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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Clef

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CLEF, s. f. Ce mot, appliqué aux ouvrages de maçonnerie, signifie le claveau qui ferme un arc, celui qui est posé sur la ligne verticale élevée du centre de cet arc. Il n’y a de clefs que pour les arcs plein-cintres ; les arcs en tiers-point, étant formés de deux segments de cercle, n’ont que des sommiers et des claveaux ; la clef, dans ce cas, est remplacée par un joint.

clef d’archivolte. Les Romains, et avant eux les Étrusques, décoraient souvent la clef des archivoltes de la manière la plus riche, principalement lorsque ces archivoltes surmontaient l’entrée d’un édifice ou la maîtresse baie d’un arc de triomphe. La clef, dans ce cas, était comme un signe indiquant un passage. Chacun connaît les clefs admirablement sculptées des arcs de Trajan, de Titus, de Septime-Sévère, de Constantin à Rome. Nous voyons des clefs sculptées au-dessus des entrées principales des arènes de Nîmes, ces entrées n’ayant aucun autre signe qui les distingue des autres arcades pourtournant l’édifice. Le moyen âge ne parait pas, même dans les premiers temps, avoir continué cette tradition ; ses archivoltes présentent une suite de claveaux uniformes, et le plus souvent même les constructeurs négligent de réserver la place régulière donnée à la clef ; un joint la remplace. Les archivoltes du cloître de la cathédrale du Puy-en-Vélay nous montrent, à l’extérieur, des clefs décorées de sculptures. Une partie de ce cloître date du Xe siècle, mais il fut presqu’entièrement rebâti au XIIe, et les derniers architectes conservèrent aux clefs des archivoltes ce genre de décoration probablement pour ne pas déranger l’harmonie de l’ensemble. Nous donnons ici (1) une de ces clefs représentant un animal à tête de femme. Bien que dans les arcs en tiers-point il n’y ait point de clef à proprement parler, cependant les architectes de l’époque gothique ont quelquefois terminé les archivoltes des portails d’églises par une clef, ou plutôt par deux contre-clefs prises dans une seule pierre, et sur laquelle ils ont sculpté une figure devant occuper une place d’honneur, comme le buste du Christ, par exemple, ou quelquefois, vers le XVe siècle, celui du Père Éternel.

Clef d’arc ogive. Les architectes du XIIe siècle, ayant inventé la voûte en arcs d’ogives, cherchèrent bientôt à placer un des plus beaux motifs de décoration intérieure à la rencontre des deux arcs croisés qui portent la voûte d’arête gothique. La rencontre de ces deux arcs saillants exige, au point de vue de la construction, une clef, c’est-à-dire un seul morceau de pierre venant fermer, par des coupes normales aux courbes, la rencontre des deux arcs. S’il y eut quelques tâtonnements quant à la manière de joindre ces arcs (voy. Construction), ils ne furent pas de longue durée ; car sitôt que nous voyons les arcs ogives adoptés, apparaissent les clefs sculptées. Toutefois cette décoration ne se développe pas partout avec la même franchise ; abondante et riche dans quelques provinces dès l’origine, elle est pauvre et timide dans d’autres. Quand il s’agit de la sculpture, c’est presque toujours à la Bourgogne qu’il faut d’abord avoir recours, ou plutôt à l’ordre de Cluny et à l’Île de France. En effet, la clef d’arcs ogives la plus ancienne que nous connaissions se voit dans la tribune du porche de Vézelay. Toutes les voûtes de ce porche, sauf deux, sont encore dépourvues d’arêtiers ; l’une de ces deux voûtes, dont la construction remonte à 1130 environ, présente, à l’intersection des deux arcs, une belle clef richement sculptée, que nous donnons (2).


Percée au centre, pour permettre le passage d’un fil propre à suspendre un lustre, cette clef présente, sur deux côtés, entre les arêtiers, des figures de chérubins nimbés dont les yeux sont remplis d’un mastic noir figurant les prunelles. Autour du trou central se renversent des feuilles largement refouillées[1].

