Dictionnaire pratique et historique de la musique/Carillon
Carillon, n. m. 1. Série de cloches
disposées de manière à fournir une
gamme plus ou moins étendue, se
prêtant à l’exécution de mélodies complètes.
À l’inverse des cloches ordinaires,
que l’on met en branle en les
balançant sur leur axe, celles du C.
sont assujetties d’une manière fixe à
la charpente et frappées, soit à l’extérieur
par des marteaux, soit à l’intérieur
par le battant, qui est attiré par
un système de tringles ou de cordes,
elles-mêmes gouvernées soit par un
clavier à main, soit par un tambour
fonctionnant automatiquement. La
Bible de saint Étienne Harding
(xie s.) et l’un des chapiteaux de
Boscherville (xiie s.) offrent la représentation
d’un C. primitif, fait de clochettes
suspendues librement et que
Carillon (xie s.).
frappe un personnage assis un peu
au-dessous.
C’est le C. à main, dont
on retrouve l’image jusque chez Memling
(xve s.). À cette époque, des
C. existaient déjà dans nombre d’églises
et de beffrois de la Flandre française et
belge. Bruges passe pour en avoir
possédé un dès le commencement du
xvie s. Eustache Deschamps, dans L’Art
de dictier (1392),
Carillon (xiiie s.).
parle des
« cloches
mises en
diverses orloges,
lesquelles
par
le touchement
des
marteaux
donnent
sons accordables
selon
les six notes (de l’hexacorde), proférant
les séquences et autres choses
des chants de la Sainte Église ».
Les comptes de l’église d’Audenarde, en
1408, mentionnent un paiement « pour
avoir sonné le carillon » ; en 1510, un
mécanisme à tambour installé dans la même tour faisait entendre des fragments
du Veni sancte Spiritus et
du Salve regina ; on y joignit dans
la même année un clavier, qui fut
l’un des premiers connus. Dunkerque
avait un C. depuis 1437. Alost,
depuis 1481. Bruxelles était surnommée
en 1541 la Ville aux sept Carillons.
Carillon (xve s.).
Le beffroi de
Termonde,
qui abritait
six cloches en
1526, fut enrichi
en 1549
de quinze cloches nouvelles,
et sa flèche
fut ajourée pour en
favoriser la sonorité.
« Dans notre pays,
dit Swertius (1603), on
entend presque tous
les jours un grand
concert de cloches, où
il y a tant d’art et
d’harmonie que l’on
croirait écouter un
orgue ». La renommée
des C. flamands
les fit imiter dans les pays voisins, où
leur établissement fut souvent confié à
des fondeurs venus de Louvain, de
Bruxelles, etc. La Hollande, les Îles
Britanniques, l’Allemagne du Nord
eurent depuis le xviie s. de nombreux
C. On en établit peu en France, sauf
dans les provinces du Nord. Celui de
Beauvais, en 1531, ne comptait que
six cloches. Celui de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie,
à Paris, passait
en 1724 pour « fort musical », mais le
plus populaire était celui de la Samaritaine,
aux sons duquel venaient danser
les ramoneurs, sur le Pont-Neuf. La
plupart des C. français furent détruits
pendant la Révolution, et leurs cloches
envoyées à la fonte. On en a reconstruit
beaucoup pendant le xixe s. À
la veille de l’invasion allemande, la
Belgique en possédait de fort beaux.
Le C. de la tour de Saint-Rombaut, à
Malines, construit en 1555, avait
26 cloches en 1642, 32 en 1674 et
45 en 1914, formant un poids total de
36 369 kilogr. Hormis les six plus
grosses, qui servent à la cathédrale,
toutes ses cloches sont fixes. Son agencement
permet de les faire retentir
soit mécaniquement, soit par le jeu
du carillonneur au clavier ; dans le
premier cas, le mécanisme se compose
essentiellement d’un cylindre
énorme, appelé tambour, sur la circonférence
duquel sont fichées des
broches ; lorsque le cylindre est mis
en rotation, les broches agrippent les
bouches des fils de fer qui transmettent
l’impulsion soit au marteau extérieur
des grosses cloches, soit au battant des
petites ; le tambour est percé de
16 200 trous prêts à recevoir des
broches, lorsque, pour changer le
morceau exécuté, on procède à un
placement nouveau de ces broches.
Le C. de Saint-Rombaut fonctionne
pour annoncer la sonnerie des heures :
il joue, avant l’heure, un morceau de
108 mesures, qui dure 4 minutes,
avant la demie, 48 mesures, avant le
quart, 8 mesures, et 2 pour l’avant-quart.
