Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Plafond

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PLAFOND, s. m. (lambris). Ce que nous appelons plafond aujourd’hui dans nos constructions, c’est-à-dire ce solivage de niveau latté et enduit par-dessous, de manière à présenter une surface plane, n’existait pas, par la raison que le plafond n’était que l’apparence de la construction vraie du plancher, qui se composait de poutres et de solives apparentes, plus ou moins richement moulurées et même sculptées. Ces plafonds figuraient ainsi des parties saillantes et d’autres renfoncées, formant quelquefois des caissons ou augets que l’on décorait de profils et de peintures. Il ne nous reste pas en France de plafonds antérieurs au XIVe siècle, bien que nous sachions parfaitement qu’il en existait avant cette époque, puisqu’on faisait des planchers que l’on se gardait d’enduire par-dessous. Les enduits posés sur lattis sous les planchers ont, en effet, l’inconvénient grave de priver les bois de l’air qui est nécessaire à leur conservation, de les échauffer et de provoquer leur pourriture. Des bois laissés à l’air sec peuvent se conserver pendant des siècles ; enfermés dans une couche de plâtre, surtout s’ils ne sont pas d’une entière sécheresse, ils travaillent, fermentent et se réduisent en poussière. Nous ne croyons pas nécessaire d’insister sur ce fait bien connu des praticiens[1].

Le plafond n’était donc, pendant le moyen âge, que le plancher ; c’était la construction du plancher qui donnait la forme et l’apparence du plafond ; il ne venait jamais à l’idée des maîtres de cette époque de revêtir le dessous d’un plancher de voussures, de compartiments et caissons en bois ou en plâtre, n’ayant aucun rapport avec la combinaison donnée par la construction vraie. Il serait donc difficile de traiter des plafonds du moyen âge sans traiter également des planchers, puisque les uns ne sont qu’une conséquence des autres ; aussi nous confondrons ces deux articles en un seul.

Si les pièces étaient étroites, si entre les murs il n’existait qu’un espace de deux ou trois mètres, on se contentait d’un simple solivage dont les extrémités portaient sur une saillie de pierre, ou dans des trous, ou sur des lambourdes ; mais si la pièce était large, on posait d’abord des poutres d’une force capable de résister au poids du plancher, puis sur ces poutres un solivage. Cette méthode était admise dans l’antiquité romaine et elle fut suivie jusqu’au XVIe siècle. Lorsque les poutres avaient de très-grandes portées, les constructeurs ne se faisaient pas faute de les armer pour leur donner du roide et les empêcher de fléchir sous le poids des solivages. Il est clair que ces sortes de planchers prenaient beaucoup de hauteur ; mais nos devanciers ne craignaient pas les saillies produites par les poutres, et les considéraient même comme un moyen décoratif.

Les poutres (fig. 1) avaient en général peu de portée dans les murs, mais étaient soulagées par des corbeaux de pierre plus ou moins saillants. Si ces poutres étaient ornées de profils sur leurs arêtes, ceux-ci n’apparaissaient qu’au delà de la portée sur les corbeaux. Dans les planchers les plus anciens, les solives posent d’un bout seulement sur ces poutres, ainsi qu’il est figuré en B ; de l’autre, dans une rainure pratiquée dans la muraille, dans des trous ou sur une lambourde C, comme on le voit en D, laquelle lambourde est posée elle-même sur des corbelets ou un profil continu. Comme il arrivait fréquemment que ces solives se contournaient, n’étant maintenues ni par des tenons ni par des chevilles, on posait alors entre leurs portées, sur les poutres et les lambourdes, des entretoises E formant clefs et chevillées obliquement. Ce moyen roidissait beaucoup les solivages et les poutres. Les entrevous des solives posées anciennement tant pleins que vides, ou étaient enduits sur bardeaux, ou bien garnis de merrains G posés transversalement. Les joints de ces merrains étaient masqués par des couvre-joints H, qui formaient entre les solives comme autant de petits caissons. Sur ces merrains on étendait une aire de plâtre ou de mortier I, puis le carrelage K. Les bois de ces plafonds restaient rarement apparents ; ils étaient habituellement couverts de peinture en détrempe que l’on pouvait renouveler facilement. On voit encore bon nombre de ces plafonds des XIIIe et XIVe siècles sous des lattis plus modernes, dans d’anciennes maisons. Quelquefois les poutres et les solives elles-mêmes sont très-délicatement moulurées.

