Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Résurrection

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Cramer (Tome 2p. 133-139).

RÉSURRECTION.



On conte que les Égyptiens n’avaient bâti leurs pyramides que pour en faire des tombeaux, & que leurs corps embaumés par dedans & par dehors, attendaient que leurs ames vinssent les ranimer au bout de mille ans. Mais si leurs corps devaient ressusciter, pourquoi la première opération des parfumeurs était-elle de leur percer le crâne avec un crochet, & d’en tirer la cervelle ? L’idée de ressusciter sans cervelle, fait soupçonner (si on peut user de ce mot) que les Égyptiens n’en avaient guère de leur vivant : mais il faut considérer que la plupart des anciens croyaient que l’ame est dans la poitrine. Et pourquoi l’ame est-elle dans la poitrine plutôt qu’ailleurs ? C’est qu’en effet dans tous nos sentimens un peu violents, on éprouve vers la région du cœur, une dilatation ou un resserrement, qui a fait penser que c’était là le logement de l’ame. Cette ame était quelque chose d’aérien, c’était une figure légère qui se promenait où elle pouvait, jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé son corps.

La croyance de la résurrection est beaucoup plus ancienne que les tems historiques. Athalide fils de Mercure pouvait mourir & ressusciter à son gré ; Esculape rendit la vie à Hippolite ; Hercule à Alceste. Pelops ayant été haché en morceaux par son père, fut ressuscité par les dieux. Platon raconte qu’Hères ressuscita pour quinze jours seulement.

Les Pharisiens, chez les Juifs, n’adoptèrent le dogme de la résurrection que très longtems après Platon.

Il y a dans les Actes des apôtres un fait bien singulier, & bien digne d’attention. St. Jaques, & plusieurs de ses compagnons conseillent à St. Paul d’aller dans le temple de Jérusalem, observer toutes les cérémonies de l’ancienne loi, tout chrétien qu’il était, afin que tous sachent, disent-ils, que tout ce qu’on dit de vous est faux, & que vous continuez de garder la loi de Moïse. C’est dire bien clairement, Allez mentir, allez vous parjurer, allez renier publiquement la religion que vous enseignez.

St. Paul alla donc pendant sept jours dans le temple, mais le septième il fut reconnu. On l’accusa d’y être venu avec des étrangers, & de l’avoir profané. Voici comment il se tira d’affaire.

Or Paul sachant qu’une partie de ceux qui étaient là, étaient saducéens, & l’autre Pharisiens, il s’écria dans l’assemblée : Mes frères, je suis Pharisien & fils de Pharisien ; c’est à cause de l’espérance d’une autre vie, & de la résurrection des morts que l’on veut me condamner[1]. Il n’avait point du tout été question de la résurrection des morts dans toute cette affaire ; Paul ne le disait que pour animer les Pharisiens & les Saducéens les uns contre les autres.

V. 7. Paul ayant parlé de la sorte, il s’émut une dissension entre les pharisiens & les saducéens ; & l’assemblée fut divisée.

V. 8. Car les Saducéens disent qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, au lieu que les pharisiens reconnaissent & l’un & l’autre, &c.

On a prétendu que Job, qui est très ancien, connaissait le dogme de la résurrection. On cite ces paroles : Je sais que mon rédempteur est vivant, & qu’un jour sa rédemption s’élèvera sur moi, ou que je me relèverai de la poussière, que ma peau reviendra, que je verrai encor Dieu dans ma chair.

Mais plusieurs commentateurs entendent par ces paroles, que Job espère qu’il relèvera bientôt de maladie, & qu’il ne demeurera pas toûjours couché sur la terre, comme il l’était. La suite prouve assez que cette explication est la véritable ; car il s’écrie le moment d’après à ses faux & durs amis ; Pourquoi donc dites-vous, Persécutons-le, ou bien, parce que vous direz, parce que nous l’avons persécuté. Cela ne veut-il pas dire évidemment, Vous vous repentirez de m’avoir offensé, quand vous me reverrez dans mon premier état de santé & d’opulence ? Un malade qui dit, Je me lèverai, ne dit pas, Je ressusciterai. Donner des sens forcés à des passages clairs, c’est le sûr moyen de ne jamais s’entendre, ou plutôt d’être regardés comme des gens de mauvaise foi par les honnêtes gens.

St. Jérôme ne place la naissance de la secte des Pharisiens que très peu de tems avant Jésus-Christ. Le rabbin Hillel passe pour le fondateur de la secte Pharisienne ; & cet Hillel était contemporain de Gamaliel le maître de St. Paul.

