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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Balustrade

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BALUSTRADE, s. f. Chancel, Gariol. Le nom de balustrade est seul employé aujourd’hui pour désigner les garde-corps à hauteur d’appui, le plus souvent à jour, qui couronnent les chéneaux à la chute des combles, qui sont disposés le long de galeries ou de terrasses élevées, pour garantir des chutes. On ne trouve pas de balustrades extérieures surmontant les corniches des édifices avant la période ogivale, par la raison que jusqu’à cette époque les combles ne versaient pas leurs eaux dans des chéneaux, mais les laissaient égoutter directement sur le sol. Sans affirmer qu’il n’y ait eu des balustrades sur les monuments romans, ne connaissant aucun exemple à citer, nous nous abstiendrons. Mais il convient de diviser les balustrades en balustrades intérieures, qui sont destinées à garnir le devant des galeries, des tribunes, et en balustrades extérieures, disposées, sur les chéneaux des combles ou à l’extrémité des terrasses dallées des édifices.

Ce n’est guère que de 1220 à 1230 que l’on établit à l’extérieur des grands édifices une circulation facile, à tous les étages, au moyen de chéneaux ou de galeries, et que l’on sentit, par conséquent, la nécessité de parer au danger que présentaient ces coursières, étroites souvent, en les garnissant de balustrades ; mais avant cette époque, dans les intérieurs des églises ou de grandes salles, on établissait des galeries, des tribunes, dont l’accès était public, et qu’il fallait par conséquent munir de garde-corps. Il est certain que ces garde-corps furent souvent, pendant l’époque romane, faits en bois ; lorsqu’ils étaient de pierre, c’était plutôt des murs d’appui que des balustrades. La tribune du porche de l’église abbatiale de Vézelay (porche dont la construction peut être comprise entre 1150 et 1160), est munie d’un mur d’appui que nous pouvons à la rigueur classer parmi les balustrades, ce mur d’appui étant décoré de grandes dents de scie qui lui donnent l’aspect d’un couronnement plus léger que le reste de la construction (1).

