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Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure/COMPOSITION

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COMPOSITION. Art d’inventer, & de diſpoſer convenablement tous les objets qui doivent entrer dans la repréſentation d’un ſujet de Peinture, de Sculpture, ou de Gravûre.

La compoſition eſt d’une très-grande conſéquence pour la beauté d’un tableau : elle dirige, elle régle les idées que le Peintre veut exciter en nous. Lorſqu’elle eſt bien entendue, l’enſemble frappe au premier coup d’œil ; on eſt flatté, on eſt ſaiſi. Eſt-elle mal entendue, ſes différentes parties, fuſſent-elles d’ailleurs très belles, font naître une confuſion d’idées ſemblables à celle qui regne dans les objets du tableau : on en eſt dégouté comme d’un livre, où les belles penſées, les traits bien frappés, mais rapportés & ſemés ſans ordre & ſans méthode, ſe trouvent noyés dans le clinquant des phraſes ampoulées, & dans le fatras de termes choiſis qui ne diſent rien.

Quand on ſe propoſe la repréſentation d’un ſujet, il faut d’abord connoître tout ce qui doit y concourir, ſoit qu’on le puiſe dans l’hiſtoire, dans la nature ou dans ſon génie. L’habitude au travail n’apprend pas à diſpoſer tout avec goût, avec graces, avec diſcernement. On naît Peintre, comme on naît Poëte : l’étude perfectionnement ſeulement le goût naturel.

Les différentes parties d’un tableau doivent former un tout, un enſemble qui plaiſe par la correſpondance des unes avec les autres. Il n’y faut rien qui paroiſſe y être jetté au hazard ; chaque objet demande ſa place, veut avoir ſes proportions convenables & relatives, & que chaque figure y faſſe ſon office : autrement un tableau ne ſeroit qu’un amas confus d’objets.

Lorſqu’à une certaine diſtance, à laquelle on ne diſtingue pas les objets en particulier, ou leur action, l’enſemble du tableau doit paroître un compoſé de maſſes de jours & d’ombres, dont la derniere ſerve comme de repos à l’œil, & que les formes de ces maſſes, de quelque nature qu’elles ſoient, réjouiſſent la vûe, ſoit qu’elles conſiſtent en champs, en arbres, en draperies, ou en figures. L’enſemble enfin ſera agréable & recréatif, & les formes avec les couleurs préſenteront toujours un coup d’œil ſatisfaiſant.

Les grandes maſſes ne produiront cet effet qu’autant qu’elles ſeront ſubdiviſées comme celles d’une draperie par des plis & des reflets.

Si l’on place une grande maſſe de jour ſur un champ brun, il faut que les extrémités de ce jour n’approchent pas trop les bords du tableau, & que ſa plus grande force ſe trouve vers le centre. Voyez Masse, Couleur, Effet, Intelligence.

Chaque ſujet hiſtorique d’une Peinture n’admet qu’une action, un inſtant même de cette action ; & tout ce qu’un Peintre ſe propoſe de faire entrer dans ſon tableau, doit concourir à repréſenter cet inſtant unique. Tout ce qu’il y introduiroit des inſtans qui ont précédé ou ſuccédé, n’appartiendroit plus à la véritable compoſition, & en- freindroit les loix de l’unité du tems.

Toute action fournit divers inſtans ; c’eſt au Peintre à faire choix du plus favorable & du plus intéreſſant, néanmoins toujours relativement aux loix de la Peinture ; car le plus pathétique pourroit être le plus intéreſſant & le plus frappant dans le récit, ſans être le plus favorable pour la diſpoſition des groupes, des figures, ou pour l’effet des lumieres & des ombres.

Un Peintre devroit ſe regarder comme un homme de tous les Pays, & n’adopter aucun goût national ou particulier, dans la crainte qu’ils n’influent dans ce choix, & ne lui ôtent la liberté entiere de ſaiſir l’inſtant qui lui préſente des avantages en plus grand nombre. Ce choix appartient proprement à l’invention. Je renvoye le Lecteur à cet article.

