Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Théologien

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Éd. Garnier - Tome 20
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THÉOLOGIEN.
SECTION PREMIÈRE[1].

Le théologien sait parfaitement que, selon saint Thomas, les anges sont corporels par rapport à Dieu ; que l’âme reçoit son être dans le corps ; que l’homme a l’âme végétative, sensitive, et intellective ;

Que l’âme est toute en tout, et toute en chaque partie ;

Qu’elle est la cause efficiente et formelle du corps ;

Qu’elle est la dernière dans la noblesse des formes ;

Que l’appétit est une puissance passive ;

Que les archanges tiennent le milieu entre les anges et les principautés ;

Que le baptême régénère par soi-même et par accident ;

Que le catéchisme n’est pas sacrement, mais sacramental ;

Que la certitude vient de la cause et du sujet ;

Que la concupiscence est l’appétit de la délectation sensitive ;

Que la conscience est un acte, et non pas une puissance.

L’ange de l’école a écrit environ quatre mille belles pages dans ce goût. Un jeune homme tondu passe trois années à se mettre dans la cervelle ces sublimes connaissances, après quoi il reçoit le bonnet de docteur en Sorbonne, et non pas aux petites-maisons !

S’il est homme de condition, ou fils d’un homme riche, ou intrigant et heureux, il devient évêque, archevêque, cardinal, pape.

S’il est pauvre et sans crédit, il devient le théologien d’un de ces gens-là : c’est lui qui argumente pour eux, qui relit saint Thomas et Scot pour eux, qui fait des mandements pour eux, qui dans un concile décide pour eux.

Le titre de théologien est si grand que les Pères du concile de Trente le donnèrent à leurs cuisiniers, cuoco celeste, gran teologo. Leur science est la première des sciences, leur condition la première des conditions, et eux les premiers des hommes : tant la véritable doctrine a d’empire ! tant la raison gouverne le genre humain !

Quand un théologien est devenu, grâce à ses arguments, ou prince du Saint-Empire, ou archevêque de Tolède, ou l’un des soixante et dix princes vêtus de rouge, successeurs des humbles apôtres, alors les successeurs de Galien et d’Hippocrate sont à ses gages. Ils étaient ses égaux quand ils étudiaient dans la même université, qu’ils avaient les mêmes degrés, (qu’ils recevaient le même bonnet fourré, La fortune change tout ; et ceux qui ont découvert la circulation du sang, les veines lactées, le canal thoracique, sont les valets de ceux qui ont appris ce que c’est que la grâce concomitante, et qui l’ont oublié.

SECTION II[2].

J’ai connu un vrai théologien ; il possédait les langues de l’Orient, et était instruit des anciens rites des nations autant qu’on peut l’être. Les brachmanes, les Chaldéens, les ignicoles, les sabéens, les Syriens, les Égyptiens, lui étaient aussi connus que les Juifs ; les diverses leçons de la Bible lui étaient familières ; il avait pendant trente années essayé de concilier les Évangiles, et tâché d’accorder ensemble les Pères. Il chercha dans quel temps précisément on rédigea le symbole attribué aux apôtres, et celui qu’on met sous le nom d’Athanase ; comment on institua les sacrements les uns après les autres ; quelle fut la différence entre la synaxe et la messe ; comment l’Église chrétienne fut divisée depuis sa naissance en différents partis, et comment la société dominante traita toutes les autres d’hérétiques. Il sonda les profondeurs de la politique, qui se mêla toujours de ces querelles ; et il distingua entre la politique et la sagesse, entre l’orgueil, qui veut subjuguer les esprits, et le désir de s’éclairer soi-même, entre le zèle et le fanatisme.

La difficulté d’arranger dans sa tête tant de choses dont la nature est d’être confondues, et de jeter un peu de lumière sur tant de nuages, le rebuta souvent ; mais comme ces recherches étaient le devoir de son état, il s’y consacra malgré ses dégoûts. Il parvint enfin à des connaissances ignorées de la plupart de ses confrères. Plus il fut véritablement savant, plus il se défia de tout ce qu’il savait. Tandis qu’il vécut, il fut indulgent ; et à sa mort, il avoua qu’il avait consumé inutilement sa vie.


  1. Ce qui forme cette première section était, dans les Nouveaux Mélanges, troisième partie, 1765, placé immédiatement après les articles Médecins et Avocats (voyez ces mots), et commençait alors ainsi : « Le théologien est toute autre chose. Il sait parfaitement, etc. » (B.)
  2. Cette section formait tout l’article dans le Dictionnaire philosophique, 1765, in-12. (B.)


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