Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Cubitière

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CUBITIÈRE, s. f. Partie de l’armure qui couvre le coude. Les premières cubitières apparaissent vers le milieu du xiiie siècle. Elles ont la forme d’un bassin circulaire légèrement conique et dont la convexité est en dehors. Ces cubitières sont attachées à la saignée par une courroie sur la manche du haubert de mailles ou sur la broigne (fig. 1[1]). Cette figure montre en même temps comment la broigne était disposée sous l’aisselle (voy. Broigne). Ces premières cubitières sont petites, et ne pouvaient guère servir qu’à éviter les coups d’épée ou de masse dirigés sur le coude lorsque le bras était ployé. À la même époque, on portait des plates sur les arrière-bras et avant-bras. Avec ce harnois, il était nécessaire de mettre des cubitières. Celles-ci étaient en forme de cône aigu et retenues par deux courroies (fig. 2[2]). C’était le commencement des armures de plates. Ces cubitières se dérangeaient facilement pendant une action ; puis elles ne protégeaient pas la saignée. On y adjoignit des rondelles.

Les arrière-bras furent souvent couverts, vers 1300, par une plate semi-cylindrique, qui de l’épaule descendait à la saignée. L’avant-bras était protégé par un demi-cylindre. Une cubitière conique garantissait le coude, et à la courroie de cette cubitière, du côté externe, était attachée une rondelle d’acier. L’aisselle était de même couverte par une rondelle. Ces premières plates (garnitures de bras) sont parfois décorées de gravures remplies d’une matière brune, sorte de niellure, ainsi que le montre la figure 3[3].

On comprit, bientôt qu’il y aurait avantage à ne plus séparer ces deux, pièces, la cubitière et la rondelle. On les forgea donc d’un seul morceau, et la rondelle prit alors le nom de garde cubitière.

Pendant le cours du xive siècle, les cubitières possèdent habituellement leur garde ; mais, par suite du ploiement du bras, il fallait que les canons d’arrière et d’avant-bras ne laissassent pas une solution de continuité entre eux et la cubitière. On ajouta donc des lames d’acier mobiles, destinées à couvrir cette solution. (Voy. Brassard.)

La cubitière enveloppa mieux le coude, et la garde externe ne pouvait être dérangée. Beaucoup de statues de personnages morts de 1350 à 1380 montrent des cubitières ainsi disposées, et qui sont rivées aux plaques mobiles des canons d’arrière et d’avant-bras (fig. 4[4]). En A, cette cubitière est montrée du côté externe, et en B du côté interne.

La maille protégeait la saignée sous la courroie de la cubitière.

Au commencement du xve siècle, l’armure de plates était déjà très-perfectionnée. Les cubitières étaient, par conséquent, parfaitement appropriées à leur usage.

La figure 5 montre en A la cubitière adoptée de 1380 à 1400[5]. La garde, coupée en forme de cœur, couvre bien la saignée. Deux rivets attachent la cubitière aux plaques sous-jacentes, qui, se mouvant, recouvrent les canons d’arrière et d’avant-bras.

On remarquera, dans cette figure, les mitaines de peau avec petits boutons, qui protègent le dos de la main et qui empêchaient le gantelet d’acier de froisser le poignet.

En B, est tracée une cubitière analogue[6].

Le modèle de ces cubitières et de leurs gardes est parfaitement étudié pour faire dévier les coups de pointe ; on ne saurait trop observer avec attention le soin apporté par les armuriers de ce temps dans la fabrication des harnois de plates.

Cependant, à la même époque, c’est-à-dire de 1390 à 1400, on employait encore les garnitures de bras avec gardes indépendantes des cubitières. Voici (fig. 6) un exemple de rondelle adoptée avec la cubitière, et qui ne peut être antérieur à 1390 et postérieur à 1400[7]. On tâtonnait, et, après avoir atteint un résultat presque complet, ne trouvant pas la solution définitive, on retournait en arrière, cherchant une autre voie.

Armer le coude était un problème difficile, car il fallait laisser aux mouvements du bras toute leur liberté. Or le poignet pouvant, indépendamment de l’épaule, se mouvoir suivant un demi-cercle, par suite de la disposition du radius et du cubitus, ces gardes gênaient quelque peu la liberté de l’avant-bras. On chercha donc à envelopper conplétement le coude et la saignée, et l’on forgea des pièces à ce destinées, très-évasées à la partie inférieure comme à la partie supérieure, mais qui masquaient complètement la saignée (fig. 7[8]).
Ces cubitières avaient cependant plusieurs défauts : si le bras était étendu, elles laissaient un vide entre le canon d’avant-bras et la garde, dans lequel la pointe de l’épée ou de la lance pénétrait aisément ; puis elles étaient lourdes. Ces sortes de cubitières, auxquelles on donna le nom de garde-bras (Voy. Garde-bras), ne furent guère usitées que de 1420 à 1440, et les fit-on différentes de forme pour le bras droit et le bras gauche ; ce dernier étant destiné seulement à maintenir l’écu et étant couvert par celui-ci.

Il serait impossible de donner tous les exemples de cubitières qui furent appliquées à cette époque, chacun les faisant forger à sa fantaisie. Celles qui paraissent le plus habituellement adoptées vers 1440 se trouvent reproduites à l’article Brassard (fig. 3) ; mais beaucoup d’hommes d’armes conservaient la bonne cubitière du xive siècle, avec gardes. Les cubitières qui suivirent la forme donnée figure 7 prirent, comme il vient d’être dit, le nom de garde-bras, et elles atteignirent parfois une ampleur exagérée. On fit aussi, vers 1440, des cubitières composées de deux pièces, l’une qui protégeait le coude et se terminait en pointe aiguë ; l’autre qui couvrait la saignée avec garde externe très-développée (fig. 8[9]).

En A, est tracée la disposition d’ensemble de cette cubitière attachée ; en B, la partie de la saignée détachée, laquelle n’était qu’une garde avec appendice, sous lequel une petite bielle C était passée dans la courroie qui attachait la cubitière proprement dite. Ces sortes de cubitières ne paraissent pas toutefois avoir été fort usitées en France, car jamais en ce pays les exagérations admises dans les armures anglaises et allemandes surtout, ne furent en honneur. Il est évident que l’on cherchait toujours chez nous à laisser aux mouvements du corps la plus grande liberté possible.

  1. Manuscr. Biblioth. nation., le Roman d’Alixandre, français (1270 environ).
  2. Même manuscrit.
  3. Statues tombales de 1300 environ, entre autres celle du chevalier Bacon (église de Carleston), attribuée faussement à un personnage de la même famille qui fit partie de l’armée du prince Noir. (Voyez Stothard, the Monum. Effig. of Great Britain.)
  4. Statue de du Guesclin, église abbatiale de Saint-Denis.
  5. Statue de Jehan d’Artois, église abbatiale d’Eu (1384).
  6. Statue de Philippe d’Artois, mort en 1396, église abbatiale d’Eu.
  7. Statue du château de Pierrefonds.
  8. Manuscr. Biblioth. nation., Boccace, français (1420 environ).
  9. Manuscr. Biblioth. nation. Fraoissart, Chron. t. IV (1440 environ).