L’unité d’action ſe réduit à ne pas faire entrer dans la compoſition d’un tableau, deux inſtans, qui partageroient infailliblement l’attention du Spectateur, & rendroient le ſujet moins frappant. Quelque liés qu’ils puiſſent être, ce ſont deux faits qui ſe ſuccedent, & l’un prend toujours tellement ſur l’autre, que le plus intéreſſant, perdant ce que le moins frappant lui enleve, l’objet que le Peintre a dû ſe propoſer, n’eſt pas parfaitement rempli.

Cette régle n’exclut cependant pas ces inſtans ſi intimement liés avec ceux qui les précedent, ou les ſuivent, qu’on ne ſçauroit les ſéparer ſans perdre beaucoup de l’effet & de l’expreſſion. On ne paſſe pas tout d’un coup d’une grande triſteſſe à une grande joie, ou de la douleur au plaiſir. La premiere paſſion laiſſe toujours quelques traces après elle. Il y a des nuances & des paſſages qui participent de l’une & de l’autre, comme la nuit ne fait place au jour que par l’aurore. C’eſt ce que Rubens a très-bien obſervé dans ſon Tableau de la Gallerie du Luxembourg, qui repréſente la naiſſance de Louis XIII. La Reine Marie de Medicis y eſt aſſiſe ſur le pied de ſon lit, avec un air qui exprime parfaitement la joie d’avoir mis un fils au monde, avec les ſuites inſéparables des douleurs de l’enfantement. Si par un ſcrupule mal entendu pour obſerver cette unité d’action, Rubens n’a- voit exprimé que la joie ou la douleur, il eût perdu tout le fin, tout le délicat qui lui offroit ces deux inſtans, qui, quoique ſéparés, pour ainſi dire, deviennent un, & ne font qu’une action, dont l’expreſſion eſt admirable, & l’impreſſion ſi douce, qu’on ne ſe laſſe pas de la ſentir.

C’eſt en conſidérant l’unité d’action que le Peintre doit être ſcrupuleux pour le choix des épiſodes, qui ne doivent jamais être introduites que pour renforcer l’expreſſion de l’enſemble du tableau. N’y ſont-elles miſes que pour l’ornement, elles deviennent ſouvent plus qu’inutiles ? ſont-elles trop frapantes, elles partagent l’attention, & c’eſt un des plus grands défauts qu’un Peintre ait à ſe reprocher.

Mais quoique le Peintre doive ſe propoſer dans ſa compoſition, de n’exciter qu’une ſeule & même paſſion, rarement déterminée, & preſque toujours combattue par des alternatives d’intérêts ou oppoſés, ou du moins variés, il eſt des cas où il lui eſt permis de s’écarter de cette loi. Tels ſont tous les ſujets compoſés, où les différens acteurs de la ſcène, ſouvent agités par des paſſions diverſes, varient les impreſſions par leurs différens mouvemens, & par la variété des intérêts qui les occupent dans ce moment. À meſure que l’œil ſe promene, & qu’il réfléchit ſur les caracteres exprimés ſur le viſage, ou par les mouvemens des acteurs, le ſpectateur ſe joint, pour ainſi dire, d’intérêt avec chaque figure ou chaque groupe, & éprouve ſucceſſivement les mêmes paſſions des unes & des autres, ou ſent des émotions contraires, ſuivant les diſpoſitions actuelles de ſon cœur. L’action eſt une, priſe en elle-même ; mais les circonſtances qui concourent à la former, ſont multipliées. Frappé preſque également des unes & des autres, comment fixer ſon attention ſur une ſeule ?

De tels ſujets ſont toujours aſſez féconds, ſans avoir beſoin du ſecours des épiſodes. Un Peintre qui n’a pas aſſez de genie pour s’en paſſer, ne mérite pas le nom de Peintre. Qu’on varie les attitudes, les caracteres, les groupes, mais toujours ſans perdre de vûe l’unité d’action, & qu’on ne trouve jamais dans un tableau des figures à louer, des épiſodes inutiles, ou des circonſtances de l’action qui ne ſont pas intimement liées, avec l’inſtant que le tableau préſente.