Les galeries intérieures des deux pignons du transept de la même église, construit pendant les dernières années du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe, possèdent de belles balustrades pleines ou bahuts décorés d’arcatures, sur lesquels sont posées les colonnettes de ce triforium. Nous donnons ici (2) la balustrade de la galerie sud, dont le dessin produit un grand effet.
Mais on ne tarda pas, lorsque l’architecture prit des formes plus légères, à évider les balustrades ; un reste des traditions romanes fit que l’on conserva pendant un certain temps les colonnettes avec chapiteaux dans leur composition. Les balustrades n’étaient que des arcatures à jour, construites au moyen de colonnettes ou petits piliers espacés, sur lesquels venait poser une assise évidée par des arcs en tiers-point. Les restes du triforium primitif de la nef de la cathédrale de Rouen (1220 à 1230) présentent à l’intérieur une balustrade ainsi combinée, se reliant aux colonnes portant la grande arcature formant galerie, afin d’offrir une plus grande résistance (3). On concevra facilement, en effet, qu’une claire-voie reposant sur des points d’appui aussi grêles, ne pouvait se maintenir sur une grande longueur, sans quelques renforts qui pussent lui donner de la rigidité. Mais c’est surtout à l’extérieur des monuments que les balustrades jouent un rôle important à partir du XIIIe siècle, car, ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’est à dater du commencement de ce siècle que l’on établit des chéneaux et des galeries de circulation à tous les étages. Les balustrades exécutées pendant cette période présentent une extrême variété de formes et de constructions. La nature de la pierre influe beaucoup sur leur composition. Là où les matériaux étaient durs et résistants, mais d’un grain fin et faciles à tailler, les balustrades sont légères et très-ajourées ;
là où la pierre est tendre, au contraire, les vides sont moins larges, les pleins plus épais. Leur dimension est également soumise aux dimensions des matériaux, car on renonça bientôt aux balustrades composées de plusieurs morceaux de pierre placés les uns sur les autres, comme n’offrant pas assez d’assiette, et on les évida dans une dalle posée en délit. En Normandie, en Champagne, où la pierre ne s’extrait généralement qu’en morceaux d’une petite dimension, les balustrades sont basses et n’atteignent pas la hauteur d’appui (1m,00 au moins). Dans les parties de la Bourgogne où la pierre est très-dure, difficile à tailler, et ne s’extrait pas facilement en bancs minces, les balustrades sont rares et n’apparaissent que fort tard, lorsque l’architecture imposa les formes qu’elle avait adoptées dans le domaine royal, à toutes les provinces environnantes, c’est-à-dire vers la fin du XIIIe siècle. Les bassins de la Seine et de l’Oise offraient aux constructeurs des qualités de matériaux très-propres à faire des balustrades ; aussi est-ce dans ces contrées qu’on trouve des exemples variés de cette partie importante de la décoration des édifices. Comme l’usage de scier les bancs en lames minces n’était pas pratiqué au XIIIe siècle, il fallait trouver dans les carrières des bancs naturellement assez peu épais, pour permettre d’exécuter ces claires-voies légères. Le cliquart de Paris, le liais de l’Oise, certaines pierres de Tonnerre et de Vernon, qui pouvaient s’extraire en bancs de 0,15 à 0,20 centimètres d’épaisseur, se prêtaient merveilleusement à l’exécution des balustrades construites en grands morceaux de pierre posés de champ et évidés. Partout ailleurs les architectes s’ingénièrent à trouver un appareil combiné de manière à suppléer à l’insuffisance des matériaux qu’ils possédaient, et ces appareils ont eu, comme on doit le penser, une grande influence sur les formes adoptées. Il en est des balustrades comme des meneaux de fenêtres, comme de toutes les parties délicates de l’architecture ogivale des XIIIe et XIVe siècles : la nature de la pierre commande la forme jusqu’à un certain point, ou du moins la modifie. Ce n’est donc qu’avec circonspection que l’on doit étudier ces variétés, qui ne peuvent indifféremment s’appliquer aux diverses provinces dans lesquelles l’architecture ogivale s’est développée. Dans l’Île de France, une des plus anciennes balustrades que nous connaissions est celle qui couronne la galerie des Rois de la façade occidentale de la cathédrale de Paris ; elle appartient aux premières années du XIIIe siècle (1215 à 1225) comme toute la partie inférieure de cette façade (4).
Avant la restauration du portail, cette balustrade n’existait plus qu’au droit des deux contreforts extrêmes, ainsi qu’on peut s’en assurer[1] ; elle est construite en plusieurs morceaux, au moins dans la partie à jour, et se compose d’une assise portant les bases, de colonnettes posées en délit avec renfort par derrière, et d’une assise de couronnement évidée en arcatures, décorées de fleurettes en pointes de diamant. Il existe encore sur les galeries intermédiaires des tours du portail de la Calende à la cathédrale de Rouen une balustrade du commencement du XIIIe siècle, de même construite par morceaux superposés (5).
Ici les colonnettes reposent directement sur le larmier de la corniche formant passage, et laissent entre elles les eaux s’écouler naturellement sans chenal. Ce n’est guère que vers 1230 que l’on établit des chéneaux conduisant les eaux dans des gargouilles ; jusqu’alors les eaux s’égouttaient sur le larmier des corniches, comme à la cathédrale de Chartres à la chute des grands combles ; mais ces balustrades, composées de petits piliers ou colonnettes isolées et scellées sur le larmier, conservaient difficilement leur aplomb. Les constructeurs avaient tenté quelquefois de les réunir à leur base au moyen d’une assise continue évidée par dessous pour l’écoulement des eaux, ainsi qu’on peut le voir à la base du haut chœur nord de la cathédrale de Chartres (6) ;
mais ce moyen ne faisait que rendre le quillage plus dangereux en multipliant les lits, et ne donnait pas à ces claires-voies la rigidité nécessaire pour éviter le bouclement ; on dut renoncer bientôt aux colonnettes ou petits piliers isolés réunis seulement par l’assise supérieure continue, et on se décida à prendre les balustrades dans un seul morceau de pierre ; dès lors les colonnettes avec chapiteaux n’avaient pas de raison d’être, car au lieu d’une arcature construite, il s’agissait simplement de dresser des dalles percées d’ajours affectant des formes qui ne convenaient pas à des assises superposées. C’est ainsi que le sens droit, l’esprit logique qui dirigeaient les architectes de ces époques, leur commandaient de changer les formes des détails, comme de l’ensemble de leur architecture, à mesure qu’ils modifiaient les moyens de construction. Dans les balustrades construites, c’est-à-dire composées de points d’appui isolés et d’une assise de couronnement, on remarquera que la partie supérieure des balustrades est, comparativement aux points d’appuis, très volumineuse. Il était nécessaire en effet de charger beaucoup ces points d’appui isolés pour les maintenir dans leur aplomb. Quand les balustrades furent prises dans un seul morceau de pierre, au contraire, on donna de la force, du pied à leur partie inférieure, et de la légèreté à leur partie supérieure, car on n’avait plus à craindre alors les déversements causés par la multiplicité des lits horizontaux. Les balustrades des grandes galeries de la façade et du sommet des deux tours de la cathédrale de Paris sont taillées conformément à ce principe (7) ;
leur pied s’empatte vigoureusement et prolonge le glacis du larmier de la corniche ; un ajour en quatre-feuilles donne une décoration continue qui n’indique plus des points d’appuis séparés, mais qui laisse bien voir que cette décoration est découpée dans un seul morceau de pierre ; un appui saillant, ménagé dans l’épaisseur de la pierre, sert de larmier et préserve la claire-voie. Aux angles, la balustrade de la grande galerie est renforcée par des parties pleines ornées de gros crochets saillants et de figures d’animaux, qui viennent rompre la monotonie de la ligne horizontale de l’appui (voy. Animaux). La balustrade extérieure du triforium de la même église, plus légère parce qu’elle couronne un ouvrage de moindre importance, est encore munie de l’empattement inférieur nécessaire à la solidité. Cet empattement, pour éviter les dérangements, est posé en feuillure dans l’assise du larmier (8).