L’idée de suspendre des figures d’anges aux voûtes devait naturellement se présenter la première, et beaucoup de voûtes d’églises de la seconde moitié du XIIe siècle étaient décorées de cette façon. Mais il en existe peu aujourd’hui qui datent de cette époque reculée, les XIIIe et XIVe siècles ayant reconstruit une grande quantité de voûtes par suite d’incendies ou de vices dans ces constructions primitives, exécutées souvent par des architectes qui tâtonnaient. On peut admettre, si l’on examine les quelques exemples existant encore de nos jours, que les artistes du XIIe siècle avaient prodigué la sculpture dans les voûtes, genre de décoration qui fut abandonné par les maîtres des XIIIe et XIVe siècles.

Non-seulement, vers 1160, les architectes sculptent les clefs, mais les arcs ogives eux-mêmes, et souvent ils font tailler des statues dans leurs sommiers, au-dessus des chapiteaux (voy. Sommier). Après l’exemple de clef représenté dans la fig. 2, l’un des plus anciens et des plus remarquables est certainement la collection de clefs d’arcs ogives que l’on voit encore dans l’église Notre-Dame d’Étampes. Trois de ces voûtes sont décorées à la rencontre des arcs diagonaux, l’une de figures de rois représentés à mi-corps, issant du sommet des angles formés par l’intersection de ces arcs, et les deux autres de huit figures d’anges assis, quatre sur les arêtiers les ailes abaissées, et quatre dans les angles les ailes éployées.

Nous donnons (3) l’une de ces clefs magnifiques, bien qu’à proprement parler les anges ne fassent pas partie de la clef, ceux sculptés sur les arêtiers tenant aux contre-clefs, et ceux des remplissages étant rapportés dans les rangs de moellons supérieurs. Les ailes de ceux-ci sont accrochées à la voûte par des crampons. Autrefois ces figures étaient peintes, aujourd’hui un badigeon jaunâtre les couvre ainsi que le reste de la voûte.

Nous voyons de belles clefs sculptées, datant de la fin du XIIe siècle, dans les voûtes de la cathédrale de Laon, et ici les figures ne sont pas rapportées, comme à Étampes, autour de la clef, mais tiennent à cette pièce principale de la voûte. À la rencontre des huit arcs ogives portant la voûte absidale de la chapelle du transsept nord de cette église est une clef représentant un ange tenant un phylactère au milieu d’une couronne de feuillages. La tête et les ailes de l’ange se présentent, vers l’entrée de la chapelle, dans l’angle le plus ouvert réservé entre ces arcs, et remplissent ainsi d’une façon gracieuse le vide produit par la rencontre des deux premières nervures. Voici (4) cette clef finement sculptée, et qui, suivant l’usage alors adopté, était peinte de diverses couleurs.


À cette époque déjà, cependant, on ne sculptait pas seulement sur les clefs de voûtes des figures sacrées, on tentait parfois de les décorer par des feuillages agencés avec élégance. La voûte de la chapelle supérieure du transsept sud de la cathédrale de Laon nous présente une de ces clefs entourée de feuilles finement sculptées et peintes ; du côté de l’angle le plus ouvert, comme dans l’exemple précédent, les feuillages s’échappent de la rosace centrale, s’entrelacent et viennent garnir la rencontre des deux premiers arcs. Nous donnons (5) cette jolie clef.

Mais ces deux derniers exemples appartiennent à des voûtes de petite dimension. En construisant les voûtes en arcs ogives, les architectes de la seconde moitié du XIIe siècle avaient reconnu qu’il était d’une grande importance, pour la solidité de ces voûtes, que les clefs eussent une certaine force de pression, et, par conséquent, un poids considérable relativement aux claveaux. Aussi, partant de ce principe, ils donnèrent un volume extraordinaire aux clefs, les renforcèrent de puissantes saillies, et, pour dissimuler la lourdeur apparente de ces gros morceaux de pierre suspendus au point culminant des voûtes, ils les couvrirent de sculptures savamment combinées en raison de leur place élevée et de l’effet qu’elles devaient produire.

La grande voûte absidale de l’église abbatiale de Saint-Germer en Beauvoisis nous montre une de ces clefs volumineuses. Les arêtiers de cette voûte absidale viennent se rencontrer au sommet d’un arc doubleau, disposition assez vicieuse qui ne se rencontre guère que dans les monuments gothiques primitifs ; la clef n’est qu’une demi-clef buttant contre la pointe de l’arc doubleau ; elle est d’une dimension considérable ; les arêtiers sont couverts de sculptures dans tout leur développement, et les angles rentrants laissés entre eux sont renforcés et ornés d’une croix, de figures de dragons et de basilics (6).

