étaient plongés dans la même espèce d’ignorance où ils étaient auparavant. Il est évident que saint Paul était très-instruit : il n’y a qu’à lire le premier chapitre de saint Jean, qui est si différent des autres, pour voir que l’auteur écrit précisément comme Hermès et comme Platon. « Au commencement était le verbe, et le verbe, le logos, était avec Dieu, et Dieu était le logos ; tout a été fait par lui, et sans lui rien n’est de ce qui fut fait. Dans lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. »

C’est ainsi que saint Paul dit[4] que « Dieu a créé les siècles par son fils ».

Dès le temps des apôtres vous voyez des sociétés entières de chrétiens qui ne sont que trop savants, et qui substituent une philosophie fantastique à la simplicité de la foi. Les Simon, les Ménandre, les Cérinthe, enseignaient précisément les dogmes d’Hermès. Leurs éons n’étaient autre chose que les dieux subalternes créés par le grand Être. Tous les premiers chrétiens ne furent donc pas des hommes sans lettres, comme on le dit tous les jours, puisqu’il y en avait plusieurs qui abusaient de leur littérature, et que même dans les Actes le gouverneur Festus dit à Paul : « Tu es fou, Paul ; trop de science t’a mis hors de sens. »

Cérinthe[5] dogmatisait du temps de saint Jean l’évangéliste. Ses erreurs étaient d’une métaphysique profonde et déliée. Les défauts qu’il remarquait dans la construction du monde lui firent penser, comme le dit le docteur Dupin, que ce n’était pas le Dieu souverain qui l’avait formé, mais une vertu inférieure à ce premier principe, laquelle n’avait pas connaissance du Dieu souverain. C’était vouloir corriger le système de Platon même ; c’était se tromper comme chrétien et comme philosophe. Mais c’était en même temps montrer un esprit très-délié et très-exercé.

Il en est de même des primitifs appelés quakers, dont nous avons tant parlé[6]. On les a pris pour des hommes qui ne savaient que parler du nez, et qui ne faisaient nul usage de leur raison. Cependant il y en eut plusieurs parmi eux qui employaient toutes les finesses de la dialectique. L’enthousiasme n’est pas toujours le compagnon de l’ignorance totale ; il l’est souvent d’une science erronée.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Cité de Dieu, livre VIII, chapitre xxvi. (Note de Voltaire.)
  3. Préface du Mercure Trismégiste. (Id.)
  4. Épître aux Hébreux, chapitre i, v. 2. (Note de Voltaire.)
  5. Voyez ci-dessus Hérésie, section ire, note de la page 335.
  6. C’est aux quakers que Voltaire a consacré les quatre premières de ses Lettres philosophiques (voyez les Mélanges, année 1734) ; il en est question dans les notes à Olympie, et encore tome XI, page 51 ; tome XII, pages 420 et 424 ; tome XVII, pages 74 et 546 ; tome XVIII, page 492. Voyez aussi ci-après les articles Quakers et Tolérance. Voltaire en parle passagèrement dans beaucoup d’autres endroits de ses ouvrages. Enfin c’est sous le nom d’un quaker qu’il a adressé deux lettres à Lefranc de Pompignan (Mélanges, années 1763 et 1764).


Hérésie

Hermès, ou Ermès

Hérodote