Il ne faudrait pas cependant considérer les principes que nous posons ici comme absolus ; si les architectes du XIIIe siècle étaient soumis aux règles de la logique, ils n’étaient pas ce que nous appelons aujourd’hui des rationalistes ; le sentiment de la forme, l’à-propos avaient sur leur esprit une grande prise, et ils savaient au besoin faire plier un principe à ces lois du goût qui, ne pouvant être formulées, sont d’autant plus impérieuses qu’elles s’adressent à l’instinct et non au raisonnement. C’est surtout dans les accessoires de l’architecture commandés par un besoin et nécessaires en même temps à la décoration, que le goût doit intervenir et qu’il intervenait alors. Ainsi, en cherchant à donner à leurs balustrades prises dans des dalles découpées l’aspect d’un objet taillé dans une seule pièce, il fallait que ces parties importantes de la décoration ne vinssent pas, par leur forme, contrarier les lignes principales de l’architecture. Si les ajours obtenus au moyen de trèfles ou de quatre-feuilles juxtaposés convenaient à des balustrades continues non interrompues par des divisions verticales rapprochées, ces ajours produisaient un mauvais effet lorsqu’ils se développaient par petites travées coupées par des pinacles ou des points d’appui verticaux ; alors il fallait en revenir aux divisions multipliées et dans lesquelles la ligne verticale était rappelée, surtout si les balustrades servaient de couronnement supérieur à l’architecture. D’ailleurs les divisions des ajours de balustrades par trèfles ou quatre-feuilles étaient impérieuses, ne pouvaient se rétrécir ou s’élargir à volonté ; si une travée permettait de tracer cinq quatre-feuilles par exemple, une travée plus étroite ou plus large de quelques centimètres dérangeait cette combinaison, ou obligeait le traceur à laisser seulement aux extrémités de sa travée de balustrade une portion de trèfle ou de quatre-feuilles ; ce qui n’était pas d’un heureux effet. Les divisions de balustrades par arcatures verticales permettaient au contraire d’avoir un nombre d’ajours complets, et il était facile alors de dissimuler les différences de largeur de travées. Nous ferons comprendre facilement par une figure ce que nous disons ici.
Soit A B (9) une travée de balustrade comprenant trois quatre-feuilles ; si la travée suivante A C est un peu moins longue, il faudra que l’un des trois ajours soit en partie engagé. Mais si la travée A B (9 bis) est divisée en cinq arcatures, la travée A C pourra n’en contenir que quatre, et l’œil, retrouvant des formes complètes dans l’une comme dans l’autre, ne sera pas choqué. Les divisions verticales permettent même des différences notables dans l’écartement des axes, sans que ces différences soient appréciables en exécution ; leur dessin est plus facile à comprendre dans des espaces resserrés qui ne permettraient pas à des combinaisons de cercle de se développer en nombre suffisant, car il en est de l’ornementation architectonique comme des mélodies, qui, pour être comprises et produire tout leur effet, doivent être répétées. La balustrade supérieure de la nef et du chœur de Notre-Dame de Paris, exécutés vers 1230, est divisée par travées inégales de largeur, et c’est conformément à ce principe qu’elle a été tracée (10).
De distance en distance, au droit des arcs-boutants et des gargouilles, un pilastre surmonté d’un gros fleuron sépare ces travées, sert en même temps de renfort à la balustrade, et maintient le déversement qui, sans cet appui, ne manquerait pas d’avoir lieu sur une aussi grande longueur[2]. Mais que l’on veuille bien le remarquer, si cette balustrade a quelque rapport avec celles qui, peu d’années auparavant, étaient construites par assises, on voit cependant que c’est un évidement, un ajour percé dans une dalle et non un objet construit au moyen de morceaux de pierre superposés ; cela est si vrai, que l’on a cherché à éviter dans les ajours les évidements à angle droit qui peuvent provoquer les ruptures. Le pied des montants retombe sur le profil du bas, non point brusquement, mais s’y réunit par un bizeau formant un empattement destiné à donner de la force à ce pied et à faciliter la taille (11).
On voit ici en A la pénétration des montants sur le profil formant traverse inférieure, et en B la naissance des trilobes sur ces montants. Si les formes sont nettement accusées, si les lignes courbes sont franchement séparées des lignes verticales, cependant, soit par instinct, soit par raison, on a cherché à éviter ici toute forme pouvant faire supposer la présence d’un lit, d’une soudure. Mais, nous le répétons, les artistes de ce temps savaient, sans renoncer aux principes basés sur la raison, faire à l’art une large part, se soumettre aux lois délicates du goût. Si nous croyons devoir nous étendre ainsi sur un détail de l’architecture ogivale qui semble très-secondaire, c’est que, par le fait, ce détail acquiert en exécution une grande importance, en tant que couronnement. L’architecture du XIIIe siècle veut que la balustrade fasse partie de la corniche ; on ne saurait la plupart du temps l’en séparer ; sa hauteur, les rapports entre ses pleins et ses vides, ses divisions, sa décoration, doivent être combinés avec la largeur des travées, avec la hauteur des assises et la richesse ou la sobriété des ornements des corniches. Telle balustrade qui convient à tel édifice et qui fait bon effet là où elle fut placée, semblerait ridicule ailleurs. Ce n’est donc pas une balustrade qu’il faut voir dans un monument, c’est la balustrade de ce monument ; aussi ne prétendons-nous pas donner un exemple de chacune des variétés de balustrades exécutées de 1200 à 1300, encore moins faire supposer que telle balustrade de telle époque, appliquée à tel édifice d’une province, peut être appliquée à tous les édifices de cette même époque et de cette province.
Nous voyons ici (fig. 10) une balustrade exécutée de 1230 à 1240. Cette balustrade est posée sur une corniche d’un grand édifice, où tout est conçu largement et sur une grande échelle. Aussi ses espacements de pieds-droits sont larges, ses trilobes ouverts, pas de détails ; de simples bizeaux, des formes accentuées pour obtenir des ombres et des lumières vives et franches, pour produire un effet net et facile à saisir à une grande distance. Or, voici qu’à la même époque, à cinq ans de distance peut-être, on élève la Sainte-Chapelle du Palais, édifice petit, dont les détails par conséquent sont fins, dont les travées, au lieu d’être larges comme à la cathédrale de Paris, sont étroites et coupées par des gâbles pleins surmontant les archivoltes des fenêtres. L’architecte fera-t-il la faute de placer sur la corniche supérieure une balustrade lâche, qui par les grands espacements de ses pieds-droits rétrécirait encore à l’œil la largeur des travées, dont on saisirait difficilement le dessin, visible seulement entre des pinacles et pignons rapprochés ? Non pas ; il cherchera, au contraire, à serrer l’arcature à jour de sa balustrade, à la rendre svelte et ferme cependant pour soutenir son couronnement ; il obtiendra des ombres fines et multipliées par la combinaison de ses trilobes, par des ajours délicats percés entre eux ; il fera cette balustrade haute pour relier les gâbles aux pinacles (12),
et pour empêcher que le grand comble ne paraisse écraser la légèreté de la maçonnerie, pour établir une transition entre ce comble, ses accessoires importants et la richesse des corniches et fenêtres ; mais il aura le soin de laisser à cette balustrade son aspect de dalle découpée, afin qu’elle ne puisse rivaliser avec les fortes saillies, les ombres larges de ces gâbles et pinacles. Dans le même édifice, l’architecte doit couronner un porche couvert en terrasse par une balustrade. Prendra-t-il pour modèle la balustrade du grand comble ? Point ; conservant encore le souvenir de ces belles claires-voies du commencement du XIIIe siècle, composées de colonnettes portant une arcature ferme et simple comme celle que nous avons donnée (fig. 4) ; comprenant que sur un édifice couvert d’une terrasse il faut un couronnement qui ait un aspect solide, qui prenne de la valeur autant par la combinaison des lignes et des saillies que par sa richesse, et qu’une dalle plate percée d’ajours avec de simples bizeaux sur les arêtes ne peut satisfaire à ce besoin de l’œil, il élèvera une balustrade ornée de chapiteaux supportant une arcature découpée en trilobes, refouillée, dont les ombres vives viendront ajouter à l’effet de la corniche en la complétant, à celui des pinacles en les reliant (13).
Mais nous sommes au milieu du XIIIe siècle ; et si la balustrade du porche de la Sainte-Chapelle est un dernier souvenir des primitives claires-voies construites au moyen de points d’appui isolés supportant une arcature, elle restera, comme construction, une balustrade de son époque, c’est-à-dire que les colonnettes reliées à leur base par une traverse, et les arcatures trilobées, seront prises dans un même morceau de pierre évidé. La tablette d’appui A sera seule rapportée. C’est ainsi qu’à chaque pas nous sommes arrêtés par une transition, un progrès qu’il faut constater, et que nous devons presque toujours rendre justice au goût sûr de ces praticiens du XIIIe siècle qui savaient si bien tempérer les lois sèches et froides du raisonnement par l’instinct de l’artiste, par une imagination qui ne leur faillait jamais. Longtemps les balustrades furent évidemment l’un des détails de l’architecture ogivale sur lesquels on apporta une attention particulière ; mais il faut convenir qu’à la fin du XIIIe siècle déjà, si elles présentent des combinaisons ingénieuses, belles souvent, on ne les trouve plus liées aussi intimement à l’architecture ; elles sont parfois comme une œuvre à part ne participant plus à l’effet de l’ensemble, et le choix de leurs dessins, de leurs compartiments ne paraît pas toujours avoir été fait pour la place qu’elles occupent. La balustrade supérieure du chœur de la cathédrale de Beauvais en est un exemple (14) ;