Dès la fin du XIIe siècle, les clefs des voûtes absidales ou des chapelles ne représentent pas seulement, sculptés sur leur face intérieure, des personnages sacrés, tels que le Christ bénissant, le Christ entouré d’anges, la Vierge, l’Agneau, les signes des évangélistes, comme dans la chapelle terminale de la grand’salle de l’Hôtel-Dieu de Chartres ; des saints, des martyrs ; mais aussi parfois des évêques ou abbés fondateurs, des sujets, comme, par exemple, les signes du zodiaque, des animaux tirés des bestiaires, etc. Dans la voûte de la chapelle absidale de l’église abbatiale de Vézelay, dont la construction remonte aux dernières années du XIIe siècle, on voit une fort belle clef sculptée représentant le signe du Verseau sous la forme d’un jeune homme à peine vêtu, tenant un long vase d’où s’échappe de l’eau, et entouré d’enroulements.

Nous donnons une copie de cette clef (7).
On observera qu’ici la clef n’est qu’un ornement détaché des arcs de la voûte ; cette clef n’a pas de fond et les arcs passent et se pénètrent derrière elle. C’est là un des caractères particuliers aux clefs riches de la fin du XIIe siècle. Lorsqu’on examine les clefs de voûtes de cette époque, il est facile de reconnaître que les architectes confiaient ces parties de la décoration intérieure aux sculpteurs les plus habiles. Quelle que soit la hauteur à laquelle sont placées les clefs de voûtes des XIIe et XIIIe siècles, elles sont toujours composées avec une élégance et exécutées avec un soin qui indiquent l’importance que l’on attachait à ces pièces de sculpture. Mais il faut dire que les artistes du XIIe siècle ne se rendaient pas toujours un compte bien exact de l’effet qu’elles devaient produire à de grandes hauteurs, et certaines clefs qui, vues de près, sont de véritables chefs-d’œuvre, ne produisent que peu ou point d’effet, à cause de la distance qui les sépare de l’œil du spectateur ; les sculpteurs du XIIIe siècle, sous ce rapport, comprirent beaucoup mieux que ceux du XIIe le parti que l’on pouvait tirer de ces rosaces posées à la rencontre des arcs.

Mais, avant de présenter des exemples de ces clefs du XIIIe siècle, il est nécessaire que nous parlions des clefs des voûtes secondaires. Généralement celles-ci, pendant la seconde moitié du XIIe ; siècle, sont petites et très-simples ; parfois même elles disparaissent, et les arcs ogives se croisent sans être renforcés de cet appendice décoratif.

À Paris, à Saint-Denis en France, à Noyon, à Senlis, à Saint-Étienne de Beauvais, nous voyons les arcs ogives des voûtes percés à la clef d’un trou entouré d’une maigre rosace. Il est arrivé, comme dans cette dernière église (8), que les appareilleurs n’ont su comment faire pénétrer les deux arcs croisés. Ici la rosace décorative ne couvrant pas l’intersection des arcs, leurs doubles boudins se rétrécissent en se réunissant à la clef.


À la cathédrale de Senlis, les arcs ogives des voûtes des bas-côtés n’étant composés que d’un seul boudin, la petitesse de la rosace formant décoration à la clef couvre à peine l’intersection de ces boudins. Voici (9) une de ces clefs. Quelquefois, comme dans les voûtes des bas-côtés de l’église de la Madeleine de Châteaudun, l’ornement de la clef ne se compose que d’un entrelac couvrant la rencontre des boudins (10).

Dans la partie de la cathédrale de Paris construite par Maurice de Sully (1170 environ), les clefs des arcs ogives ne présentent que des rosaces peu saillantes ne débordant pas l’intersection des arcs ogives, et leur décoration ne consiste qu’en des plateaux dans lesquels sont sculptées des croix grecques pattées. Mais les grandes voûtes de cette église, comme la plupart de celles de toutes les églises françaises de cette époque, se composent de deux arcs ogives et d’un arc doubleau se rencontrant à la clef. Dans ce cas particulier (11), il reste en A et B deux espaces libres que le sculpteur remplit par des têtes humaines se dressant le long des profils. La clef sculptée à la réunion des nervures de la voûte absidale de la cathédrale de Paris consiste simplement en une croix grecque pattée, avec une tête dans l’espace opposé à la rencontre des nervures rayonnantes.