La loi de l’unité, par rapport au lieu de la ſcene, n’eſt pas moins ſévere. Le Peintre ne peut ſuppoſer ce lieu à ſa fantaiſie, ni repréſenter dans un payſage ce que l’Hiſtoire dit s’être paſſé dans un appartement : bien plus, dès qu’il a fait choix d’une ſalle, d’un veſtibule, conformément à l’Hiſtoire, il faut qu’il y repréſente l’action, ſans faire promener les yeux ailleurs. À la faveur de quelque fenêtre ou d’une porte ouverte, il peut égayer la vûe par quelque bout de lointains & de payſages amuſans, lorſque la ſcene eſt repréſentée dans une ſalle. La perſpective vient auſſi fort heureuſement à ſon ſecours, ſi la campagne eſt le lieu propre à l’action : il peut alors varier le coup-d’œil par des collines, des eaux, des rochers, des fabriques ; mais il ne peut changer le lieu ; il nu lui eſt que permis d’un varier la décoration.

Cette décoration n’eſt même pas ſoumiſe à ſon caprice : elle doit être conforme aux loix de la convenance. Une chaumiere, une cabane de payſans, n’admettent point de colonnades ni de lambris dorés.

Dans toute action compoſée, il y a des acteurs principaux & d’autres ſubordonnés : le lieu même de la ſcene fournit ſouvent des objets qui lui ſont relatifs, & qui ne s’y trouvent pas déplacés, quoiqu’ils n’ayent pas un rapport immédiat avec l’action ; mais chaque figure, chaque objet doit être plus ou moins remarquable, à proportion de l’intérêt que l’on y doit prendre. Il ne faut cependant rien de négligé, & tout doit être également ſoigné dans un tableau. Mais de quelque maniere qu’on diſpoſe les maſſes, la figure & l’action principales veulent être diſtinguées par deſſus toutes les autres, & non ſeulement la figure & l’action principales, mais les membres mêmes, & les inſtrumens que l’acteur employe pour l’action.

Ce ſeroit tomber dans une extrémité auſſi vicieuſe, que de rompre l’harmonie de l’enſemble par une diſtinction trop exagérée : l’accord même des couleurs & des lumieres, d’où réſulte cette harmonie, contribue à rendre le principal objet plus ſenſible. La ſubordina- tion des groupes particuliers, dont les plus foibles cedent aux plus forts, concourent à n’en faire qu’un, que le Titien appelloit la grappe de raiſin. V. Clair-obscur.

Les couleurs ne concourent pas moins à la beauté d’un tableau, que les maſſes. La principale figure devant être en général la plus viſible ou la plus frappante, ſes couleurs dominantes ſeront répandues ſur le tout, & donneront le ton au reſte des groupes & du tableau ; car il faut une ſubordination des parties au tout, & des parties à d’autres plus principales, qui doivent auſſi ſe faire diſtinguer, & être traitées à proportion plus fiérement, qu’elles doivent être plus ſenſibles. Si la Peinture eſt ſœur de la Poëſie, elle ne l’eſt pas moins du la Muſique. Un tableau doit faire ſur l’œil, l’effet d’un concert ſur l’oreille : ſi on introduit dans celui-ci un inſtrument trop bruyant, ou diſcordant, l’harmonie eſt rompue, l’agréable repos ne s’y trouve plus, & l’on ſe ſent étourdi, loin d’en être flatté. Une partie trop éclatante & trop forte dans un tableau, produiroit un effet auſſi déſagréable ; on aime à ſe promener d’objets en objets, de groupes en groupes, par ordre & avec plaiſir.

L’éclat des couleurs n’eſt pas toujours le plus ſûr moyen de faire diſtinguer la figure principale ; le Peintre peut le faire, & le doit même, lorſqu’il ſe trouve dans la néceſſité de la mettre dans une place peu favorable ; c’eſt alors qu’il faut attirer la vûe & réveiller l’attention par la couleur vive de ſa draperie, ou d’une partie ſeulement, ou par le fond ſur lequel cette figure eſt peinte, ou par quelqu’autre artifice : mais la force & l’éclat ſont inutiles où la place de la figure principale la rend aſſez viſible & aſſez diſtinguée ; ce ſeroit cependant un défaut impardonnable que de l’éteindre par l’éclat des figures voiſines, & de la perdre ainſi dans la foule. Un tableau de l’Albane repréſente Jeſus-Chriſt dans l’éloignement, qui s’approche de ſes Diſciples placés ſur le devant du tableau ; quelque petite que ſoit la figure de Jeſus-Chriſt, elle s’y trouve cependant la plus apparente, parce que le Peintre a eu l’adreſſe de la placer ſur une éminence, & de la peindre ſur la partie la plus éclatante du ciel, préciſément au-deſſus de l’horizon.