Ce système de planchers employait une grande quantité de bois et exigeait des solives d’un assez fort équarrissage : car, nous l’avons dit déjà, on posait ces solivages tant pleins que vides ; il se prêtait parfaitement à couvrir des pièces longues, de grandes salles, des galeries ; mais pour des chambres, des pièces à peu près carrées, il n’offrait pas la rigidité que l’on cherche dans des pièces très-habitées et garnies de meubles lourds. On essaya donc au XIVe siècle de remplacer ce système si simple par un autre d’un effet plus agréable et présentant plus de rigidité.
Ainsi (fig. 2), une salle étant donnée, dont le quart est tracé en ABCD, deux poutres principales E étaient posées. Quatre cours de poutrelles F, formant entretoises, venaient s’assembler à repos dans ces poutres et des cours de solives G s’assemblaient de même dans les poutrelles. En H nous donnons la coupe de ce plancher faite sur ab. Les poutrelles reposaient le long des murs sur des corbeaux I, et des lambourdes K engagées dans une rainure, remplissaient les intervalles entre les poutrelles et recevaient les abouts des solives. Les assemblages des pièces de ce plafond sont tracés en L. La poutre est profilée en P, avec les repos des poutrelles en M. Celles-ci, N, possèdent un tenon à queue-d’aronde qui s’embrève dans le repos M, et des repos R qui reçoivent les tenons S des solives également taillés à queue-d’aronde. Des planches d’un pouce et demi étaient posées en long sur les solives et maintenues par les languettes T. Ce système d’embrévements à queue-d’aronde donnait beaucoup de rigidité au plancher, empêchait l’écartement et le chantournement des bois. Les pièces moulurées formaient une suite de caissons d’une apparence très-riche et très-agréable. Nous avons vu des plafonds ainsi construits dans des maisons des petites villes de Saint-Antonin et de Cordes, qui n’avaient souffert aucune altération. Ces plafonds, en beau chêne ou même en sapin, n’avaient jamais été décorés de peintures et présentaient un lambris d’une belle couleur. Non contents de les décorer de moulures, les architectes les enrichirent encore de sculpture. Il existe dans une maison de la rue du Marc, nº1, à Reims, un magnifique plafond en bois sculpté du XVe siècle, conçu suivant ce principe, et qui est autant une œuvre de menuiserie que de charpenterie[2]. Il recouvre une salle de 15 mètres de longueur sur 6m,50 de largeur, et se divise en cinq travées séparées par six poutres, les deux d’extrémités formant lambourdes.
La figure 3 donne une partie d’une de ces travées, l’ensemble du plafond étant tracé en A. Entre les poutres P sont posées les solives S avec tenons à leurs extrémités. Les solives sont roidies par des entretoises E. Des panneaux B remplissent les intervalles. Ces panneaux sont décorés de parchemins pliés. Les poutres sont sculptées latéralement et sous leur parement ; des culs-de-lampe sont rapportés sous les abouts des solives. Des détails sont nécessaires pour expliquer l’assemblage et la décoration de ce plafond ; nous les donnons dans la figure 4.
En A est tracée la moitié du profil des poutres ; la ligne ponctuée a indique la portée de la solive B. Les culs-de-lampe C ont leur tailloir pincé en b sous cette portée. Les entretoises D sont arrêtées sur les solives, ainsi que l’indique le tracé perspectif D′ ; un épaulement E, légèrement incliné, reçoit leur about. En G nous donnons une coupe sur les solives, avec l’about de la poutre près de sa portée. En supposant le solivage enlevé, la poutre présente le tracé H. On voit ainsi que les culs-de-lampe sont indépendants et laissent passer derrière leur extrémité inférieure les moulures sculptées sur les poutres. Ce détail explique assez combien ce plafond, partie charpenterie, partie menuiserie, présente de roideur ; son aspect est agréable sans trop préoccuper le regard, ce qui est important, car les architectes du moyen âge et même ceux de la renaissance ne pensaient pas encore à ces compositions, majestueuses aux yeux des uns, grotesques aux yeux de beaucoup d’autres, dont on a couvert les plafonds depuis le XVIIe siècle, compositions qui, à tout prendre, ne sont que des plâtrages peints et dorés sur des lattis, accrochés avec des crampons de fer, des apparences masquant une grande pauvreté de moyens sous une couverte de moulages rapportés, simulant des marbres et des bronzes, voire quelquefois des tentures !

Dans la construction de leurs planchers, et par conséquent de leurs plafonds, les maîtres du moyen âge étaient toujours vrais ; ils montraient et paraient la structure. Il y avait plus de mérite à cela, pensons-nous, qu’à mentir sans vergogne aux principes élémentaires de la construction. On se préoccupait d’abord des combinaisons des pièces de charpente, puis on cherchait à les décorer en raison même de cette combinaison.

Dans les provinces méridionales de la France, on employait aussi les plafonds rapportés et cloués sur les solives ; c’est-à-dire que sous le solivage on clouait des planches, et sur ces planches des moulures formant des compartiments décorés de peintures. Ces sortes de plafonds étaient d’une grande richesse, et en même temps présentaient la légèreté que l’œil aime à trouver dans les parties supérieures d’une pièce. Ce procédé a été encore employé pendant la renaissance, et le plafond de la galerie de François 1er, à Fontainebleau, en donne un charmant exemple[3].