Nous donnons (12) un dessin de cette clef qui fait bien voir quelle était l’utilité de ces têtes de remplissage : elles donnaient de la force à la clef au point où un évidement considérable eût pu occasionner une brisure, et reliaient les deux branches les plus ouvertes des arcs ogives. L’ornementation des monuments gothiques trouve toujours son origine dans un besoin de la construction ; nous sommes trop disposés à ne voir dans la sculpture de ces édifices qu’une fantaisie d’artiste, tandis qu’elle n’est souvent que le résultat d’un raisonnement.

Au XIIIe siècle, la sculpture des clefs se compose le plus habituellement de feuillages admirablement agencés, sans confusion, et d’une dimension en rapport avec la grandeur des voûtes. La nef de Notre-Dame de Paris, dont les voûtes ont été élevées vers 1225, possède des clefs disposées comme celles du chœur, mais d’une composition beaucoup plus belle et savante. Celles du réfectoire de l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, qui datent de la même époque, sont remarquablement belles. Les arcs ogives se croisant à angle droit sans arcs doubleaux, il n’était pas nécessaire de réserver là des têtes saillantes dans les angles rentrants ; ces clefs se composent d’une simple rosace feuillue. Nous donnons l’une d’elles (13).

Il ne faudrait pas croire cependant que les sculpteurs au XIIIe siècle renoncent à la représentation des figures dans les clefs de voûtes, mais ils les réservent plus particulièrement pour les sanctuaires ; les couronnes de feuillages garnissent les clefs, comme les crochets et bouquets de feuilles les chapiteaux. Lorsqu’à cette époque les clefs représentent des sujets, ceux-ci sont traités avec une finesse d’exécution remarquable. Une des plus belles clefs à sujets que nous connaissions se trouve sculptée au-dessus du sanctuaire de l’église collégiale de Sémur en Auxois, dont les voûtes furent élevées vers 1235. Cette clef représente le couronnement de la Vierge au milieu de feuillages. Le Christ s’appuie sur le livre saint et bénit sa mère. Un ange pose la couronne divine sur la tête de Marie. Deux autres anges, sortant à mi-corps des branchages, portent chacun un cierge. Toute la sculpture qui couvre un plateau de près d’un mètre de diamètre est complètement peinte, les feuillages en vert, les fonds en brun rouge et les vêtements des deux personnages de diverses couleurs, dans lesquelles le bleu et le rouge dominent. Nous donnons (14) une copie de cette belle clef.

Il arrivait souvent qu’en construisant, les sculpteurs n’avaient pas le temps de ciseler les clefs de voûtes avant la pose, ou que, la saillie de la sculpture gênant les appareilleurs pour poser la clef sur les cintres, on laissait celle-ci unie à l’intérieur et que l’on accrochait après coup des rosaces sculptées dans du bois, sous le plateau lisse de la pierre ; c’est ainsi que sont décorées la plupart des clefs des voûtes de la Sainte-Chapelle basse à Paris, et ces rosaces sont taillées de main de maître. Nous en montrons ci-après un exemple (15) qui date de 1240, ou environ.
Le feuillage y est rendu avec une souplesse qui accuse déjà la recherche de l’imitation scrupuleuse de la nature[2].

La clef d’une voûte en arcs d’ogives doit être placée tout d’abord au sommet des cintres avant la pose des claveaux d’arêtiers, car c’est elle qui sert de guide, de repère pour bander les deux arcs croisés de manière à ce qu’ils se rencontrent exactement au même niveau à leur point de jonction. Sans cette précaution, on ne serait jamais certain, à la pose, quelque bien taillés que soient les cintres, de joindre les arcs croisés au même niveau (voy. Construction) ; on concevra dès lors que, souvent, pour ne pas retarder la construction de la voûte, on ne prenait pas le temps de permettre au sculpteur de sculpter la rosace ; de là les rosaces en bois rapportées après coup, de là aussi l’absence de sculpture sur quelques clefs de voûte, si, plus tard, on omettait d’accrocher les rosaces de bois sous les plateaux de pierre laissés unis. Si les arcs ogives sont extradossés et ne pénètrent jamais dans les remplissages qu’ils sont destinés à porter, il n’en est pas de même des clefs ; celles-ci ont le plus souvent une queue qui vient pénétrer le remplissage. Elle s’offraient ainsi un point parfaitement fixe au sommet de la voûte, et d’ailleurs, étant presque toujours percées d’un trou pour le passage d’un fil de suspension, il était nécessaire que leur épaisseur atteignît l’extrados des remplissages. La fig. 16, qui représente une clef en coupe, fera comprendre l’utilité de ce mode de construction. Mais la clef étant solidaire des remplissages de la voûte, ne pouvant se prêter, par conséquent, aux mouvements des arêtiers, il ne fallait pas donner aux branches d’arcs ogives qui s’en échappaient une grande longueur ; car si ces branches d’arêtiers eussent été très-saillantes, le moindre mouvement dans les arcs les eût fait casser, et la clef ne remplissait plus dès lors son office. Aussi les amorces des arcs ogives tenant aux clefs sont-elles coupées aussi près que possible du corps circulaire de ces clefs, comme l’indique la fig. 17.