Si l’unité d’action eſt abſolument requiſe pour une bonne compoſition, on ſent combien il eſt néceſſaire d’en bannir toute figure inutile, oiſeuſe, & tout objet ſuperflus ; le ſeul défaut de génie, ou le mauvais goût ſont capables de les y introduire. Loin de renforcer l’expreſſion de l’enſemble, ces figures languiſſent iſolées ; elles ſe trouvent de trop dans la compagnie, elles y répandent un ennui & un froid qui dégoutent le ſpectateurs.

Gardez-vous bien auſſi de planter les figures comme des arbres en alignement, & réuniſſez-les par groupes ; faites-les converſer enſemble, mais qu’elles ne ſoient pas ramaſſées au haſard ſans intelligence & ſans proportion.

Ce n’eſt pas encore aſſez qu’il ſe trouve une liaiſon entre les groupes, les figures, les objets mêmes du tableau ; on ſent bien que des membres épars ne forment point une figure humaine, telle qu’elle puiſſe être ; à plus forte raiſon une figure gracieuſe, animée, & en action. Le trop d’uniformité dans la poſition des membres rendroit une figure froide, déplaiſante à voir ; le ſeul contraſte peut y rappeller le feu & la vie. Contraſtez donc les figures avec les figures, les membres avec les membres, les groupes avec les groupes ; il faut varier les attitudes ; que les bras, les jambes ne ſe répondent pas en lignes paralléles ; une figure droite doit être contraſtée par une figure penchée. Mais point de gêne dans ces contraſtes ; qu’un Peintre ſuive le naturel, ſans quoi on ſeroit tenté de penſer qu’il a conſervé trop d’amour & d’affection pour ſes porte-feuilles d’Académies, où la ſcrupuleuſe attention ſur l’attitude du modéle faiſoit craindre d’en laiſſer échapper, même ce qu’il pouvoit avoir de défectueux.

Si le ſujet demande pluſieurs figures debout, il faut les varier par des ingénieux airs de têtes, ou des autres parties. Ce contraſte s’entend auſſi des maſſes, qui ne doivent être ni de même forme, ni de même grandeur, ni de même couleur. De deux draperies rouges, par exemple, le rouge de l’une doit être plus foncé que celui de l’autre ; les jours, les ombres, les reflets, tout demande à être varié. Les draperies de couleur changeante ſont d’une grande reſſource dans ce cas-là. Quant au jet & aux plis, que l’art le céde à la nature, de maniere qu’il ne s’y faſſe pas ſentir. Voyez Draperie.

Comme il n’y a qu’une action, qu’il n’y ait dans le tableau qu’une lumiere principale ; les petites lumiéres éparſes pétillent trop, elles éteignent l’effet de la principale, & celui des maſſes, ſi elles ne ſont ménagées avec un art infini.

Une des principales parties de la Peinture eſt donc la compoſition. Dans ce grand Art, l’eſprit parle toujours à l’eſprit : quand un Artiſte penſe à exécuter un ſujet, dès-lors ſon action principale doit être peinte dans ſa tête, & ce tableau idéal le dirige dans toutes ſes études.

Un de ſes principaux devoirs doit être de donner tous ſes ſoins pour que ſa compoſition ſoit faite de maniere à ne laiſſer aucun doute ſur l’action qu’il entreprend de repréſenter. On n’aime pas à mettre ſon eſprit à la torture pour deviner ; on ne veut avoir recours qu’à ſes yeux, pour qu’ils retracent dans la mémoire ce qu’on veut y voir d’après le tableau. Le premier coup d’œil doit agir ſur l’eſprit ; & toutes les idées que le tableau excite, doivent être nettes. Les Peintres Flamands, ſi l’on en excepte Rubens & Vandike, laiſſent preſque toujours quelque choſe à déſirer dans la compoſition de leurs tableaux, dont les ſujets ſont pris de l’Hiſtoire Sainte, ſoit qu’ils ne méditent pas aſſez ſur leurs compoſitions, ſoit par d’autres raiſons auſſi peu capables de les excuſer dans ce défaut.

