Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Évangile

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Cramer (Tome 1p. 273-275).

ÉVANGILE.



C’est une grande question de savoir quels sont les premiers Évangiles. C’est une vérité constante, quoi qu’en dise Abadie, qu’aucun des premiers pères de l’Église inclusivement jusqu’à Irénée, ne cite aucun passage des quatre Évangiles que nous connaissons. Au contraire les Alloges, les Théodosiens rejetèrent constamment l’Évangile de St. Jean, & ils en parlaient toûjours avec mépris, comme l’avance St. Épiphane dans sa 34e homélie. Nos ennemis remarquent encor que non seulement les plus anciens pères ne citent jamais rien de nos Évangiles ; mais qu’ils rapportent plusieurs passages qui ne se trouvent que dans les Évangiles apocryphes rejetés du Canon.

St. Clément, par exemple, rapporte que notre Seigneur ayant été interrogé sur le tems où son royaume adviendrait, répondit, ce sera quand deux ne feront qu’un, quand le dehors ressemblera au dedans & quand il n’y aura ni mâle ni femelle. Or il faut avouer que ce passage ne se trouve dans aucun de nos Évangiles. Il y a cent exemples qui prouvent cette vérité ; on les peut recueillir dans l’Examen critique de M. Fréret secrétaire perpétuel de l’Académie des belles-lettres de Paris.

Le savant Fabricius s’est donné la peine de rassembler les anciens Évangiles que le tems a conservés, celui de Jacques paraît le premier. Il est certain qu’il a encor beaucoup d’autorité dans quelques Églises d’Orient. Il est appelé premier Évangile. Il nous reste la passion & la résurrection, qu’on prétend écrites par Nicodème. Cet Évangile de Nicodème est cité par St. Justin & par Tertullien, c’est là qu’on trouve les noms des accusateurs de notre Sauveur, Annas, Caïphas, Soumas, Dathan, Gamaliel, Judas, Levi, Nephtali ; l’attention de rapporter ces noms, donne une apparence de candeur à l’ouvrage. Nos adversaires ont conclu que puisqu’on supposa tant de faux Évangiles reconnus d’abord pour vrais, on peut aussi avoir supposé ceux qui font aujourd’hui l’objet de notre croyance. Ils insistent beaucoup sur la foi des premiers hérétiques qui moururent pour ces évangiles apocryphes. Il y eut donc des faussaires, des séducteurs & des gens séduits qui moururent pour l’erreur ; ce n’est donc pas une preuve de la vérité de notre religion que des martyrs soient morts pour elle.

Ils ajoutent de plus qu’on ne demanda jamais aux martyrs : Croyez-vous à l’Évangile de Jean, ou à l’Évangile de Jacques ? Les païens ne pouvaient fonder des interrogatoires sur des livres qu’ils ne connaissaient pas : les Magistrats punirent quelques Chrétiens comme perturbateurs du repos public ; mais ils ne les interrogèrent jamais sur nos quatre Évangiles. Ces livres ne furent un peu connus des Romains que sous Trajan, & ils ne furent entre les mains du public que dans les dernières années de Dioclétien. Les Sociniens rigides ne regardent donc nos quatre Évangiles que comme des ouvrages clandestins fabriqués environ un siècle après Jésus-Christ, & cachés soigneusement aux Gentils pendant un autre siècle. Ouvrages, disent-ils, grossièrement écrits par des hommes grossiers qui ne s’adressèrent longtems qu’à la populace. Nous ne voulons pas répéter ici leurs autres blasphèmes. Cette secte, quoique assez répandue, est aujourd’hui aussi cachée que l’étaient les premiers Évangiles. Il est d’autant plus difficile de les convertir, qu’ils ne croient que leur raison. Les autres Chrétiens ne combattent contre eux que par la voix sainte de l’Écriture : ainsi il est impossible que les uns & les autres étant toûjours ennemis, puissent jamais se rencontrer.

(par l’Abbé de Tilladet.)