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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Introduction

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Œuvres complètes de VoltaireGarnierTome 17 - Dictionnaire Philosophique (p. 3-6).

INTRODUCTION


AUX QUESTIONS SUR L’ENCYCLOPÉDIE


PAR DES AMATEURS.


(1770)

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Quelques gens de lettres, qui ont étudié l’Encyclopédie, ne proposent ici que des questions, et ne demandent que des éclaircissements ; ils se déclarent douteurs et non docteurs. Ils doutent surtout de ce qu’ils avancent ; ils respectent ce qu’ils doivent respecter ; ils soumettent leur raison dans toutes les choses qui sont au-dessus de leur raison, et il y en a beaucoup.

L’Encyclopédie est un monument qui honore la France ; aussi fut-elle persécutée dès qu’elle fut entreprise[1]. Le discours préliminaire qui la précéda était un vestibule d’une ordonnance magnifique et sage, qui annonçait le palais des sciences ; mais il avertissait la jalousie et l’ignorance de s’armer. On décria l’ouvrage avant qu’il parût ; la basse littérature se déchaîna ; on écrivit des libelles diffamatoires contre ceux dont le travail n’avait pas encore paru.

Mais à peine l’Encyclopédie a-t-elle été achevée que l’Europe en a reconnu l’utilité ; il a fallu réimprimer en France et augmenter cet ouvrage immense, qui est de vingt-deux volumes in-folio : on l’a contrefait en Italie, et des théologiens même ont embelli et fortifié les articles de théologie à la manière de leur pays : on le contrefait chez les Suisses, et les additions dont on le charge sont sans doute entièrement opposées à la méthode italienne, afin que le lecteur impartial soit en état de juger.

Cependant cette entreprise n’appartenait qu’à la France ; des Français seuls l’avaient conçue et exécutée. On en tira quatre mille deux cent cinquante exemplaires, dont il ne reste pas un seul chez les libraires. Ceux qu’on peut trouver par un hasard heureux se vendent aujourd’hui dix-huit cents francs ; ainsi tout l’ouvrage pourrait avoir opéré une circulation de sept millions six cent cinquante mille livres. Ceux qui ne considéreront que l’avantage du négoce verront que celui des deux Indes n’en a jamais approché. Les libraires y ont gagné environ cinq cents pour cent, ce qui n’est jamais arrivé depuis près de deux siècles dans aucun commerce. Si on envisage l’économie politique, on verra que plus de mille ouvriers, depuis ceux qui recherchent la première matière du papier, jusqu’à ceux qui se chargent des plus belles gravures, ont été employés et ont nourri leurs familles.

Il y a un autre prix pour les auteurs, le plaisir d’expliquer le vrai, l’avantage d’enseigner le genre humain, la gloire : car pour le faible honoraire qui en revint à deux ou trois auteurs principaux, et qui fut si disproportionné à leurs travaux immenses, il ne doit pas être compté. Jamais on ne travailla avec tant d’ardeur et avec un plus noble désintéressement.

On vit bientôt des personnages recommandables dans tous les rangs, officiers généraux, magistrats, ingénieurs, véritables gens de lettres, s’empresser à décorer cet ouvrage de leurs recherches, souscrire et travailler à la fois : ils ne voulaient que la satisfaction d’être utiles ; ils ne voulaient point être connus, et c’est malgré eux qu’on a imprimé le nom de plusieurs.

Le philosophe s’oublia pour servir les hommes ; l’intérêt, l’envie et le fanatisme, ne s’oublièrent pas. Quelques jésuites qui étaient en possession d’écrire sur la théologie et sur les belles-lettres pensaient qu’il n’appartenait qu’aux journalistes de Trévoux d’enseigner la terre : ils voulurent au moins avoir part à l’Encyclopédie pour de l’argent, car il est à remarquer qu’aucun jésuite n’a donné au public ses ouvrages sans les vendre ; mais en cela il n’y a point de reproche à leur faire.