Nombre d’Artiſtes tombent dans un autre non moins blâmable : ils vont chercher chaque figure, chaque partie de leurs tableaux dans leurs porte-feuilles, & les couſant enſembre après les avoir rapprochées, ils en font un habit de différens draps. Les morceaux, les études ſont bien en elles-mêmes, elles ont tout le piquant de la nature, mais elles ne peuvent convenir à toutes les compoſitions. Qu’en arrive-t-il ? On va puiſer dans ce porte-feuille les détails d’un ordonnance qui devient par-là néceſſairement languiſ- ſante ; & ayant cherché dans cette ſource ce que le génie ne fourniſſoit pas, on préfere toujours quelques-unes de ces études, ou par la raiſon qu’elles ſont mieux exécutées, ou qu’elles ont plus d’attraits pour la façon de penſer : ſource malheureuſe d’où vient la répétition que l’on remarque trop ordinairement dans les tableaux du même Peintre. En vain a-t-on recours à des différences dans la lumiére, dans le ſtyle, dans le lointain ; on ne ſçauroit faire des tableaux qui parlent à l’eſprit, quand ils n’émanent pas du génie. On ſent les piéces de rapport, & l’on éprouve, en voyant ces eſpéces de tableaux, une monotonie qui dégoute. On aime l’art, on ſe prête quelque-tems à la propreté, à la délicateſſe du pinceau, à la fineſſe de la touche, à la beauté du ton, &c. mais on ne pardonne que difficilement à l’Artiſte.

Veut-il encore multiplier les motifs & les moyens de trouver de l’indulgence ? qu’il obſerve exactement le Coſtume dans ſes compoſitions. Que les figures ſoient vêtues à la mode du pays & du tems où l’action repréſentée s’eſt paſſée ; qu’un Chinois ou autre perſonnage d’Orient ne ſe préſente pas ſous la figure & l’habit d’un petit-maitre d’Europe, on le méconnoîtroit, lui, les autres acteurs, & l’action.

On rencontre dans la plûpart des tableaux compoſés dans les commencemens du renouvellement de la Peinture, un défaut eſſentiel qu’on ne pardonneroit pas à un Artiſte de nos jours. Les loix de la perſpective n’étoient pas alors connues comme elles le ſont aujourd’hui, & leurs figures ſemblent collées, ou poſées les unes ſur les autres : les lointains n’y ſont pas obſervés, & l’œil de l’imagination ne s’y promene pas à l’aiſe dans les intervalles que les figures laiſſent entr’elles : il faut faire enſorte qu’on y voie circuler l’air, & que l’on puiſſe juger de la diſtance qui ſe trouve entre chaque objet. Voyez pour cet effet l’article Perspective.

S’il eſt permis de s’écarter de quelques-unes de ces régles de la compoſition, ce ne peut être que dans le cas où le ſujet du tableau ſeroit traité hiſtoriquement en partie, & en partie allégoriquement ; mais il faut être extrêmement circonſpect à introduire dans ſes tableaux êtres imaginaires perſonnifiés ; il ne faut tout au plus y admettre que ceux que l’uſage, de tems immémorial, a admis. S’ils contribuent à la richeſſe de la compoſition, ils ne contribuent pas moins à répandre une obſcurité profonde dans un ſujet, qui d’ailleurs ſeroit très-clair & très-connoiſſable.

Le Peintre peut imiter le Poëte pour le feu, le génie, le ſtyle, l’expreſſion ; mais qu’il n’abuſe pas de ce dire d’Horace : Les Peintres & les Poëtes ont toujours eu une liberté entiere de faire entrer dans leurs compoſitions tout ce qu’il leur plaît.

....Pictoribus atque Poëtis,
Quidlibet audendi ſemper fuit æqua poteſtas.

Art. Poet.

On permet aux ſeconds ce qu’on ne pardonneroit pas aux premiers ; & quoiqu’on doive inviter les Peintres à ſe familiariſer avec les grands Poëtes par une lecture aſſidue de leurs ouvrages, une telle invitation ne peut avoir lieu que pour l’invention, où le ſublime & l’élévation des idées ſont requis : elle ne ſçauroit convenir à la diſpoſition.