Quant au profil donné au corps de la clef de la voûte en arcs d’ogives, il reproduit le plus souvent celui des arcs, comme dans la fig. 17, ou, s’il s’en éloigne, c’est pour adopter un profil plus mâle et moins refouillé.


Soit, dans ce cas (18), A le profil de l’arc ogive, B sera le profil du corps de la clef. Sous le corps cylindrique, un plateau orlé C reçoit la rosace sculptée qui se détache sur le fond concave de ce plateau C, dont le point le plus creux D ne s’enfonce pas au delà du niveau E du prolongement de la courbe intrados des arcs ogives. Ces détails paraîtront peut-être minutieux ; mais dans le mode de la construction gothique, rien n’est indifférent, et c’est par des recherches de ce genre, résultat du raisonnement et de l’expérience acquise par des observations suivies, que les constructeurs de la belle époque du moyen âge sont arrivés à produire des effets surprenants avec des moyens très-simples. Nous renvoyons, du reste, nos lecteurs au mot Construction, pour tout ce qui touche à la facture des voûtes dans lesquelles les clefs jouent un rôle très-important.

Le XIVe siècle ne changea rien au mode de construction adopté pour les voûtes en arcs d’ogives pendant la première moitié du XIIIe siècle, et les clefs, par conséquent, furent taillées suivant le même principe ; mais leur sculpture devint plus maigre et plus confuse, les larges feuilles visibles à une grande hauteur furent remplacées par des branchages et des feuillages délicats qui sont loin de présenter un effet aussi satisfaisant. Examinées de près, ces clefs sont cependant d’une exécution parfaite, refouillées avec un soin et une finesse surprenante.

Nous donnons (19) une clef du commencement du XIVe siècle appartenant aux voûtes de l’ancienne cathédrale de Carcassonne, qui conserve encore la disposition des clefs primitives du XIIIe siècle, c’est-à-dire les deux têtes venant remplir les deux angles les plus ouverts formés par la rencontre des arêtiers. L’une de ces têtes représente le Christ, l’autre la sainte Vierge. La rosace se compose d’une couronne de feuilles sortant d’une branche circulaire. En A, nous avons tracé le profil du plateau. Vers la fin du XIIIe siècle, les clefs d’arcs ogives furent décorées fréquemment d’écussons armoyés, d’abord entourés d’ornements, de feuillages, puis plus tard soutenus par des anges, ou dépouillés d’accessoires. L’église de Saint-Nazaire, cathédrale de Carcassonne, possède des clefs sous lesquelles sont sculptées les armes de France (anciennes) et celles du fondateur du chœur, Pierre de Roquefort ; voici l’une de ces dernières clefs (20) ;
l’écu est d’azur aux trois rocs d’or posés deux en chef et un en pointe ; il se détache au milieu d’une couronne de feuilles de chêne. Comme dans l’exemple précédent, deux têtes remplissent les deux angles les plus ouverts entre les arcs ogives. Rarement, au XIVe siècle, des personnages figurent sous les plateaux des clefs.

Nous ne devons pas omettre de dire ici que, presque toujours, les clefs des voûtes en arcs d’ogives sont peintes, même dans des monuments d’ailleurs totalement dépourvus de ce genre de décoration. La peinture appliquée sur les clefs s’étendit sur les arêtiers jusqu’à une certaine distance du centre (voy. Peinture )[3].