l’alternance des quatre-feuilles posés en carré et en diagonale est heureuse ; mais cette balustrade est beaucoup trop maigre pour sa place, les ajours en sont trop grands, et, de loin, elle ne prête pas assez de fermeté au couronnement. Sous cette balustrade, la corniche, bien que délicate, paraît lourde et pauvre en même temps. Nous retrouvons cette combinaison de balustrades, amaigrie encore, au-dessus des chapelles de l’église de Saint-Ouen de Rouen (15).
Les défauts sont encore plus choquants ici, malgré que cette balustrade, en elle-même, et comme taille de pierre, soit un chef-d’œuvre de perfection ; mais, étant placée sur des côtés de polygones peu étendus, elle ne donne que quatre ou cinq compartiments ; leur dessin ne se comprend pas du premier coup, parce que l’œil ne peut saisir cette combinaison alternée, qui serait heureuse si elle se développait sur une grande longueur. L’excessive maigreur de cette balustrade lui donne l’apparence d’une claire-voie de métal, non d’une découpure faite dans de la pierre. Du reste, à partir de la fin du XIIIe siècle, on ne rencontre plus guère de balustrades composées d’une suite de petits montants avec arcature ; on semble préférer alors les balustrades formées de trèfles, de quatre-feuilles, de triangles, ou de carrés posés sur la pointe avec redents, comme celle qui couronne le chœur et la nef de la cathédrale d’Amiens. Nous avons fait voir comme à la Sainte-Chapelle du Palais on avait heureusement rompu les lignes inclinées des gâbles couronnant les fenêtres par une balustrade à points d’appui verticaux très-multipliés (voy. fig. 12), comme on avait tenu cette balustrade haute pour qu’elle ne fût pas écrasée par l’élévation des pinacles et gâbles. Cette balustrade, indépendante de ces pinacles et gâbles, passe derrière eux, ne fait que s’y appuyer ; elle leur laisse toute leur valeur, et parait ce qu’elle doit être : une construction légère, ayant une fonction à part, et n’ajoutant rien à la solidité de la maçonnerie, pouvant être supprimée en laissant à l’édifice les formes qui tiennent à sa composition architectonique. On ne s’en tint pas longtemps à ces données si sages. De 1290 à 1310, on construisait à Troyes l’église de Saint-Urbain. Les fenêtres supérieures du chœur de ce remarquable édifice sont surmontées de gâbles à jour qui viennent, non pas comme à la Sainte-Chapelle de Paris, faire saillie sur la corniche de couronnement et son chéneau, mais qui les pénètrent. Et telle est la combinaison recherchée de cette construction, que les deux pentes de ces gâbles et les cercles appareillés dans les écoinçons portent cette corniche formant chéneau comme le feraient des liens en charpente. Il y avait à craindre que ces gâbles à jour qui n’étaient pas reliés au mur, et cette corniche-chéneau qui reposait seulement sur la tête de ce mur, sans être retenue dans sa partie engagée par une forte charge supérieure, ne vinssent à se déverser en dehors. Le constructeur imagina de se servir de la balustrade pour maintenir ce dévers (16) ;
et voici comment il s’y prit. Il faut dire d’abord qu’entre chaque travée s’élève un contre-fort avec pinacle bien relié à la masse de la construction ; prenant ce pinacle ou contre-fort comme point fixe (il l’est en effet), l’architecte fit ses demi-travées de balustrades A d’un seul morceau chacune, et, ayant eu le soin de poser ses pinacles sur un plan plus avancé que celui dans lequel se trouvent les gâbles, il maintint le sommet de ceux-ci en les étrésillonnant avec les balustrades, ainsi que l’indique le plan (16 bis).
Soit B le pinacle rendu fixe par sa base portant chéneau fortement engagée dans la construction, et CC les têtes des gâbles ; les demi-travées de balustrades BC étant d’un seul morceau chacune, et formant en plan un angle rentrant en C, viennent étrésillonner et butter les têtes des gâbles CC, de manière à rendre impossible leur déversement en dehors. Mais pour rendre sa balustrade à jour très-rigide, tout en la découpant délicatement, l’architecte de Saint-Urbain la composa d’une suite de triangles chevauchés réunis par leurs côtés, et formant comme autant de petits liens inclinés se contre-buttant mutuellement de manière à éviter les chances de rupture. C’était là, il faut le dire, plutôt une combinaison de charpente qu’une construction de maçonnerie ; mais il faut dire aussi que la pierre à laquelle on imposait cette fonction anormale est de la pierre de Tonnerre, d’une qualité, d’une fermeté et d’une finesse extraordinaires, qui lui donnent, une fois taillée, l’aspect du métal. Certes, cela était ingénieux et bien raisonné comme appareil ; il était impossible de dominer la matière d’une façon plus complète que ne le fit avec succès le savant architecte de Saint-Urbain (voy. Construction) ; mais pour ne parler que de la balustrade dont il est ici question, cette suite de petits triangles semblables aux grands triangles formés par les gâbles est fâcheuse au point de vue de l’art. L’œil est tourmenté par ces figures géométriques semblables mais inégales ; l’harmonie qui doit résulter, non de la similitude des diverses parties d’un édifice, mais de leur contraste, est détruite. Ici, comme dans toutes les formes de l’architecture adoptées à partir de cette époque, le raisonnement, la combinaison géométrique prennent une place trop importante ; le sentiment, l’instinct de l’artiste disparaissent étouffés par la logique. L’amour des détails, les raffinements dans leur application vinrent encore ôter aux balustrades leur sévérité de formes. Les architectes du XIIIe siècle, mus par ce sentiment d’art qu’on retrouve à toutes les belles époques, avaient compris que plus les membres de l’architecture sont d’une petite dimension, et plus leurs formes veulent être largement composées, afin de ne pas détruire l’aspect de grandeur que doivent avoir les édifices ; car en multipliant les détails sans mesure, on rapetisse au lieu de grandir l’architecture. Si parfois, au XIIIe siècle, dans quelques monuments exécutés avec un grand luxe, on s’était permis de faire des balustrades très-riches par leur combinaison et leur sculpture, sentiment de la grandeur apparaissait toujours, et les détails ne venaient pas détruire les masses ; témoin la balustrade qui couronne le passage réservé au-dessus de la porte sud de Notre-Dame de Paris (17), élevée en 1257.
Il est impossible de grouper plus d’ornements et de moulures sur une balustrade, et cependant on remarque qu’ici Jean de Chelles, l’auteur de ce portail, avait compris que l’excès de richesse prodigué sur un petit espace pouvait détruire l’unité de sa composition, car il avait eu le soin de relier cette balustrade aux divisions générales de l’architecture par des colonnettes engagées qui viennent la pénétrer et la forcer, pour ainsi dire, à participer à l’ensemble de la décoration[3]. Aussi raffinés, mais moins adroits, les architectes du XIVe siècle arrivèrent promptement à la maigreur ou à la lourdeur (car ces deux défauts vont souvent de compagnie dans les compositions d’art), en surchargeant les balustrades de profils et de combinaisons plus surprenantes que belles. Ils cherchèrent souvent des dispositions neuves et ne se contentèrent pas toujours de la claire-voie percée dans une dalle de champ, et couverte par un appui horizontal. Parmi ces nouvelles formes, nous devons citer les crénelages. Les créneaux avec leurs merlons se découpaient vivement au sommet des édifices, et donnaient déjà, par leur simple silhouette, une décoration. On se servit parfois, pendant le XIVe siècle, de cette forme générale, pour l’appliquer aux balustrades. C’est ainsi que fut couronnée la corniche supérieure du chœur de la cathédrale de Troyes[4]. Cet exemple de balustrade crénelée ne manque pas d’originalité, mais il a le défaut de n’être nullement en harmonie avec l’édifice ; nous ne le donnons d’ailleurs que comme une exception (18).
Les merlons de cette balustrade crénelée sont alternativement pleins et à jour ; les appuis des créneaux sont tous à jour. Derrière chaque merlon plein est un renfort A qui donne du poids à l’ensemble de la construction et retient son dévers. On remarquera que cette balustrade est composée d’assises de pierre d’un assez petit échantillon, et cela vient à l’appui de ce que nous avons dit au commencement de cet article : que les matériaux et leurs dimensions exerçaient une influence sur les formes données aux balustrades. Et, en effet, à Troyes on ne se procurait que difficilement alors des pierres basses, mais longues et larges, propres à la taille des balustrades à jour posées en délit. Il fallait les faire venir de Tonnerre ; elles devaient être chères, et ces réparations faites au XIVe siècle à la cathédrale de Troyes sont exécutées avec une extrême parcimonie. À l’église Saint-Urbain de la même ville, presque contemporaine de ces restaurations de la cathédrale, mais où la question d’économie avait été moins impérieuse, nous avons vu, au contraire, comme l’architecte avait profité de la qualité et de la dimension des pierres de Tonnerre, pour faire des balustrades minces et composées de grands morceaux.