Pluſieurs, il eſt vrai, confondent encore, comme avant M. de Piles, l’invention qui trouve le ſujet d’un tableau, & les objets qui doivent y entrer, avec la diſpoſition qui les y met chacun à leur place convenable ; mais n’eſt-ce pas une erreur de les regarder comme ſynonimes, dès qu’ils préſentent des idées ſi différentes ?

Une attention que tous les Peintres devroient avoir, ſeroit de faire des eſquiſſes ou croquis des choſes & des traits qui les frapperoient le plus dans la lecture de l’Hiſtoire, de la Fable, de la Bible, de l’Iconologie, & s’accoutumer de bonne heure à inventer & à compoſer d’eux-mêmes ; c’eſt le moyen de devenir Peintres : car on ne doit pas donner cette qualité à ces génies bornés, qui, incapables de produire rien d’eux-mêmes, ne font que copier ou dérober les ouvrages d’autrui, qui mettent en cela toute leur induſtrie, & qui méritent ſi bien le reproche : ô imitatores ſervum pecus.

On donne des épithétes dans le bon ou mauvais ſens, au term de compoſition ; elles dérivent toutes du défaut du goût, ou du manque de génie dans l’Artiſte, ou de ſon peu d’attention pour les régles que nous avons détaillées, ou enfin des qualités oppoſées.

Dans le ſens favorable, on appelle une compoſition riche, celle où la fécondité, le goût & la belle ordonnance ſe font voir & ſentir. La multitude des figures ne conſtitue pas la vraie richeſſe : une compoſition n’eſt proprement riche que quand elle excite en nous beaucoup d’idées ; & elle peut le faire avec une ſeule ou peu de figures. Le tableau du Pouſſin, repréſentant le déluge, que l’on voit au Palais du Luxembourg, réveille toutes les idées de ce déſaſtre arrivé à la nature humaine : on y voit le trouble, la déſolation, la deſtruction preſqu’entière du genre humain ; on ſe ſent ſaiſi d’effroi, de crainte & d’horreur à ſon aſpect ; la mélancolie s’empare de l’ame, & on s’en éloigne, comme ſi ces torrens rouloient leurs eaux avec fureur pour nous engloutir. À peine y voit-on cependant deux ou trois figures qui font tous leurs efforts pour r’échapper au péril qui les menace.

Une belle compoſition eſt celle où chaque objet eſt bien à ſa place, où les groupes ſont bien contraſtés, de même que les figures, & qu’elles expriment bien par leurs attitudes, leurs airs de tête & leurs caractères, l’action que le Peintre s’eſt propoſé de mettre devant les yeux. L’élégance d’une compoſition conſiſte dans le bon goût qui a préſidé à la diſpoſition des objets du tableau.

On appelle compoſition chargée, celle où les objets ſont trop multipliés. La diſette, au contraire, d’objets, rend la compoſition maigre ; les attitudes forcées, les mouvemens & les formes hors de la nature, les diſpoſitions contre le vrai de l’Hiſtoire, & les poſitions des objets hors du vrai-ſemblable, relatif au fait, font les compoſitions extravagantes. Lorſque les caractères des paſſions & des airs de têtes ſont exagerés, & pêchent par excès, les compoſitions ſont forcées : elles ſont froides, quand les figures manquent de caracteres, de paſſions & de vie. La figure principale eſt-elle éteinte, perdue dans la foule des autres, ſoit par ſa poſition mal choiſie, ſoit par les incidens qui l’éclipſent, ſoit parce que les autres figures ſont plus ſenſibles & plus frappantes, la compoſition eſt confuſe.

Ce ſeroit entreprendre de traiter de tout ce qui concerne la Peinture, que de vouloir entrer dans le détail de toutes les parties qui ont un rapport direct ou indirect avec la compoſition. Chaque partie a ſon objet particulier que l’on trouvera expliqué dans les différens articles de ce Dictionnaire : c’eſt pourquoi je finis celui-ci par une exhortation aux Peintres trop ſcrupuleux, à ne faire entrer dans la compoſition de leurs tableaux, que des ſujets déjà traités une quantité de fois. L’Hiſtoire Ancienne, l’Hiſtoire de France, celle de chaque pays fourniſſent des faits aſſez remarquables pour une belle compoſition : il ne s’agit que du choix ; heureux ceux qui s’affranchiront de cette ſervitude, pour voler de leurs propres aîles.