Il serait inutile ici de donner de nombreux exemples des clefs de voûtes du XIVe siècle ; ce sont toujours des rosaces feuillues plus ou moins bien composées et traitées, et qui ne diffèrent pas des rosaces sculptées dans les tympans des gâbles ou sur tout autre membre de l’architecture (voy. Rosace). Mais le XVe siècle apporta dans la sculpture des clefs l’exagération qu’il mit en toute chose. La rosace des clefs d’arcs ogives du XVe siècle forme comme une sorte de découpure à jour plaquée à la rencontre des deux arcs. Au lieu de présenter des couronnes de feuillages, des rosaces, elle s’épanouit en redents compris dans des lignes géométriques et d’une délicatesse de taille qui rappelle les formes propres au métal plutôt que celles qui conviennent à de la pierre. Souvent, ces rosaces sont d’une telle finesse de travail, si bien découpées à jour sur toute leur surface, qu’il a fallu les rapporter après coup, car il eût été impossible de les poser sur l’extrémité des cintres sans les briser. Alors elles sont accrochées à la clef réelle par une tigette de fer qui passe à travers le trou central avec une clavette en travers de ce trou à l’extrados.


Nous donnons (21) une de ces clefs, du milieu du XVe siècle, provenant des voûtes des bas-côtés du chœur de l’église abbatiale d’Eu, restaurées vers cette époque, et (21 bis) la coupe sur la ligne a b de cette clef, qui n’est qu’une dalle ajourée et sculptée de 0,08 c. d’épaisseur.

Vers la fin de ce siècle, on ne se contenta pas de décorer les voûtes par ces sortes de clefs. Lorsque l’étude des arts antiques et de la renaissance italienne vint se mêler aux traditions gothiques dégénérées, on ne changea pas tout d’abord les formes principales de l’architecture. Ces nouveaux éléments s’attachèrent aux détails, à l’ornementation. Il semble que les architectes français se plaisaient à jeter, au milieu de leurs combinaisons toutes gothiques encore, comme ensemble et comme système de construction, des fragments qu’ils allaient chercher dans les monuments romains ou de la renaissance italienne. En cela, notre renaissance diffère essentiellement de la renaissance d’outre-monts. Les Brunelleschi et, plus tard, les Bramante s’emparèrent des dispositions générales de l’architecture antique, bien plus encore que des détails ; ou plutôt les architectes italiens n’avaient jamais complètement perdu de vue les arts romains, et n’eurent, pour y revenir, qu’à laisser de côté des traditions corrompues des arts du Nord, qui, pendant les XIIIe et XIVe siècles, avaient pénétré à Florence, à Sienne, à Pérouse et jusque dans les États du pape.

Vers la fin du XVe siècle donc, nos architectes imaginèrent de placer, dans leurs édifices, tout gothiques comme construction, des réminiscences des arts d’Italie. Ils trouvèrent ingénieux, par exemple, de suspendre aux voûtes, des chapiteaux, des culots d’ornements quasi antiques et même parfois de petits modèles de monuments qui, eux, n’avaient plus rien de gothique. Partant de cet axiome de construction de la voûte gothique, que la clef doit être pesante afin d’empêcher le relèvement des nervures sous la pression des reins, ils posèrent des clefs dont les ornements pendants ressemblent à des stalactites. C’était le temps des plus grands écarts de l’architecture ; on ne se contenta plus d’un morceau de pierre, et on alla jusqu’à composer les clefs pendantes de pièces de rapport attachées à la clef véritable par des boulons en fer, et même quelquefois aux entraits des charpentes. Il n’est pas besoin de faire ressortir les inconvénients et les dangers de ce genre de décoration. Les clefs pendantes fatiguent les voûtes par leur poids exagéré, au lieu de les maintenir dans un juste équilibre ; elles risquent de se détacher par l’oxydation des fers et de tomber sur la tête des assistants.

