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Dictionnaire pratique et historique de la musique/Oratorio

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Oratorio, n. m. ital. signifiant « oratoire ». C’est en effet pour la réunion pieuse des confrères de l’Oratoire, à Rome, illustrée déjà par Animuccia et Fr. Soto qui l’avaient enrichie de leurs laudi spirituali, par G. P. da Palestrina, qui écrivit dans le même esprit ses madrigaux spirituels, que Emilio de’ Cavalieri, vers la fin du xvie s., écrivit sa Rappresentazione di Anima e di Corpo, qui y fut jouée en février 1600. Le fondateur de l’opéra fut donc également celui de l’oratorio et l’on peut se faire une idée de ses opéras perdus, en étudiant son oratorio. Il n’a pas d’ouverture, mais on peut exécuter un morceau de musique, de préférence un « madrigal religieux » avant le lever du rideau. Un prologue dialogué, mais sans musique, annonce la pièce : celle-ci est composée de trois actes, aux personnages purement abstraits ; des solos, duos, trios et quatuors, sont entremêlés de chœurs. Le dernier acte se termine par un cantique auquel la foule prend part en même temps que le chœur — héritage des mystères —. Mais un ballet et un nouveau chœur dansé terminent la représentation. Par son succès ou par son mérite, cette œuvre fit école : en 1603, un oratorio (perdu) de Borsari, pour une image de la Vierge ; l’Emmelio, d’Ag. Agazzari, en 1606, représenté au Séminaire Romain ; en 1615, à Bologne, un Sacrifice d’Abraham, qui ouvre le chemin aux « histoires sacrées » ; en 1621, une Judith. À partir de ce moment, on peut suivre d’année en année le mouvement nouveau et les nouvelles œuvres, beaucoup mieux que nous ne le pouvons pour l’opéra. Remarquons que le Santo Alessio de Stefano Landi, en 1634, porte le double titre de dramma musicale et historia sacra.

Le grand maître des oratorios et des « histoires sacrées », dont le musicien français Maugars distingue nettement les deux genres (1639), est alors Giacomo Carissimi qui, de 1628 jusqu’à sa mort en 1674, fut maître de chapelle du Collège dit Germanique à Rome, pour lequel il semble avoir composé toutes ces œuvres. Nous ignorons la date précise de chacune d’entre elles, dont les recueils, manuscrits, ne portent aucune référence de ce genre. Citons, parmi les plus célèbres : Jephté, le Jugement de Salomon, l’Historia divitis (Le mauvais riche), la Plainte des Damnés, Jonas, dont la « tempête », avec de très simples moyens, est très caractéristique du style de Carissimi ; Balthazar. Un caractère très spécial distingue ces œuvres des premiers oratorios et de ceux qui vont suivre : au lieu d’être écrits sur un livre fourni par un poète ou un prosateur, l’histoire sacrée ou l’oratorio carissimien est, pour l’ensemble, composé sur des fragments et des passages de l’Écriture Sainte extraits et groupés de manière à former un ensemble ; et il ne semble pas qu’ils aient été destinés à des représentations, mais seulement à des exécutions pieuses ou en concert. Ces fragments sont disposés sur le plan des « Passions », avec un récitant, ou « historien », des rôles distincts pour les interlocuteurs, un chœur pour la foule. C’est sur ce même plan que Charpentier, son élève, composera un peu plus tard ses œuvres du même genre, par exemple la dernière en date, Le Jugement de Salomon (1702 ; voy. plus loin). Après Carissimi, les maîtres italiens renouèrent de préférence la tradition de l’opéra sur des sujets religieux, dont le San Alessio de Lundi avait donné le modèle. Il y eut des partitions en forme d’opéra, mais destinées aux concerts donnés dans les églises et les couvents, sur des sujets tels que Santa Radegonda, d’Ariosti (1694), la Maddalena, de G. M. Bononcini (1701), le Sacrifizio d’Isacco, de Ziani, etc. Aless. Scarlatti a laissé 7 oratorios. Caldara, vers 1720, les écrivait à la douzaine. || Les musiciens français du xviie s. connaissaient les « histoires sacrées » des Italiens et traitaient le même genre. Les œuvres inédites de Bouzignac, maître de chapelle à Tours dans la première moitié du xviie s. (vers 1630) contiennent un motet à 5 voix à la Vierge, Ecce Aurora, qui est dialogué et offre toutes les oppositions de chœurs et de soli amenées par le texte. C’est le style des motets-oratorios de Charpentier, des dialogues de Schutz, etc.

