Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Papisme

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Éd. Garnier - Tome 20
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PAPISME[1].

LE PAPISTE ET LE TRÉSORIER.

le papiste.

Monseigneur a dans sa principauté des luthériens, des calvinistes, des quakers, des anabaptistes, et même des juifs ; et vous voudriez encore qu’il admît des unitaires !

le trésorier.

Si ces unitaires nous apportent de l’industrie et de l’argent, quel mal nous feront-ils ? Vous n’en serez que mieux payé de vos gages.

le papiste.

J’avoue que la soustraction de mes gages me serait plus douloureuse que l’admission de ces messieurs ; mais enfin ils ne croient pas que Jésus-Christ soit fils de Dieu.

le trésorier.
Que vous importe, pourvu qu’il vous soit permis de le croire, et que vous soyez bien nourri, bien vêtu, bien logé ? Les juifs sont bien loin de croire qu’il soit fils de Dieu, et cependant vous êtes fort aise de trouver ici des juifs sur qui vous placez votre argent à six pour cent. Saint Paul lui-même n’a jamais parlé de la divinité de Jésus-Christ ; il l’appelle franchement un homme : la mort, dit-il, est entrée dans le monde par le péché d’un seul homme..... le don de Dieu s’est répandu par la grâce d’un seul homme, qui est Jésus[2]. Et ailleurs : Vous êtes à Jésus, et Jésus est à Dieu.... Tous vos premiers Pères de l’Église ont pensé comme saint Paul : il est évident que pendant trois cents ans Jésus s’est contenté de son humanité ; figurez-vous que vous êtes un chrétien des trois premiers siècles.
le papiste.

Mais, monsieur, ils ne croient point à l’éternité des peines.

le trésorier.

Ni moi non plus ; soyez damné à jamais si vous voulez ; pour moi, je ne compte point du tout l’être.

le papiste.

Ah ! monsieur, il est bien dur de ne pouvoir damner à son plaisir tous les hérétiques de ce monde ! Mais la rage qu’ont les unitaires de rendre un jour les âmes heureuses n’est pas ma seule peine. Vous savez que ces monstres-là ne croient pas plus à la résurrection des corps que les saducéens ; ils disent que nous sommes tous anthropophages, que les particules qui composaient votre grand-père et votre bisaïeul, ayant été nécessairement dispersées dans l’atmosphère, sont devenues carottes et asperges, et qu’il est impossible que vous n’ayez mangé quelques petits morceaux de vos ancêtres.

le trésorier.

Soit ; mes petits-enfants en feront autant de moi, ce ne sera qu’un rendu ; il en arrivera autant aux papistes. Ce n’est pas une raison pour qu’on vous chasse des États de monseigneur, ce n’est pas une raison non plus pour qu’il en chasse les unitaires. Ressuscitez comme vous pourrez ; il m’importe fort peu que les unitaires ressuscitent ou non, pourvu qu’ils nous soient utiles pendant leur vie.

le papiste.

Et que direz-vous, monsieur, du péché originel qu’ils nient effrontément ? N’êtes-vous pas tout scandalisé quand ils assurent que le Pentateuque n’en dit pas un mot ; que l’évêque d’Hippone, saint Augustin, est le premier qui ait enseigné positivement ce dogme, quoiqu’il soit évidemment indiqué par saint Paul ?

le trésorier.

Ma foi, si le Pentateuque n’en a point parlé, ce n’est pas ma faute ; pourquoi n’ajoutiez-vous pas un petit mot du péché originel dans l’Ancien Testament, comme vous y avez, dit-on, ajouté tant d’autres choses ? Je n’entends rien à ces subtilités. Mon métier est de vous payer régulièrement vos gages quand j’ai de l’argent...


  1. Dictionnaire philosophique. 1766. (B.)
  2. Epist. ad Rom., chapitre v, v. 12-15, et jusqu’à la fin.


Ovide

Papisme

Paradis