Nous disions tout à l’heure que quelques-unes de ces clefs sont de petits modèles de monuments. Nous citerons entre autres celle de la chapelle de la Vierge de l’église de Saint-Gervais et Saint-Protais à Paris, qui représente, suspendu sous la voûte, toute une enceinte entourant des édifices. Celles de l’église de Saint-Florentin en Bourgogne, de l’église de Saint-Pierre de Caen, qui datent du commencement du XVIe siècle, celles des voûtes hautes du chœur de l’église d’Eu, etc. Les exemples abondent. Alors les voûtes en arcs d’ogives ne se composent pas seulement des deux arcs diagonaux ; mais d’une quantité d’arcs qui s’entrecroisent (voy. Voûte ) ; aux points d’intersection de ces arcs se trouvent souvent des clefs pendantes, plus ou moins saillantes et décorées, ce qui donne à ces voûtes l’apparence d’une grotte tapissée d’énormes stalactites. Ce sont là de ces fantaisies de pierre plus surprenantes que belles, qui fatiguent et préoccupent plutôt qu’elles ne satisfont les yeux. La raison et le goût se choquent de ces raffinements dont on ne comprend pas le motif, et qui détruisent l’unité des intérieurs. Nous donnons (22) une de ces clefs provenant des voûtes du chœur de l’église d’Eu.
Nous choisissons cet exemple comme un des plus anciens, car il date de la fin du XVe siècle. C’est aussi, à notre sens, un des plus beaux. Les clefs pendantes des voûtes du chœur de cette église, rebâties à cette époque sur un édifice de la fin du XIIe siècle, sont encore à peu près gothiques comme ornementation. Déjà, cependant, on sent l’influence du chapiteau corinthien dans la clef que nous donnons ici. Elle est d’ailleurs prise dans un seul morceau de pierre et n’est point composée de pièces accrochées. Dans la même église, nous voyons aussi les arcs-doubleaux de la voûte du chœur décorés de clefs pendantes assez adroitement agencées ; nous donnons plus loin l’une d’elles (23).

La Normandie, l’Angleterre et la Bretagne ont surtout abusé de ce genre de décoration ; mais les reproductions de ces étrangetés sont trop connues pour qu’il soit nécessaire d’en donner ici de nombreux exemples ; on a pris si longtemps les abus et les exagérations de la décadence du style gothique pour l’expression la plus complète et la plus heureuse de cet art, que les ouvrages traitant de l’architecture du moyen âge sont pleins de ces extravagances, bonnes pour amuser les personnes qui ne voient dans l’art que nous professons qu’un jeu d’esprit. Nous croirions manquer à nos lecteurs si nous remplissions nos pages de figures n’ayant tout au plus qu’un attrait de curiosité.

Par exception, les constructeurs du XIIe siècle ont parfois posé des clefs sculptées dans les remplissages des voûtes en arcs d’ogives. En Angleterre surtout, ce genre de décoration est assez fréquent au XIIIe siècle. La grande clef de la voûte de Notre-Dame d’Étampes, que nous avons donnée (fig. 3), se compose de contre-clefs et de ces clefs posées dans les remplissages ; mais, par le fait, les quatre clefs des remplissages font partie d’une composition unique. Nous ne connaissons guère en France qu’un exemple de ces clefs de remplissage isolées, qui existe sous les voûtes de l’ancienne sacristie de l’église abbatiale de Vézelay (XIIe siècle).


Ainsi que le représente la fig. 24, entre les deux arcs ogives, en A, sont posées des clefs sculptées, saillantes sous le parement des remplissages, et qui n’ont guère que 0,30 c. de côté.


La fig. 24 bis donne le détail de l’une d’elles, représentant un guerrier combattant un dragon. La salle est couverte par six voûtes ainsi décorées, et parmi ces clefs on reconnaît les quatre signes des Évangélistes dans des cercles de feuillages. Les voûtes fermées sous les clochers centrals des églises sont, à dater du XIIIe siècle, presque toujours munies de clefs d’un grand diamètre, percées d’un trou large pour le passage des cloches ; mais ces clefs sont décrites au mot Œil.

Sous les charpentes lambrissées construites pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles, au point de la rencontre de la tête des poinçons avec les courbes et l’entretoise supérieure, on attache des clefs sculptées sur bois, formant comme un épanouissement de feuillages et d’ornements qui masque les assemblages des pièces de charpente au-dessus du chapiteau de ces poinçons. Ces clefs ne sont qu’un ornement sans utilité réelle, une bague découpée à la tête du poinçon ; elles produisent un bon effet et contribuent à meubler ces lambris en berceau, d’un aspect assez pauvre. Quelquefois même des clefs de bois découpé et sculpté sont posées à la rencontre des filières ou pannes longitudinales avec les courbes divisant les lambris et servant de couvre-joints.