L’oratorio fut importé en France vers la fin du xviie s. par M.-A. Charpentier, élève de Carissimi. Ce maître le traita dans sa forme primitive latine très rapprochée de la musique religieuse. Son oratorio en 2 parties sur Le Jugement de Salomon fut exécuté en guise de grand motet par les musiciens de la Sainte-Chapelle, pendant la messe rouge pour la rentrée du Parlement en 1702. Charpentier a laissé vingt autres oratorios. Les oratorios de Charpentier étaient oubliés lorsque Mondonville produisit les siens au Concert Spirituel. Ceux-ci étaient composés sur des livrets en vers français : Les Israélites à la montagne d’Horeb (1758) étaient dûs à l’abbé de Voisenon, et passèrent sous le titre de « motet français » ; vinrent ensuite les Fureurs de Saül (1759). Ils furent bien accueillis, mais peu imités. Le Passage de la mer Rouge, de Persuis (1759), la Conquête de Jéricho, de Davesnes (1760), et, particulièrement, la Nativité, de Gossec (1774), représentent surtout l’effort fait alors en ce sens. Les œuvres prétendues religieuses de J.-F. Lesueur auraient pu, par leurs formes descriptives, rouvrir une nouvelle carrière à l’oratorio, en procédant directement de la Nativité de Gossec. Mais, sauf pour Berlioz et plutôt dans les détails extérieurs que dans le fond, elles restèrent sans influence. Ce qu’on a appelé les oratorios de Lesueur était, dans l’intention de leur auteur, une série de compositions destinées à être exécutées dans l’église, pendant les offices, à chacune des principales fêtes de l’année liturgique. Lesueur appelait son invention « une musique, une imitative et particulière à chaque solennité ». Il en fit le premier essai en 1786, avec une composition de Noël et continua dans les années suivantes. On trouve dans ses œuvres singulières un mélange de la messe, du drame liturgique et de l’oratorio, exprimé musicalement dans une forme presque dramatique. Ignorants du passé de la musique de concert et d’église en France, des écrivains allemands ont cru que L’Enfance du Christ, de Berlioz (1854), était le premier oratorio produit en France. Son titre est « trilogie sacrée », et l’on sait comment son auteur la présenta au public sous un nom supposé, et comme une œuvre du xve siècle ! Après 1870-71 la renaissance de la composition de concert et d’église en France fit éclore des œuvres de titres et d’esprit divers, comme de mérite inégal, qui peuvent être rassemblées sous l’appellation générale d’O. : Rédemption de C. Franck (1872-1874) ; Les Béatitudes, de C. Franck (1879) ; Rédemption (1882), de Gounod ; Mors et Vita (1885) de Gounod ; Marie-Magdeleine (1874), de Massenet, intitulé « drame sacré » ; Ève (1875), de Massenet, intitulé « mystère » ; Le Déluge (1876), de Saint-Saëns, qui avait précédemment donné, en latin, un Oratorio de Noël (1860). En Belgique, les belles œuvres d’Edgar Tinel, Franciscus (1888) et Sainte Godeliève (1897), en langue flamande, comptent parmi les plus admirables productions de l’école belge en même temps que parmi les plus beaux oratorios modernes. La Croisade des enfants de G. Pierné (1904), poème de Marcel Schwob, est intitulé « légende musicale en 4 parties ». L’auteur y emploie un chœur de « 200 enfants » qui peut être remplacé par un chœur « spécial » à 3 voix de femmes, au moins 20 à chaque partie. La narration est confiée à un « récitant » (ténor). Sur le même type, nous avons du même compositeur Les Enfants à Bethléem (1909). || On a parlé précédemment des commencements de l’O. allemand à propos de l’opéra. De 1643 jusque dans les premières années du xviiie s., l’opéra n’y était qu’un oratorio joué sur le plan primitif d’E. de Cavalieri et de ses premiers successeurs. Mais, en même temps, l’O. ou l’histoire