Dictionnaire philosophique/portatif - 6e ed. - Londres (1767)/Apocalypse

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APOCALYPSE.


Justin le Martyr, qui écrivait vers l’an 270 de notre ère, est le premier qui ait parlé de l’Apocalypse ; il l’attribue à l’Apôtre Jean l’Évangéliste, dans son Dialogue avec Triphon, ce Juif lui demande s’il ne croit pas que Jérusalem doit être rétablie un jour ? Justin lui répond qu’il le croit ainsi avec tous les chrétiens qui pensent juste. Il y a eu, dit-il, parmi nous un certain personnage nommé Jean, l’un des douze Apôtres de Jesus ; il a prédit que les fidèles passeront mille ans dans Jérusalem.

Ce fut une opinion long-tems reçue parmi les chrêtiens, que ce règne de mille ans. Cette période était en grand crédit chez les Gentils. Les ames des Égyptiens reprenaient leurs corps au bout de mille années ; les ames du purgatoire chez Virgile, étaient exercées pendant ce même espace de temps, & mille per annos. La nouvelle Jérusalem de mille années devait avoir douze portes, en mémoire des douze Apôtres ; sa forme devait être quarrée ; sa longueur, sa largeur & sa hauteur devaient être de douze mille stades, c’est-à-dire, cinq cents lieuës, de façon que les maisons devaient avoir aussi cinq cents lieuës de haut. Il eût été assez désagréable de demeurer au dernier étage ; mais enfin, c’est ce que dit l’Apocalypse au chap. 21.

Si Justin est le premier qui attribua l’Apocalypse à St. Jean, quelques personnes ont recusé son témoignage, attendu que dans ce même dialogue avec le Juif Triphon, il dit que selon le récit des Apôtres, Jesus-Christ en descendant dans le Jourdain, fit bouillir les eaux de ce fleuve, & les enflamma, ce qui pourtant ne se trouve dans aucun écrit des Apôtres.

Le même St. Justin cite avec confiance les oracles des Sibylles ; de plus, il prétend avoir vu les restes des petites maisons où furent enfermés les soixante & douze Interprètes dans le Phare d’Égypte du temps d’Hérode. Le témoignage d’un homme qui a eu le malheur de voir ces petites maisons, semble indiquer que l’auteur devait y être renfermé.

Saint Irenée qui vient après, & qui croyait aussi le règne de mille ans, dit qu’il a appris d’un vieillard, que St. Jean avait fait l’Apocalypse. Mais on a reproché à St. Irenée d’avoir écrit qu’il ne doit y avoir que quatre Évangiles, parce qu’il n’y a que quatre parties du monde, & quatre vents cardinaux, & qu’Ezéchiel n’a vu que quatre animaux. Il appelle ce raisonnement une démonstration. Il faut avouer que la manière dont Irenée démontre, vaut bien celle dont Justin a vu.

Clément d’Alexandrie ne parle dans ses Electa, que d’une Apocalypse de St. Pierre dont on faisait très-grand cas. Tertullien, l’un des grands partisans du règne de mille ans, non seulement assure que St. Jean a prédit cette résurrection, & ce règne de mille ans dans la ville de Jérusalem, mais il prétend que cette Jérusalem commençait déjà à se former dans l’air, que tous les chrétiens de la Palestine, & même les payens, l’avaient vue pendant quarante jours de suite à la fin de la nuit : mais malheureusement la ville disparaissait dès qu’il était jour.

Origène, dans sa préface sur l’Évangile de St. Jean, & dans ses homélies, cite les oracles de l’Apocalypse, mais il cite également les oracles des Sibylles. Cependant St. Denis d’Alexandrie, qui écrivait vers le milieu du troisième siècle, dit dans un de ses fragments, conservés par Eusèbe, que presque tous les docteurs rejettaient l’Apocalypse, comme un livre destitué de raison ; que ce livre n’a point été composé par St. Jean, mais par un nommé Cérinthe, lequel s’était servi d’un grand nom, pour donner plus de poids à ses rèveries.

Le Concile de Laodicée, tenu en 360, ne compta point l’Apocalypse parmi les livres canoniques. Il était bien singulier que Laodicée, qui était une Église à qui l’Apocalypse était adressée, rejettât un trésor destiné pour elle ; & que l’Évêque d’Ephèse qui assistait au Concile, rejettât aussi ce livre de St. Jean, enterré dans Ephèse.

Il était visible à tous les yeux, que St. Jean se remuait toujours dans sa fosse ; & faisait continuellement hausser & baisser la terre. Cependant, les mêmes personnages qui étaient sûrs que St. Jean n’était pas bien mort, étaient sûrs aussi qu’il n’avait pas fait l’Apocalypse. Mais ceux qui tenaient pour le règne de mille ans, furent inébranlables dans leur opinion. Sulpice Sévère, dans son histoire sacrée liv. 9. traite d’insensés & d’impies, ceux qui ne recevaient pas l’Apocalypse. Enfin, après bien des doutes, après des oppositions de Concile à Concile, l’opinion de Sulpice Sévère a prévalu. La matiére ayant été éclaircie, l’Eglise a décidé que l’Apocalypse est incontestablement de St. Jean ; ainsi il n’y a pas d’appel.

Chaque communion chrêtienne s’est attribué les prophéties contenuës dans ce livre ; les Anglais y ont trouvé les révolutions de la Grande Bretagne ; les Luthériens les troubles d’Allemagne ; les Réformés de France le règne de Charles IX. & la régence de Catherine de Médicis : ils ont tous également raison. Bossuet & Newton ont commenté tous deux l’Apocalypse ; mais à tout prendre, les déclamations éloquentes de l’un, & les sublimes découvertes de l’autre, leur ont fait plus d’honneur que leurs commentaires.