Il n’est pas rare de trouver dans les édifices du commencement du XIVe siècle des balustrades pleines, décorées d’un simulacre d’ajour. C’est surtout dans les pays où la pierre, trop tenace ou trop grossière, ne se prêtait pas aux dégagements délicats des redents, et ne conservait pas ses arêtes, que ces sortes de balustrades ont été adoptées. Dans la haute Bourgogne, par exemple, où le calcaire est d’une qualité ferme et difficile à évider, on ne fit des balustrades à jour que fort tard, et lorsque le style d’architecture adopté en France envahissait les provinces voisines, c’est-à-dire vers le commencement du XIVe siècle ; et même alors les tailleurs de pierre se contentèrent-ils souvent de balustrades pleines, de dalles posées de champ, décorées de compartiments se détachant

sur un fond. C’est ainsi qu’est taillée la balustrade qui surmonte les deux chapelles du transept de l’église Saint-Bénigne de Dijon (18 bis). Le cloître de l’église cathédrale de Béziers, dont la construction date des premières années du XIVe siècle, est couronné d’une balustrade composée de la même manière comme compartiments et comme appareil, ce qui est motivé par la nature grossière de la pierre du pays, qui est un calcaire alpin poreux, tenant mal les arêtes. Seulement ici (18 ter) l’appui forme recouvrement, il est rapporté sur le corps de la balustrade.
L’assise d’appui, taillée dans une pierre d’un grain plus serré, protège les dalles de champ, et (fait qui doit être noté) cet appui porte une dentelure, sorte d’amortissement fleuronné couronnant la balustrade. Celle-ci, étant pleine, terminait lourdement les arcades du cloître ; sa ligne horizontale se détachant sur le ciel (car ce cloître est couvert par une terrasse), reliait mal les pinacles qui terminent les contre-forts ; et c’est évidemment pour rompre la sécheresse de cette ligne horizontale, à laquelle la balustrade pleine n’apportait aucun allégement, que fut ménagée cette dentelure supérieure. On trouve plusieurs exemples de ces balustrades fleuronnées, même lorsque celles-ci sont à jour, dans quelques églises de Bretagne, surtout pendant les XVe et XVIe siècles (voy. fig. 27). Ce qui caractérise les balustrades exécutées pendant le XIVe siècle, c’est l’adoption du système de panneaux de pierre percés chacun de leur ajour, séparés par un montant le long du joint, et recouverts d’un appui les reliant tous ensemble. Si l’appareil y gagnait, la succession de divisions verticales séparant chacun des panneaux juxtaposés ôtait aux balustrades l’aspect qu’elles avaient au XIIIe siècle, d’un couronnement continu, d’une sorte de frise à jour, laissant aux lignes horizontales leur simplicité calme ; nécessaire dans des monuments de cette étendue pour reposer les yeux, que les divisions régulières verticales, trop répétées, fatiguent bientôt. Les architectes étaient conduits à sacrifier l’art au raisonnement ; ils perdaient cette liberté qui avait permis à leurs prédécesseurs de mêler les inspirations du goût aux nécessités de la construction ou de l’appareil. L’exercice de la liberté dans les arts n’appartient qu’au génie, et le génie avait fait place au calcul, aux méthodes, dès le commencement du XIVe siècle, dans tout ce qui tenait à l’architecture.
Nous donnons ici (19) un exemple d’une balustrade exécutée en panneaux de pierre, tiré du bras de croix méridional de l’ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. La construction de cette balustrade remonte à 1325 environ. Il faut dire cependant que les formes des balustrades adoptées par les architectes du XIIIe siècle furent longtemps employées ; on les amaigrissait, ainsi que nous l’avons vu dans l’exemple présenté dans la fig. 18, on les surchargeait de moulures et de redents évidés ; mais le principe était souvent conservé ; toutefois, on préférait les formes anguleuses aux formes engendrées par des combinaisons de demi-cercles ; les courbes brisées étaient en honneur ; et des voûtes, des fenêtres, elles pénétraient jusque dans les plus menus détails de l’architecture. Le simple bizeau qui, au XIIIe siècle, était seul destiné à produire des jeux d’ombre et de lumière dans les balustrades, parut trop simple, lorsque tous les membres de l’architecture se subdivisèrent à l’infini ; on le doubla par un temps d’arrêt, et les balustrades eurent deux plans de moulures ; l’un donnait la forme générale, le thème, le second était destiné à former les redents, la broderie. Un exemple est nécessaire pour faire comprendre l’emploi de ce nouveau mode.