Lorsque les cloches doivent
être mises en branle par le jeu de
l’artiste au clavier, on suspend le
mouvement des rouages qui commandent
la rotation du tambour. Le clavier
manuel semble double, parce que les
notes naturelles correspondent à une
rangée de touches, et les notes altérées,
à une autre, placée en retrait ; le
pédalier est analogue à celui de l’orgue.
La charpente d’un C. doit être formidable
pour résister au poids des cloches,
à celui du tambour (à Bruges, il pèse
9 983 k.), et à l’ébranlement causé
par leur mise en action, qui semble
faire trembler tout l’édifice. Les tambours
des principaux C. belges sont
disposés de manière à faire entendre
des thèmes harmonisés. Le système
généralement adopté dans la Grande-Bretagne
est différent : les cloches y
sont balancées ; les mélodies ne comportent
aucune harmonie ; au lieu de
tambours préparés pour sonner un
chant déterminé, un mécanisme alternatif,
dit change-ringing, intervertit
sans cesse l’ordre dans lequel les
cloches sont ébranlées ; il en résulte
une variété presque infinie dans l’ordre
de succession des sons qui se trouvent
en même temps dépouillés de toute
signification artistique intentionnelle.
Pour les sonneries limitées à peu de
notes et destinées à l’annonce des
heures, des formules mélodiques, appelées
chimes, se produisent de manière
que le motif entier soit entendu
avant le coup de l’heure, sa première
moitié à la demie, ses premières notes
au quart. Ce procédé anti-musical est
usuel dans quantité de petites et
grandes horloges à carillon. (Voy.
Carillonneur.) || 2. Jeu d’orgues, composé
de timbres, ou de clochettes, ou
de barres d’acier ou de spirales, mis
en vibration par une rangée de marteaux,
pour imiter le son des cloches.
Dans les anciennes orgues d’Allemagne,
le jeu de C. était souvent placé au
sommet de la montre et comportait
une ou plusieurs figures mécaniques
d’anges qui frappaient les timbres.
Des jeux de C. à percussion existent
dans quelques orgues modernes
d’Europe, et entre autres dans celles de la salle des fêtes du Trocadéro, à
Paris. On donne aussi le nom de C. à
un jeu de mutation analogue au
cornet, qui fait entendre, avec le
son fondamental, les harmoniques
3, 5 et 8. || 3. Instrument de percussion
employé à l’orchestre, appelé
en all. Glockenspiel, littér. « jeu de
cloches », dit quelquefois harmonica
de métal. Ses modèles anciens étaient
composés de séries de timbres, ou
calottes hémisphériques, en bronze,
de grosseur décroissante, mis en
vibration par le choc de deux petits
maillets tenus en main par l’exécutant.
Les timbres ont été remplacés
par des barres d’acier de longueur
et d’épaisseur décroissantes, reposant
au point des nœuds de vibration
sur des cordes ou des tresses de paille
servant d’isolateurs. Dans le modèle
appelé typophone, inventé par Mustel,
les barres sont remplacées par des
diapasons. Le célesta, produit par le
même facteur vers 1886, est une
sorte de piano réduit dans lequel les
cordes métalliques sont remplacées
par des lames d’acier. Hændel a
employé le jeu de C. dans le célèbre
chœur de jeunes filles de son
oratorio Saül. Mozart s’en est servi
dans La Flûte enchantée, et Wagner
dans la scène du feu de La Walkyrie.
Dans la scène finale du Rêve (représenté
en 1891) Alfred Bruneau a mélangé
aux accords du grand orgue, mesurés
à 4 temps, le dessin obstiné d’un C.
de trois notes produisant un dessin de
rythme ternaire :
En 1913, pour les représentations de l’opéra de Leroux, Le Carillonneur, G. Lyon a installé, dans les cintres de l’Opéra-Comique, un C. composé de 53 tubes de métal, actionnés par un clavier à transmission électro-pneumatique, placé dans l’orchestre. Cet instrument a permis au compositeur de transporter réellement sur le théâtre le genre d’effets sonores auquel les fêtes religieuses et civiques de la Belgique doivent une partie de leur beauté et de leur originalité. || 4. Pièce de musique imitant la sonnerie d’un C. Les œuvres de William Byrd pour la Virginale (xvie s.), le livre de luth de Besard (1603), les pièces de viole de Marais (1707), les pièces de clavecin de Couperin (1716), celles de Pierre Dandrieu pour l’orgue en offrent des exemples. Au Concert spirituel de Paris, vers 1730, on entendait chaque année, le jour de la Toussaint, un « Carillon funèbre par toute la symphonie ». Vers la fin du xviiie s., Daquin et les principaux organistes ne manquaient pas d’exécuter, le même jour, un morceau semblable. Parmi les œuvres modernes, on rappellera le C. de L’Arlésienne, de Bizet (1872), et le Carillon pour orgue, de L. Boellmann.