Plusieurs de ces Pharisiens croyaient que ces Juifs seuls ressusciteraient, & que le reste des hommes n’en valait pas la peine. D’autres ont soutenu qu’on ne ressusciterait que dans la Palestine, & que les corps de ceux qui auront été enterrés ailleurs, seront secrettement transportés auprès de Jérusalem pour s’y rejoindre à leur âme. Mais St. Paul écrivant aux habitans de Thessalonique, leur dit, que le second avènement de Jésus-Christ est pour eux & pour lui, qu’ils en seront témoins.

V. 16. Car aussi-tôt que le signal aura été donné par l’archange, & par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, & ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers.

V. 17. Puis nous autres qui sommes vivans, & qui serons demeurés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au devant du Seigneur au milieu de l’air, & ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur.[2]

Ce passage important ne prouve-t-il pas évidemment que les premiers chrétiens comptaient voir la fin du monde, comme en effet elle est prédite dans St. Luc, pour le tems même que St. Luc vivait ? S’ils ne virent point cette fin du monde, si personne ne ressuscita pour lors, ce qui est différé n’est pas perdu.

St. Augustin croit que les enfans, & même les enfans morts nés, ressusciteront dans l’âge de la maturité. Les Origènes, les Jérômes, les Athanases, les Basiles, n’ont pas crû que les femmes dussent ressusciter avec leur sexe.

Enfin, on a toûjours disputé sur ce que nous avons été, sur ce que nous sommes, & sur ce que nous serons.


RÉSURRECTION.

Section Seconde.


Le père Mallebranche prouve la résurrection par les chenilles qui deviennent papillons. Cette preuve, comme on voit, est aussi légère que les ailes des insectes dont il l’emprunte. Des penseurs qui calculent, font des objections arithmétiques contre cette vérité si bien prouvée. Ils disent que les hommes & les autres animaux sont réellement nourris & reçoivent leur croissance de la substance de leurs prédécesseurs. Le corps d’un homme réduit en poussière, répandu dans l’air & retombant sur la surface de la terre devient légume, ou froment. Ainsi Caïn mangea une partie d’Adam ; Énoch se nourrit de Caïn, Irad d’Énoch, Maviael de Srad, Mathusalem de Maviael, & il se trouve qu’il n’y a aucun de nous qui n’ait avalé une petite portion de notre premier père. C’est pourquoi on a dit que nous étions tous anthropophages. Rien n’est plus sensible après une bataille ; non seulement nous tuons nos frères ; mais au bout de deux ou trois ans, nous les avons tous mangés quand on a fait les moissons sur le champ de bataille ; nous serons aussi mangés sans difficulté à notre tour. Or, quand il faudra ressusciter, comment rendrons-nous à chacun le corps qui lui appartenait sans perdre du nôtre ?

Voilà ce que disent ceux qui se défient de la résurrection, mais les ressusciteurs leur ont répondu très pertinemment.

Un rabbin nommé Samaï démontre la résurrection par ce passage de l’Exode, J’ai apparu à Abraham, à Isaac & à Jacob ; & je leur ai promis avec serment de leur donner la terre de Canaan. Or, Dieu, malgré son serment, dit ce grand rabbin, ne leur donna point cette terre ; donc ils ressusciteront pour en jouïr, afin que le serment soit accompli.

Le profond philosophe Dom Calmet trouve dans les Vampires une preuve bien plus concluante. Il a vu de ces Vampires qui sortaient des cimetières pour aller sucer le sang des gens endormis ; il est clair qu’ils ne pouvaient sucer le sang des vivans s’ils étaient encor morts ; donc ils étaient ressuscités ; cela est péremptoire.

Une chose encor certaine, c’est que tous les morts, au jour du jugement, marcheront sous la terre comme des taupes, à ce que dit le Talmud, pour aller comparaître dans la vallée de Josaphat qui est entre la ville de Jérusalem & le mont des Oliviers. On sera fort pressé dans cette vallée, mais il n’y a qu’à réduire les corps proportionnellement comme les diables de Milton dans la salle du Pandémonium.

Cette résurrection se fera au son de la trompette, à ce que dit St. Paul. Il faudra nécessairement qu’il y ait plusieurs trompettes, car le tonnerre lui-même ne s’entend guère plus de trois ou quatre lieues à la ronde. On demande combien il y aura de trompettes, les théologiens n’ont pas encor fait ce calcul ; mais ils le feront.

Les Juifs disent que la Reine Cléopatre, qui sans doute croyait la résurrection comme toutes les Dames de ce tems-là, demanda à un Pharisien si on ressusciterait tout nu. Le docteur lui répondit qu’on serait très bien habillé, par la raison que le bled qu’on sème étant mort en terre, ressuscite en épi avec une robe & des barbes. Ce rabbin était un théologien excellent. Il raisonnait comme Dom Calmet.


  1. Actes des Apôtres, chapitre 23. vs. 6. 7. 8.
  2. I Épît. aux Thess. ch. 4.