Nous reproduisons (25) une clef de tête de poinçon, et (26) une clef masquant la rencontre d’une filière avec une courbe.
Ces dernières clefs sont très-fréquentes dans les charpentes anglo-normandes du XVe siècle, elles sont ajourées, et sculptées avec beaucoup d’adresse, et rompent la monotonie de ces grands berceaux en bardeaux. La grand’salle du palais ducal de Dijon conserve encore, sous sa voûte en bois du XVe siècle, de jolies clefs ainsi disposées, qui sont rehaussées d’or et de peinture.

clef, terme de charpenterie. On désigne par le mot clef, dans les œuvres de charpente, une petite pièce de bois destinée à réunir et serrer deux moises. Le fer n’étant pas employé dans les charpentes anciennes, on réunissait les moises au moyen de clefs en bois passant à travers deux mortaises et serrées par une clavette ou une cheville. On avait le soin de tailler ces clefs dans du bois de fil, bien sain et sans nœuds, afin qu’elles pussent être facilement chassées à coup de masse dans les mortaises.


Nous donnons (27), en A, une de ces clefs non posée, et, en B, deux clefs posées pour serrer deux moises contre une pièce de bois horizontale. La tête C de la clef portait contre une moise, tandis que la clavette D, enfoncée à force, venait serrer le tout.

Mais, dans certaines fermes armées au moyen de moises ou aiguilles pendantes, si, par exemple, un entrait étant destiné à porter une charge considérable, on voulait le soulager de distance en distance au moyen de moises en bois suspendues aux arbalétriers, alors, au lieu de boulonner ces moises pendantes après les arbalétriers au moyen de boulons en fer, ainsi que cela se pratique aujourd’hui, on passait des clefs en bois à cheval sur ces arbalétriers. Dans ce cas, on donnait une grande force aux clefs de bois.

La fig. 28 nous donnera la disposition de cette pièce de charpente. Soit A l’entrait qu’il s’agit de soulager, B l’arbalétrier, on posait deux moises pendantes CC qui venaient s’assembler et s’embréver dans une clef D supérieure ; deux chevilles empêchaient les moises de sortir de leur embrévement et de quitter les tenons ; une cale G, taillée en coin, évitait le glissement de la clef supérieure sur l’arbalétrier incliné ; en E était une autre clef également embrévée, suspendant l’entrait. Un pareil assemblage avait une grande puissance. C’est ainsi que les entraits des fermes qui portent les poteaux d’arêtiers de la flèche de la cathédrale d’Amiens (commencement du XVIe siècle) sont suspendus aux arbalétriers. Mais on trouve des assemblages identiques dans des charpentes beaucoup plus anciennes, notamment dans celle de la cathédrale de Paris, qui date du XIIIe siècle.

clef, terme de menuiserie. C’est une petite barre de bois dur, embrévée à queue d’aronde derrière des panneaux composés de planches assemblées afin de les maintenir planes et de les empêcher de coffiner. On désigne aussi ces clefs sous le nom de barres à queues (voy. Menuiserie).

clef, terme de serrurerie. (voy. Serrurerie).

  1. Cette clef, qui était brisée en plusieurs morceaux, a dû être remplacée par mesure de solidité ; mais elle a été scrupuleusement reproduite, et les fragments de l’ancienne clef sont déposés dans le musée de l’église.
  2. Ce sont des feuilles d’érable des forêts.
  3. Jusqu’au XVIe siècle, l’usage s’est perpétué de peindre les clefs de voûtes et de les peindre aux armes des souverains, évêques, abbés, seigneurs, villes, etc. Dans les registres des comptes de l’œuvre de l’église de Troyes (f° 348 à 352), on lit : Qu’en 1463, un certain Jacquet peint, en la clef de l’une des grandes voûtes, les armes du cardinal d’Avignon ; qu’en 1494, Nicolas Cordonnier, peintre, peint la clef de la première voûte de la nef alors achevée, « où sont les armes de Mgr le grand archidiacre de Refuge ; » que sur la clef de la deuxième voûte il peint les armes de la ville, puis, sur les voûtes suivantes, celles du roi et de l’évêque de Troyes ; qu’enfin la clef de la cinquième voûte est dorée (voy. les Comptes de l’œuvre de l’église de Troyes. Troyes, Bouquot, édit. 1855).