Voici (20) la balustrade qui couronne la corniche du chœur de l’église que nous venons de citer, la cathédrale de Carcassonne[5]. La forme génératrice de cette balustrade, le thème, pour nous servir d’un mot qui rend parfaitement notre pensée, est une suite de triangles équilatéraux curvilignes.

Si nous examinons la coupe sur A B de cette balustrade, nous voyons que le bizeau C est divisé par un arrêt résultant d’une petite coupe à angle droit D. Cette coupe produit un listel, parallèle à la face de la balustrade. C’est ce listel qui dessine les redents E, et le second membre du bizeau qui leur donne leur modelé. Mais les parties pleines de l’architecture, les points d’appui, se perdaient de plus en plus sous les subdivisions des moulures, des colonnettes ; les meneaux des fenêtres s’amaigrissaient chaque jour sous la main de constructeurs ; les balustrades chargées de ce double bizeau taillé suivant un angle de 45 degrés, et de ce listel du second plan, recevaient trop de lumière ; elles paraissaient lourdes comparativement aux autres membres de l’architecture, dont les plans renfoncés découpaient seulement quelques lignes fines de lumière, sur des ombres larges. Dès lors on renonça aux bizeaux coupés suivant un angle de 45 degrés dans le profil des balustrades, et l’on voulut avoir des plans plus vivement accusés.
Soit (21) fig. A : si le rayon lumineux B C tombe sur le bizeau E F, lui étant parallèle, il le frisera et ne produira qu’une demi-teinte. Mais si, fig. D, le bizeau E F donne un angle moindre de 45 degrés, le même rayon lumineux B C laissera toute la partie E F dans une ombre franche. Les balustrades étant composées presque toujours de petites courbes, la lumière frappe sur une grande partie des surfaces fuyantes ; pour obtenir des ombres larges, il était donc nécessaire de rapprocher, autant que possible, la coupe de ces surfaces fuyantes de la ligne horizontale, afin de les dérober à la lumière ; et comme on ne donne de la finesse aux parties éclairées que par l’opposition d’ombres larges, que les parties éclairées, dans les formes de l’architecture, comptent seules, et qu’elles produisent, suivant la largeur ou la maigreur de leurs surfaces, la lourdeur ou la finesse, les architectes, voulant obtenir la plus grande finesse possible dans la coupe des balustrades, arrivèrent à dérober de plus en plus les surfaces fuyantes aux rayons lumineux. À la fin du XIVe siècle déjà, ils avaient entièrement renoncé aux bizeaux qui, sur quelques points, par le glissement de la lumière, donnaient toujours des demi-teintes, et ils les remplaçaient par des profils légèrement concaves (22) qui donnent plus d’ombre et découpent plus vivement les plans.
Mais alors ils amaigrissaient tellement les dalles à jour, qu’elles n’offraient plus de solidité ; pour remédier à cet inconvénient, ils leur donnèrent plus d’épaisseur, et les balustrades qui, en moyenne, au XIIIe siècle, n’avaient guère que 0,12 centimètres d’épaisseur dans leur partie à jour, prirent jusqu’à 0,20 centimètres.