sacrée y fleurit aussi. Vers 1644, le poète Klag faisait réciter dans l’église Saint-Sebald, à Nuremberg, des scènes entremêlées de chants, en solo ou en chœur, sur des épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les Dialogues que Schütz (1585-1672), Hammerschmidt (1645) et quelques autres écrivaient sur des textes allemands imités de la Bible, à 4, 5, 6, 7 voix avec orgue et instruments, semblent s’être rapprochés de l’oratorio plutôt que de l’ « histoire sacrée ». Dans les « Musiques du soir » de l’église luthérienne de Lubeck, Matheson faisait exécuter (1er quart du xviiie s.) des oratorios bibliques, Gédéon, Jephté, Daniel, Joseph, tellement développés qu’il en divisait l’exécution entre quatre dimanches consécutifs. Les grandes Passions (voy. ce mot) composées depuis le xviiie s. par les maîtres protestants allemands, et surtout les chefs-d’œuvre de Bach, Passion selon saint Jean et Passion selon saint Mathieu, tiennent un rang intermédiaire entre l’ancienne Passion liturgique et l’oratorio moderne, qui a pour texte, au lieu des versets de l’Évangile, un poème plus ou moins analogue au plan et au style de l’opéra. Le compositeur allemand Graun, maître de chapelle de Frédéric ii, écrivit en 1755 une cantate de la Passion, Der Tod Jesu, sur un poème de Ramler, qui obtint une grande et durable célébrité. Beaucoup d’oratorios allemands traitent d’épisodes séparés de la Passion, développés en livrets. L’oratorio Christus (1860) de Kiel (né en 1821), conçu dans la forme dramatique, est cependant disposé sur des fragments de textes évangéliques rattachés les uns aux autres.

Au xviiie s., en Allemagne, citons encore : Les Israélites dans le désert, de C. Ph. Em. Bach, publ. 1775 ; La Création, de Haydn, comp. 1795-1798. Puis Le Jugement dernier, de F. Schneider, 1819 ; de Spohr, Die letzten Dinge, 1826 ; tout cela oublié, ou presque. La Cène des Apôtres, de Wagner, qui porte le titre de « scène biblique » 1re exécution, Dresde, 1844, est rangée par Kretzschmar parmi les oratorios. Les oratorios de Mendelssohn, Paulus (1835) et Élie (1846), se maintiennent au répertoire des sociétés de chant dans les Îles Britanniques. On fit cas en son temps du Moïse de Ad. B. Marx (1840). Puis une longue période d’abandon commença pour l’oratorio allemand. Le Paradis perdu, de Rubinstein (1856) et sa Tour de Babel (1870) n’offrent guère d’intérêt. Après 1870, les grands festivals annuels des sociétés de chants allemandes offrirent un champ favorable à l’éclosion de nouveaux oratorios, dont le nombre ne compensa pas la médiocrité. Grâce au grand nom de leur auteur, les oratorios de Liszt s’imposèrent à l’attention : la Légende de sainte Élisabeth (1867) et surtout son Christus (1857). || Mais les modèles les plus complets du genre naquirent en Angleterre : les oratorios de Hændel. C’est au nombre de trente-deux que ses biographes les comptent et qu’ils ont été édités, bien que quelques œuvres comprises sous ce titre ne soient pas des pièces religieuses (Acis et Galathée ; la Caecilien-ode ; Héraklès ; etc.) ; mais leur plan est en tout semblable à celui de l’oratorio, qui agrandit ainsi son objet. Leur composition s’étend de 1704 (la Passion allemande) à 1751 ; les plus remarquables et les plus célèbres sont : Saül (1738), Israël en Égypte (même année) ; Le Messie (1742) ; Samson (1743) ; Judas Macchabée (1746). Le dernier est Jephté, resté inachevé par la mort du maître (1751). On sait comment les oratorios de Hændel font partie des grands festivals anglais annuels, presque depuis 1724 ; à deux ou trois reprises, on a tenté en France l’exécution d’une série de ces oratorios, les dernières organisées par M. F. Raugel de 1910 à 1914 ont eu de triomphants succès.