Dictionnaire pratique et historique de la musique/Modulation
Modulation, n. f. Passage d’un ton à un autre. Pris dans son sens littéral, ce terme ne devrait s’appliquer qu’au changement de mode : mais dans l’ancien système modal pratiqué jusqu’au xvie s., les compositeurs ne pouvaient pratiquer que le mélange partiel et exceptionnel des modes, non leur échange et leur alternative dans le cours d’un morceau. La M., au sens actuel du mot, n’a pu s’établir qu’après la substitution, aux 8 ou 12 modes anciens, d’un mode unique, le mode majeur, avec son dérivé, le mode mineur, et leurs transpositions sur les 12 degrés de la gamme tempérée. La M. est donc le passage d’un ton à un autre, et consiste à asseoir la tonalité sur un degré différent de la gamme, devenu à son tour tonique. Le jeu des M. compense l’uniformité du Mode. Son maniement comporte un grand nombre de procédés, dans l’emploi et l’invention desquels se dénotent l’habileté ou le génie des maîtres.
La modulation s’opère, dans la mélodie, par l’introduction d’accidents, ou de signes d’altération, qui amènent et fixent la nouvelle tonalité :
dans l’harmonie, par l’emploi d’un
ou plusieurs accords de transition
qui annulent le caractère de la tonalité
primitive et lui substituent celui du
nouveau ton choisi :
Le ton qui sert de point de départ est appelé ton primitif ; s’il est ramené après une ou plusieurs M., on le nomme ton principal. On distingue la M. aux tons voisins, qui ne diffèrent du ton primitif que par un accident en plus ou en moins, et qui est aisée et habituelle, de la M. aux tons éloignés, qui s’accomplit par des moyens très variés et qui produit parfois des effets imprévus d’une grande puissance expressive. (Voir l’exemple page suivante.)
Les théoriciens énumèrent la M. passagère, qui touche momentanément une tonalité étrangère pour revenir au ton primitif ou conduire à un troisième ; la M. convergente, qui parcourt plusieurs tons avant de rentrer dans le ton primitif ; la M. divergente, qui aboutit au contraire à l’adoption d’une autre tonalité ; la M. composée, qui procède par accords transitifs ;
la M. par l’équivoque ou
amphitonie, emploi d’accords semblables
appartenant à deux tonalités :
par l’enharmonie, ou emploi de notes
semblables pour l’oreille et différentes
quant à la notation et quant à
la dépendance de telle ou telle tonalité :
On peut suivre d’époque en époque,
l’accroissement d’importance du rôle
qu’elle joue dans l’art de la composition.
Les maîtres du xviie et du
xviiie s. en font un usage limité,
comme s’ils redoutaient d’obscurcir,
par des incertitudes tonales, la limpidité
du discours musical. Mozart déjà
rassemble volontiers, en une succession
rapide, des séries de modulations
passagères. Mais c’est chez Beethoven
qu’apparaissent pour la première fois
dans toute leur hardiesse et toute leur
richesse les multiples ressources expressives
de la M., soit qu’il
émeuve soudain le sentiment
de l’auditeur par une M. inattendue
(voy. ex. page suiv.),
soit qu’il le tienne en suspens
par un enchaînement de M.
passagères dont le nombre
atteint ou dépasse celui des
mesures qu’elles remplissent.
Les musiciens contemporains ont porté à ses extrêmes limites l’art de la M. (voy. ex. page suiv.). C’est par elle et par le chromatisme qu’ils donnent à certaines de leurs œuvres le caractère atonal. (Voy. Changement de ton.)