Dictionnaire pratique et historique de la musique/Buffet
Buffet, n. m. Ouvrage de menuiserie
renfermant les orgues. Dès l’introduction
des orgues dans les églises,
l’ornementation des buffets fut regardée
comme partie importante de l’architecture
religieuse et marcha de pair
avec celle des retables, des chaires et
des stalles. Les comptes des chapitres
et des fabriques conservent de
nombreuses mentions des paiements
effectués pour la décoration des B.
Les peintres y concouraient, avec
les sculpteurs, par la dorure ou la
coloration des tuyaux de montre et
l’exécution de volets ornés de figures
de saints et d’anges. La beauté de
quelques-uns de ces volets les a préservés
de la destruction, mais les a
fait généralement détacher
et transporter dans
des musées ou des collections.
C’est par exception
que ceux de l’orgue
de Salamanque, le plus
ancien B. connu (1380),
sont encore en place ; les
peintures sur bois connues
sous le nom de triptyque
de Najera attribuées à
Memling (1485) et qui
représentent le Christ entouré d’anges
chanteurs et instrumentistes, proviennent
de l’orgue d’un monastère de
la Vieille-Castille. En France, le
B. de Perpignan, construit dans le
style espagnol (1504), a été privé de
ses volets, mais ceux-ci sont déposés
dans une chapelle voisine. Sa façade,
de 15 m. de hauteur sur 7 m. 50 de
largeur, formant une surface plane
divisée en douze compartiments, contenait
une centaine de tuyaux peints
ou dorés. L’application d’enduits spéciaux,
d’une rare solidité, donnait aux
tuyaux d’étain une éclatante blancheur,
et y mélangeait les ors. Vers le
début du xviie s., les façades planes,
dont l’orgue de Moret-sur-Loing offre
un des derniers spécimens, étaient à
peu près abandonnées, et, depuis près
d’un siècle, on disposait de préférence
les tuyaux de grandes dimensions
en petits groupes formant saillie
à l’extérieur et prenant l’apparence
de tourelles disposées symétriquement
de place en place et aux extrémités
du corps principal et du positif. Le
beau B. de la cathédrale d’Albi, œuvre
du facteur lorrain Moucherel (1736),
est posé au-dessus et en arrière de
l’autel occidental sur une vaste tribune
soutenue par des murs entièrement
revêtus de peintures à fresque,
et présente une double rangée de
panneaux séparés par des tourelles
dont la plus élevée se dresse au centre
de la façade et qui sont au nombre de
neuf pour le principal et cinq pour
le positif ; celui-ci, faisant saillie, est
posé sur un balcon que soutiennent
des cariatides ; chaque tourelle est
coiffée d’un chapiteau ; toutes celles
du positif et quatre de celles du principal
sont surmontées de statues
d’anges ou de chérubins tenant des
instruments de musique ; une élégante
décoration de guirlandes et de
panneaux ornés d’emblèmes musicaux réunit les chapiteaux et remplit les
espaces de boiseries visibles au-dessous
de la montre. Quelques B.
Buffet d’orgue. (Orgue d’Albi.)
élevés contre les murs de la nef
ou dans le transept des églises
reposent sur des encorbellements de
pierre ou de bois. Celui de l’ancienne
abbaye de Luxeuil forme un énorme
massif de menuiserie disproportionné
à l’instrument qu’il porte. Les
dimensions réciproques du principal
et du positif varient d’un B. à
l’autre, sans raisons musicales appréciables.
Parmi les plus beaux B.
français des xviie et xviiie s., on
peut citer ceux de l’abbaye de la
Chaise-Dieu (Haute-Loire), de l’église
collégiale de Saint-Quentin (1703),
de Saint Pierre, à Caen, de la cathédrale
de Nancy, de Notre-Dame de
Saint-Omer (1717), de Saint-Étienne-du-Mont
à Paris. L’un des plus
célèbres est celui que dessina l’architecte
Chalgrin pour l’orgue de Saint-Sulpice,
à Paris (1781), lourd édifice
de 14 m. de hauteur sur 12 m. de
largeur, en forme d’un « temple
antique », où les tuyaux s’enveloppent
de boiseries, d’entre-colonnements et
de statues nuisibles à leur sonorité.
Mais aucun B. ne peut rivaliser de
dimensions, de luxe et, il faut le
dire, de mauvais goût, avec celui de
l’abbaye de Weingarten (Wurtemberg),
achevé de construire en 1750 et dès
l’année suivante admiré par Dom Bedos
qui le fit graver dans son traité L’Art
du facteur d’orgues. Posé à même du
sol de l’église, ce B. en occupait presque
toute la hauteur, 50 pieds (14 m. 30,
mesures du Wurtemberg), sur 30 pieds
de largeur (8 m. 60) et 27 1/2 de profondeur
(7 m. 87), offrant aux regards
un assemblage opulent de colonnes
antiques, de dais contournés, de
fausses draperies, d’urnes, de palmes,
d’écussons, de cariatides demi-nues,
d’anges et d’enfants musiciens jouant
de tous les instruments, debout, assis
ou suspendus et de proportions croissantes
à mesure qu’ils occupent des
étages plus élevés, le tout formant
deux énormes tours avancées et deux
autres plus petites, réunies par des
« montres » partielles qui font l’office
de ponts, et surmonté de trois statues
colossales, dont celle du milieu est un
automate battant des timbales. En
d’autres B., des figures mécaniques et
des roues en forme d’étoiles ou de
soleils aux rayons chargés de clochettes
concouraient à la décoration.
On y voyait jusqu’à la queue de
renard, en all. Fuchsschwanz, sortant
d’une boîte pour chatouiller le visage
du curieux ou du maladroit qui tirait
un certain bouton. Une particularité
d’un autre genre et d’essence musicale,
qui se remarque encore dans les B.
espagnols, est la disposition d’un jeu
de trompette « en chamade », dont les
tuyaux horizontaux sortent de la
façade et s’avancent, soit au-dessus
du positif, soit au faîte du principal.
Le xixe s., qui fut, dans l’architecture
religieuse, l’âge du pastiche, s’est
attaché à construire des B. « dans
le style » de telle ou telle époque ;
certains B. du « gothique flamboyant »
érigent sur leurs tourelles des flèches
prisonnières qui semblent vouloir percer
les voûtes pour s’élancer, comme
celles des clochers, en plein ciel. Le
B. de la Basilique de Saint-Denis, qui
est « dans le style du moyen âge », est
l’œuvre de l’architecte Debret ; celui
de Saint-Eustache, à Paris, est de
Baltard, celui de Saint-Vincent-de-Paul,
à Paris, « en forme d’un arc
de triomphe », est de Hittorf. La construction
de grandes orgues dans les
salles de concerts ouvre, de nos jours,
un champ nouveau à l’imagination
créatrice des dessinateurs de B.