Par l’effet de la perspective, ces balustrades, vues de bas en haut ou de côté, présentaient de si larges surfaces de champ, qu’elles laissaient à peine voir les ajours. Il fallut encore dissimuler ce défaut, et, pour y arriver, on profila les balustrades en dedans comme en dehors. On avait voulu d’abord dérober à la lumière les surfaces fuyantes des épaisseurs pour obtenir des ombres accentuées ; par ce dernier moyen, on dérobait une partie de ces surfaces aux yeux (23).

On nous pardonnera la longueur d’une théorie qu’il nous a paru nécessaire d’exposer, afin de faire comprendre les motifs des diverses transformations que l’on fit subir aux balustrades jusqu’au XVe siècle. Nous l’avons dit déjà, et nous le répétons, cet accessoire de l’architecture du moyen âge est d’une grande importance ; il a préoccupé nos anciens architectes, et cela avec raison.

Une balustrade de couronnement complète heureusement ou gâte un édifice, selon qu’elle est bien ou mal composée, qu’elle est ou n’est pas, dans son ensemble et ses détails, à l’échelle des divers membres architectoniques de cet édifice, qu’elle aide ou contrarie son système général de décoration. Une balustrade bien liée à la corniche qui lui sert de base, en rapport de proportions avec le monument qu’elle couronne, qui rappelle ses formes de détail sans les reproduire à une plus petite échelle, dont les divisions font valoir les dimensions de ce monument, est une œuvre assez rare pour qu’il soit permis de croire que c’est là un des écueils de l’architecture du moyen âge, et pour qu’il soit nécessaire d’étudier avec grand soin les quelques beaux exemples qui nous sont restés.

L’adoption du système de panneaux divisés à chaque joint par des montants verticaux dans l’appareil des balustrades fit quelquefois ajouter des terminaisons en forme de fleurons ou d’aiguilles sur ces montants, car les architectes du XIIIe siècle et, à plus forte raison, du XIVe siècle n’admettaient pas dans les formes de l’architecture un montant vertical d’une certaine largeur sans le couronner par quelque chose. Pour eux, le pilastre venant se perdre dans une moulure horizontale était un membre tronqué. Mais c’est au commencement du XVIe siècle surtout que les balustrades à panneaux séparés par des montants verticaux le long du joint, furent adoptées sans exception. Les compartiments à jour dont elles se composaient ne permettaient plus, par la complication de leur forme, un autre appareil.

Pendant le XVe siècle, les balustrades à panneaux se rencontrent fréquemment, mais ne sont pas les seules. Ce sont alors les losanges, les triangles rectilignes qui dominent dans la composition des balustrades. Il faut remarquer que ces formes se prêtaient mieux à l’assemblage d’ajours en pierre, étaient plus solides que les formes curvilignes ; et au XVe siècle, l’architecte était surtout appareilleur.
Un morceau de balustrade, taillé suivant la fig. 24, présentait beaucoup de résistance et s’assemblait facilement par les extrémités A B. L’appui, souvent d’un autre morceau, recouvrait et reliait ces claires-voies. Lorsque, pendant le XVe siècle, les balustrades étaient composées de panneaux, les montants verticaux étaient parfois saillants en forme de petits contre-forts, ainsi que l’indiquent les fig. 25 et 26.

Ce fut aussi pendant le XVe siècle que l’on eut l’idée de sculpter dans les ajours des balustrades, des attributs, des pièces principales d’armoiries[6]. Nous donnons (25) des panneaux de la balustrade couronnant la nef de la cathédrale de Troyes, et dans lesquels les tailleurs de pierre du XVe siècle ont figuré alternativement les clefs de saint Pierre et des fleurs de lis. La balustrade refaite, au XVe siècle, à la base du pignon de la Sainte-Chapelle du Palais, à Paris, présente également, dans chacun de ses panneaux, une belle et grande fleur de lis inscrite dans un cercle (26). Un grand K couronné tenu par deux anges se détache au milieu de cette balustrade ; c’est le chiffre ou la première lettre du nom de Charles VII (Karolus), qui la fit refaire (voy. Chiffre). La balustrade de l’oratoire, bâti par Louis XI sur le flanc sud du même édifice, porte également un grand L couronné. Cet usage de placer des chiffres, des lettres dans les balustrades fut assez généralement adopté à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe ; le château de Blois porte, sur la façade élevée par François Ier, des balustrades dans lesquelles on voit des F couronnées et des salamandres. On alla même jusqu’à y sculpter de grandes inscriptions à jour, comme au chœur de l’église de la Ferté-Bernard près du Mans, comme au château de Josselin en Bretagne, sur les balustrades duquel on lit la devise : A PLUS (27)[7].

Dans l’architecture civile de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe, on fit souvent aussi des balustrades aveugles qui n’étaient, sous les appuis des fenêtres, que des bandeaux larges formant une riche décoration. Telles étaient les balustrades qui réunissaient les alléges des fenêtres du premier étage de l’hôtel la Trémoille à Paris (28), balustrades qui sont toutes variées soit comme dessin, soit comme division ; car il n’est pas rare de trouver une grande variété dans la composition d’une même balustrade de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe.

