Dictionnaire pratique et historique de la musique/Trille
Trille, n. m. Battement rapide et progressivement accéléré d’une note supérieure sur la note principale écrite : on l’indique par les lettres tr. suivies ou non d’un trait ondulé. Il est ou non suivi d’une « terminaison ». Ce nom n’avait pas chez tous les auteurs anciens la signification qu’on lui donne aujourd’hui. Caccini, en 1601, dans la préface de ses Nuove Musiche, appelle trillo le vibrato des luthistes, répétition d’un même son (le tremolo moderne) et le marque en augmentant de vitesse, les premiers battements lents, en noires, puis plus vite, en croches, puis vite, en doubles croches, pour finir :
Cette notation est exactement adoptée par Prætorius (1618). Caccini décrit et note sous le nom de groppo le T. à la note supérieure, augmentant de vitesse et se terminant par le grupetto appuyé sur la note inférieure. Là aussi il est suivi exactement par Prætorius. Frescobaldi (au moins à partir de 1635) indique la place des petits trilles, ou tremoletti, par la lettre t. Les clavecinistes et luthistes le marquaient souvent alors par deux petits traits obliques. Le dessin mélodique du T. est souvent donné en toutes notes par les auteurs de pièces de clavier de cette époque ; en voici divers exemples (voy. page 451).
Cadence était le nom donné autrefois au T. placé à la fin d’une phrase. L’Affilard (Principes, 1635) distingue 5 espèces de cadences qu’il appelle : C. coupée avec une note, Double C. coupée, double C. battue (2 variantes), C. soutenue (2 versions), C. appuyée, battue et fermée. Il les note par les
signeset+disposés de diverses
manières. Sa cadence appuyée, battue et
fermée est figurée :
ce que Dannreuther traduit :
On peut remarquer que dans l’explication des signes d’agréments, qui est contenue dans les Pièces de clavecin de Le Bègue, les noms de cadence ou tremblement sont employés comme synonymes pour le même signe, qui est traduit par le T. à la note supérieure. Chez d’Anglebert (1689), le tremblement est un T. à la note supérieure sur 2 notes, sans grupetto, et la cadence, simple ou double, est un tremblement précédé du grupetto.
Couperin dit en 1717: « Quoique les tremblements soient marqués égaux, ils doivent cependant commencer plus lentement qu’ils ne finissent, mais cette gradation doit être imperceptible. Sur quelque note qu’un tremblement soit marqué, il faut toujours le commencer sur le ton, ou sur le demi-ton, au-dessus. » Il divise le tremblement un peu prolongé en 3 parties : « l’appui qui doit se former sur la note au-dessus de l’essentielle ; les battements, le point d’arrêt ». Un tremblement, ou T., prescrit sur le ré a pour lui cette interprétation :
(Voy. aux mots Cadence, Grupetto, Tremblement, Tremolo, Vibrato.)
Tosi (1723). donne de longues explications sur les T. Il reconnaît la difficulté d’une bonne exécution vocale du T., dont il vante l’importance dans l’art du chant. « Celui qui ne sait pas le faire, ou qui ne le possède que défectueux, ne sera jamais un grand chanteur. » Tosi distingue huit espèces de T. C’est le principal des agréments dans le jeu des instruments à archet aux xviie-xviiie s.
Les violonistes l’appellent tremblement ou cadence, lorsqu’il se bat avec la note supérieure, battement lorsqu’il emprunte la seconde inférieure, martellement ou pincé renversé, et pincé, lorsqu’il est de courte durée, etc. Il se marque par une petite croix chez les violonistes français. Ceux-ci naissent le trille soutenu sur une partie mélodique, et le double trille.
Le 3e des 24 Caprices pour violon seul de Paganini (op. 1) est probablement la première œuvre où soit noté le double trille pour violon, à l’octave :
Le double trille à la tierce est noté chez Guignon :
L’exécution du T. au temps de Bach comporte des variantes nombreuses qui dépendent de conditions diverses de notation ou de situation dans la phrase musicale. En général, le T., indiqué par les signes ttr.tr_, commence sur le temps de la note principale et par la note au-dessus de celle-ci : On doit donc interpréter ce passage :
À l’égard, du nombre des battements,
l’exécutant avait toute liberté. C.-Ph.