Dieu permit en même temps que deux ou trois convulsionnaires se présentassent pour coopérer à l’Encyclopédie : on avait à choisir entre ces deux extrêmes ; on les rejeta tous deux également comme de raison, parce qu’on n’était d’aucun parti, et qu’on se bornait à chercher la vérité. Quelques gens de lettres furent exclus aussi, parce que les places étaient prises. Ce furent autant d’ennemis qui tous se réunirent contre l’Encyclopédie dès que le premier tome parut. Les auteurs furent traités comme l’avaient été à Paris les inventeurs de l’art admirable de l’imprimerie, lorsqu’ils vinrent y débiter quelques-uns de leurs essais ; on les prit pour des sorciers, on saisit juridiquement leurs livres, on commença contre eux un procès criminel. Les encyclopédistes furent accueillis précisément avec la même justice et la même sagesse.

Un maître d’école connu alors dans Paris[2] ou du moins dans la canaille de Paris, pour un très-ardent convulsionnaire, se chargea, au nom de ses confrères, de déférer l’Encyclopédie comme un ouvrage contre les mœurs, la religion et l’État, Cet homme avait joué quelque temps sur le théâtre des marionnettes de Saint-Médard, et avait poussé la friponnerie du fanatisme jusqu’à se faire suspendre en croix, et à paraître réellement crucifié avec une couronne d’épines sur la tête, le 2 mars 1749, dans la rue Saint-Denis, vis-à-vis Saint-Leu et Saint-Gilles, en présence de cent convulsionnaires : ce fut cet homme qui se porta pour délateur ; il fut à la fois l’organe des journalistes de Trévoux, des bateleurs de Saint-Médard, et d’un certain nombre d’hommes ennemis de toute nouveauté, et encore plus de tout mérite.

Il n’y avait point eu d’exemple d’un pareil procès. On accusait les auteurs non pas de ce qu’ils avaient dit, mais de ce qu’ils diraient un jour. « Voyez, disait-on, la malice : le premier tome est plein de renvois aux derniers ; donc c’est dans les derniers que sera tout le venin. » Nous n’exagérons point : cela fut dit mot à mot.

L’Encyclopédie fut supprimée sur cette divination ; mais enfin la raison l’emporte. Le destin de cet ouvrage a été celui de toutes les entreprises utiles, de presque tous les bons livres, comme celui de la Sagesse de Charron, de la savante histoire composée par le sage de Thou, de presque toutes les vérités neuves, des expériences contre l’horreur du vide, de la rotation de la terre, de l’usage de l’émétique, de la gravitation, de l’inoculation. Tout cela fut condamné d’abord, et reçu ensuite avec la reconnaissance tardive du public.

Le délateur couvert de honte est allé à Moscou exercer son métier de maître d’école ; et là il peut se faire crucifier, s’il lui en prend envie, mais il ne peut ni nuire à l’Encyclopédie, ni séduire des magistrats. Les autres serpents qui mordaient la lime ont usé leurs dents et cessé de mordre. Comme la plupart des savants et des hommes de génie qui ont contribué avec tant de zèle à cet important ouvrage s’occupent à présent du soin de le perfectionner et d’y ajouter même plusieurs volumes, et comme dans plus d’un pays on a déjà commencé des éditions, nous avons cru devoir présenter aux amateurs de la littérature un essai de quelques articles omis dans le grand dictionnaire, ou qui peuvent souffrir quelques additions, ou qui, ayant été insérés par des mains étrangères, n’ont pas été traités selon les vues des directeurs de cette entreprise immense.

C’est à eux que nous dédions notre essai, dont ils pourront prendre et corriger ou laisser les articles, à leur gré, dans la grande édition que les libraires de Paris préparent. Ce sont des plantes exotiques que nous leur offrons ; elles ne mériteront d’entrer dans leur vaste collection qu’autant qu’elles seront cultivées par de telles mains, et c’est alors qu’elles pourront recevoir la vie.

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  1. Le premier volume de l’Encyclopédie parut en 1751 ; la publication fut suspendue par arrêt en 1753 ; on put reprendre l’année suivante, mais pour se voir encore interdit en 1757. Ce n’est qu’en 1765 qu’on se remit à l’œuvre, et en 1771 seulement fut donné le dernier des dix-sept gros volumes de texte à deux colonnes et des onze volumes de planches in-folio dont se composa d’abord l’ouvrage, qui, plus tard, fut encore augmente de cinq volumes de supplément. Il y eut donc un intervalle de plus de vingt ans entre l’apparition du premier et du dernier tome.
    Le discours préliminaire est de d’Alembert. (G. A.)
  2. Abraham Chaumeix.