Notre siècle, qui est un peu trop pénétré de la conviction qu’il invente chaque jour, ne doute pas que les plafonds composés de voutains en brique posés sur des solivages en bois ou fer sont une innovation ; or, voici (fig. 5, en A) un plafond posé dans une maison de la fin du XVe siècle, à Chartres, rue Saint-Père, qui nous donne une combinaison de ce genre.

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Les solives B sont posées sur l’angle et scellées dans les murs ; sur leurs plats b sont hourdés des voutains en brique posés en épi. Ces briques ont 3 centimètres d’épaisseur sur 10 centimètres de côté. Les reins C sont remplis de maçonnerie sur laquelle pose le carrelage D. Les solives ont 32 centimètres de côté (un pied) et placées sur la diagonale, elles offrent une grande roideur. Ce plafond, d’une portée assez faible, produit un très-bon effet, et peut facilement être décoré et maintenu propre. À Troyes, dans l’hôtel de l’Aigle, dit de Mauroy, rue de la Trinité, il existe un plafond du XVe siècle, entièrement en bois (voir le tracé G) qui présente des solives refendues E suivant leur diagonale, et posées comme le fait voir la figure 5. Dans l’angle rentrant formé par la juxtaposition de ces solives sont clouées des chanlattes I, puis sur le tout des madriers K, en travers. Ces solives s’assemblent dans des poutres, dont nous donnons la demi-section en L. Quelquefois les angles saillants de ces solives refendues sont chanfreinés, ce qui donne au plafond une apparence de légèreté peu commune. La mode du majestueux (car le majestueux est une des modes les plus durables en ce pays, qui en change si volontiers) a détruit ou recouvert de lattis beaucoup de ces plafonds du moyen âge ou de la renaissance. Il faut être à la piste des démolitions de nos plus vieux hôtels pour découvrir sous des plâtrages des combinaisons souvent très-ingénieuses. C’est ainsi, par exemple, que lors de la démolition de l’hôtel de la Trémoille, à Paris, nous avons vu sous des lattis recouverts de moulures de plâtre, des solivages très-délicatement travaillés, posés sur des poutres et formant une suite de gracieux caissons carrés. C’était une combinaison analogue à celle donnée dans la figure 3, si ce n’est que les entretoises étaient assemblées à tiers de bois avec les solives et laissaient des intervalles parfaitement carrés. Chacun de ces intervalles était rempli par un panneau sculpté d’arabesques ; le tout avait été peint et doré. L’Angleterre, plus conservatrice que nous de ses vieux édifices (ce qui ne l’empêche pas d’être à la tête des idées de progrès), possède encore de beaux plafonds des XVe et XVIe siècles, en bois mouluré et sculpté. Si les portées des poutres étaient très-longues, celles-ci étaient souvent armées, c’est-à-dire composées de deux moises pinçant deux pièces inclinées formant arbalétriers ou surmontées de deux véritables arbalétriers noyés dans l’épaisseur du solivage et du carrelage. Des étriers en fer forgé et orné suspendaient la poutre aux deux arbalétriers ; ces étriers contribuaient à la décoration de la poutre, et les moulures entaillées sur ses arêtes-vues s’arrêtaient au droit des ferrures. On voit fréquemment des plafonds figurés ainsi dans des vignettes de manuscrits du XVe siècle.

Comme on se fatigue de tout, même des choses qui ne sont justifiées ni par la raison ni par le goût, nous pouvons espérer voir abandonner un jour les lourds plafonds à voussures et à gros caissons, à figures ronde bosse et à draperies entremêlées de guirlandes et de pots, si fort en vogue depuis le règne de Louis XIV, et revenir aux plafonds dont la forme serait indiquée par la structure, qu’elle soit en bois ou en fer.

Il faut observer ici que dès le XVe siècle, entre les solives des planchers, on faisait souvent des entrevous en plâtre enduits sur bardeaux, posés sur tasseaux cloués aux deux tiers de l’épaisseur de la solive, tant pour empêcher la poussière de tamiser entre les languettes des planches de recouvrement que pour éviter la sonorité des planchers entièrement en bois. Ces entrevous étaient peints et même quelquefois décorés de reliefs en plâtre. On voit quelques plafonds de ce genre dans de vieilles maisons d’Orléans. Au-dessus des entrevous, on laissait un isolement, puis on posait des bardeaux sur les solives, et l’on formait des augets, également en plâtre, dans lesquels on tassait le cran, la marne ou même la terre destinés à recevoir le carrelage.

  1. L’usage des planchers en fer justifie au contraire l’adoption des sous-surfaces planes et enduites.
  2. M. Thiérot, architecte à Reims, a bien voulu relever pour nous ce plafond avec le plus grand soin.
  3. Ce plafond a été malheureusement remanié. Nous parlons de celui qui existait avant 1843. À Venise, on voit encore de beaux plafonds exécutés d’après ce système. On en trouve aussi en Espagne et notamment à Tolède. Les hôtels de Toulouse en présentaient encore quelques-uns il y a peu d’années.