Lorsque le goût de l’architecture romaine antique eut effacé, vers le milieu du XVIe siècle, les derniers vestiges des formes adoptées par le moyen âge dans les détails de l’architecture, on se complut à faire des balustrades composées d’ordres réduits. Il existe une balustrade de ce genre à la base du pignon de la petite église de Belloy près Beaumont ; c’est une suite de colonnettes doriques surmontées d’une corniche à denticules avec soffites sculptés entre les chapiteaux. À Saint-Eustache de Paris, on voit des balustrades formées de petits pilastres doriques ou composites séparés par des arcades portées sur des pieds-droits avec leurs impostes[8]. Mais cette succession de lignes verticales données par les colonnettes ou pilastres rapprochés prenait trop d’importance dans l’ensemble de la décoration, et avait l’inconvénient de rappeler en petit les grandes divisions et décorations de l’architecture alors en honneur ; c’était là un défaut majeur, qui ne manqua pas de frapper les architectes de la renaissance ; on voulut rendre aux balustrades leur échelle, et pour que les colonnettes formant la partie principale de leur décoration ne parussent pas un diminutif des ordres de l’architecture, on leur donna un galbe particulier, qui les fait ressembler à un potelet de bois tourné au tour. Les profils de ces supports se divisent en bagues, gorges, panses, etc. Quelquefois même les renflements des colonnettes ainsi galbées furent décorés de sculptures ; celles-ci prirent dès lors le nom de balustres qui leur est resté. Peu à peu ces balustres s’alourdirent et arrivèrent à ce profil bizarre qui rappelle la forme d’un flacon avec son goulot, et dont la réunion, comprise entre des pilastres et de lourds appuis, couronne assez désagréablement depuis le XVIIe siècle la plupart de nos édifices. Il faut croire que ces morceaux de pierre tournés parurent être la dernière expression du goût, car, une fois adoptés, les architectes ne se mirent plus en frais d’imagination pour composer des balustrades en harmonie avec leur architecture ; que celle-ci fut simple ou riche, plate ou accusant de fortes saillies, basse ou élevée, religieuse ou civile, la balustrade fut toujours la même ou peu s’en faut, bien que les architectes du XVIIe siècle aient prétendu la diviser en balustrade toscane, ionique, corinthienne, etc. On ne se contenta pas d’en placer là où le besoin demandait une barrière à hauteur d’appui, on s’en servit comme d’un motif de décoration. Rien cependant n’autorisait, dans l’architecture romaine antique que l’on voulait imiter, un pareil abus de la balustrade, ni comme emploi ni comme forme. Il faut dire même que la corniche saillante de l’entablement romain porte mal ces rangées de morceaux de pierre tournés, posés à l’aplomb de la frise, et qui, par leur retraite, n’indiquent pas la présence du chéneau. La balustrade de l’architecture du moyen âge, posée sur l’arête supérieure du glacis du larmier portant le chéneau, est non-seulement un garde-corps pour ceux qui passent dans ces chéneaux, mais elle arrête la chute des tuiles ou des ardoises, et est une sécurité pour les couvreurs qui sont obligés de poser des échelles sur la pente des combles lorsqu’il est nécessaire de les réparer ; elle fait partie de la corniche, car le glacis du larmier demande un couronnement ; tandis que la balustrade moderne, posée sur l’entablement romain, à l’aplomb de la frise, est un grossier contre-sens, puisque, d’après la configuration de cet entablement, le chéneau se trouverait en dehors de la balustrade et non en dedans. Aussi, jamais les architectes Romains, qui possédaient cette qualité précieuse qu’on appelle le sens-commun, n’ont eu l’idée bizarre de placer des balustrades sur les corniches supérieures de leurs édifices, faites pour porter les premières tuiles des combles.

Nous ne devons pas omettre de parler des balustrades de bois fréquemment employées pendant les XVe et XVIe siècles. Quant aux balustrades en métal, il en est fait mention dans le mot Grille. C’est à l’intérieur des édifices ou à couvert qu’étaient posées les balustrades de bois. Le peu d’exemples qui nous restent de ces claires-voies à hauteur d’appui, antérieures au XVIe siècle, sont d’une grande simplicité ; ce sont presque toujours de petits potelets assemblés haut et bas dans deux traverses, ainsi que le démontre la fig. 29, copiée sur une balustrade du XVe siècle, posée encore aujourd’hui le long du triforium de l’église paroissiale de Flavigny (Côte-d’Or). Au XVIe siècle, la forme des balustres tournés convenait parfaitement aux balustrades de bois ; c’était le cas de l’employer et les architectes ne s’en firent pas faute (voy. Menuiserie).

  1. Cette balustrade est rétablie aujourd’hui sur toute la longueur de la façade, et remplace celle qui avait été refaite au XIVe siècle et qui tombait en ruine.
  2. Cette balustrade n’appartient pas à la construction première de la nef, qui remonte à 1210 au plus tard ; elle a été refaite vers 1230, lorsque après un incendie la partie supérieure de la nef fut complètement remaniée et rhabillée (voy. Cathédrale).
  3. Il n’existe plus que deux fragments de cette charmante balustrade sur les deux contreforts du portail, mais ces fragments indiquent clairement la disposition de l’ensemble. La richesse de cette balustrade est motivée par l’extrême délicatesse des parties d’architecture qu’elle accompagne et couronne.
  4. Le chœur de la cathédrale de Troyes fut construit de 1240 à 1250, mais tous les couronnements extérieurs furent refaits au XIVe siècle.
  5. Toutes les fois que nous aurons à parler des édifices du XIVe siècle, on ne s’étonnera pas si nous mettons en première ligne la cathédrale de Carcassonne, qui est un chef-d’œuvre de cette époque, et qui comme style appartient à l’architecture du Nord.
  6. Voir l’hôtel de Jacques Cœur à Bourges, sur les balustrades duquel on a sculpté des cœurs, des coquilles, et cette devise « A VAILLANS RIENS IMPOSSIBLE. »
  7. Cette balustrade est taillée dans des dalles de granit ; elle est surmontée d’une dentelure présentant des couronnes et des fleurons alternés.
  8. Voy. L’Église Saint-Eustache à Paris, par Victor Calliat. Paris, 1850.