Em. Bach mentionne l’habitude d’en
réduire le nombre, selon la difficulté
d’exécution sur des claviers différents.
Il parle de la possibilité de remplacer,
pour simplifier le jeu, un mordent
par une appogiature. La terminaison
du trille, chez Bach et à son
époque, se fait avec ou sans mordent
final. Souvent ce groupe est prescrit
par un petit trait vertical traversant
le signe du trille ou par un prolongement
recourbé du signe
L’exécution se termine alors :
Cette introduction de notes finales a
lieu lorsqu’un trille se poursuit de note
en note sur un dessin mélodique ascendant.
On s’en abstient en cas de note
semblable liée. Mais on peut dire qu’il
y a des règles générales et pas de
règles absolues et qu’une marge considérable
pour le choix des détails est
laissée à l’exécutant. Le signe du trille
précédé d’un crochet , implique
un mordent au départ :
La traduction des signes de trilles, comme de tous les signes d’ornements, est une chose très délicate. Les témoignages abondent pour prouver la variété des interprétations à une époque donnée. Emm. Bach (Versuch, 1753) déclare le trille le plus difficile à exécuter au clavier de tous les ornements. Tout le monde n’y arrive pas. Il faut s’y habituer dès la première jeunesse. Un trille rapide est toujours préférable. Mais un trille un peu plus lent peut convenir dans une pièce plaintive. Le genre du trille est déterminé par l’expression de la phrase. D’un autre passage du même chapitre il résulte que les gens habiles à jouer le T. en abusaient, en mettaient partout, et croyaient plaire en faisant bourdonner des T. quand l’auteur avait écrit une tenue suivie d’un simple coulé. Mais quand un T. doit réellement se prolonger pendant plusieurs mesures, l’exécutant peut l’accélérer graduellement, l’introduire par des battements lents et de plus en plus pressés, et par un petit groupe de 2 notes au-dessous. Emm. Bach (1753) compte dans le jeu du clavecin 4 sortes de trilles : le trille proprement dit, le trille commençant au-dessus, le trille commençant au-dessous, le trille imparfait, ou demi-trille, prall-triller qui est le mordent. Chacun a son signe spécial, mais on se contente parfois de les marquer indistinctement par l’abréviation tr. ou par une croix. Le signe ordinaire du trille commun est . S’il doit durer pendant un long temps, on prolonge un trait ondulé au-dessus de la note et de l’espace de temps à occuper. Le trille ordinaire commence toujours par la note accessoire supérieure, c’est-à-dire la seconde diatonique au-dessus de la note principale. Lorsqu’il comporte une terminaison au-dessous, on trace un trait vertical dans le signe ou bien on inscrit la terminaison en notes ordinaires, ce qui est préférable pour ne pas amener de confusion de signes, puisque le mordent se marque |.
D’après ses exemples, Emm. Bach ajoutait presque toujours une terminaison :
il en précisait l’absence dans
les passages mélodiques descendants,
et dans les chaînes de trilles descendants,
et dans les mouvements rapides
où le trille occupait peu de durée. Il
conseillait même de le remplacer dans
les mouvements très rapides par une
seule petite note supérieure, ce qui
transformait totalement le dessin :
Ce que Emm. appelle le trille imparfait ou Prall-triller, et dont il dit qu’il doit réellement briller (prallen) est un mordent à la note supérieure. Il déclare impossible de l’exécuter délicatement sur le piano-forte, encore nouveau à son époque. Il précise que sa différence avec le mordent est dans sa direction, le prall-triller étant ascendant, convenable aux enchaînements ascendants, et le mordent étant descendant. Un des exemples les plus fameux de trille est la Sonate en sol mineur pour violon, de Tartini (1692-1770), surnommée le Trille du diable, où le trille est battu tandis que se déroule une partie mélodique :
L’ébauche de ce procédé se rencontre déjà en 1707 chez le violoniste français Marchand.
Le trille n’est pas seulement un ornement. Il concourt à l’expression. Verdi a employé un double trille aux basses pour donner un caractère violent au monologue d’Iago, 2e acte d’Otello :
(Voy, également les mots Ornement et Conclusion.)