Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Dard

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DARD, s. m. (darde, dart, algier). Cette arme de main était, pendant l’époque carlovingienne et jusque vers le milieu du xiie siècle, une sorte de javelot empenné :

« Li res Marsilies en fut mult esfreed,
« Un algier tint ki d’or fut enpenet,
« Férir l’en volt se n’en fust desturnet[1]. »


« De Sun algeir ad la hanste crollée[2]. »

Ces vers indiquent assez que l’algier était une arme emmanchée d’un bois empenné.

C’était une arme orientale, un javelot qu’on lançait à la main, comme le pilum romain. C’était encore une courte lance dont on se servait comme d’un épieu[3]. On observera que sur la tapisserie de Bayeux, les guerriers, soit à pied, soit à cheval, portent de ces longs javelots propres à être lances, et que ces hommes d’armes ne les tiennent point ainsi qu’on lit plus tard de la lance (glaive). Dans l’épisode de la campagne entreprise par Guillaume et Harold en Bretagne, au-dessus duquel est brodée la légende suivante : Hic milites Willelmi ducis pugnant contra Dinantes, on voit en effet des hommes à pied et à cheval lançant des traits. Quelques-unes de ces armes sont indiquées pendant leur course (fig. 1), d’autres fichées dans les écus. Il en est de même sur la broderie qui représente la bataille d’Hastings, et l’on ne saurait confondre ce dard avec les flèches, celles-ci étant beaucoup plus courtes et empennées, tandis que le dard saxon et normand ne l’est point. La lance normande est d’ailleurs décorée d’une flamme. Celle-ci, bien entendu, n’était point jetée comme le dard. Les fers du dard normand sont de deux sortes, les uns sont en feuille de sauge et les autres à deux barbes (fig. 2).

Il n’est plus fait mention, à dater du milieu du xiie siècle, de ce javelot, et le nom de dard est donné à une sorte de vouge à court manche, avec un fer tranchant des deux parts et très-effilé. C’est alors une sorte d’épieu :


« Un héraut qui tenoit .l. dart
« En sa main, mult trenchant d’acier[4]. »


Ce dard était une arme de piéton ; on s’en servait pour monter à l’assaut ou charger à pied de très-près, comme on se sert aujourd’hui de la baïonnette.

  1. La Chanson de Roland, st. xxxii.
  2. Ibid., st. xxxii.
  3. Voyez les peintures de la salle du Jugement, Alhambra.
  4. Mérangis de Portlesguez (xiiie siècle), publ. par M. Michelant, p. 10.