Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Dossière

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DOSSIÈRE, s. f. Partie de l’armure de plates qui protégeait le dos et qui, réunie au plastron et à la pansière, composait l’habillement qu’on désigne aujourd’hui par le mot cuirasse. On portait cependant des dossières sans plastrons, comme des plastrons et pansières sans dossières, avant l’époque où l’armure de plates fut complétée.

Le moyen âge n’adopte une nouvelle pièce d’armure qu'autant que l’utilité s’en fait sentir, et l’on ne voit point alors, comme aujourd’hui chez les nations de l’Europe occidentale, des genres de vêtements de guerre absolument différents les uns des autres, sans qu'il y ait à cette variété une raison d’utilité ou de convenance. Il suffit, à cette heure, d’une ordonnance, ministérielle pour faire prendre à toute une arme certaine partie d’habillement de guerre qui n’est pas toujours l’expression d’un besoin. Les choses ne se passaient point de la sorte autrefois, et les modifications que subissait l’armement n’étaient que la conséquence de l’expérience acquise par chacun. Or le haubert de mailles ou la broigne étant l’habillement de corps usité chez les gens d’armes, on reconnut bientôt que ce vêtement ne préservait pas suffisamment le cavalier des coups d’estoc et surtout des coups de hache et de masse ; on ajouta au haubert les ailettes pour garantir les épaules. L’écu préservait la poitrine, si l’homme d’armes savait le manier ; mais dans les mêlées, lorsque la cavalerie fournissait une charge, il arrivait que l’adversaire, se dérobant, prenait en flanc ou à revers les cavaliers qui faisaient une trouée ; alors tombait-il dessus, à grands coups de masse, la lance ne pouvant pas servir en pareille occurrence. Ceux qui venaient ainsi à la rescousse adressaient leurs coups sur les reins des hommes d’armes qui étaient parvenus à se frayer passage au milieu d’un escadron. Cette manœuvre nous fut plus d’une fois fatale, notamment à Crécy. Nos ennemis attendaient rarement une charge de la gendarmerie française, ils se contentaient de lui opposer des archers postés en tirailleurs, avec pieux aiguisés devant chacun d’eux, et ils divisaient leur cavalerie en petits pelotons entremêlés de coutilliers. Une charge à fond avait bien vile raison de ces petits corps qui n’avaient point de consistance ; mais des réserves de cavalerie disposées sur les ailes tombaient à bride abattue sur ces escadrons compactes qui renversaient tout sur leur passage, les prenaient en flanc, à revers même, et les accablaient sous les coups de masse, de hache ou de plomée. Les hommes d’armes à cheval, la tête couverte du heaume, ne manœuvraient point avec l’aisance de notre cavalerie légère ; une fois lancés dans une direction, surtout en masse compacte, ils se déployaient difficilement à droite et à gauche. Si braves qu’ils fussent, ils étaient donc écrasés sans pouvoir se servir de leurs armes. Ce ne fut qu’après les funestes batailles de Crécy et de Poitiers que notre gendarmerie reconnut les défauts de sa tactique, et qu’en la modifiant sur quelques points, elle apporta des changements sérieux à l’habillement. On songea à garantir les flancs et le dos du cavalier : on adjoignit les braconnières à l’habillement du torse ; braconnières qui recouvraient le troussequin de la selle, et en plastronnant fortement les épaules, la poitrine et les omoplates, on garnit les reins d’une plaque de fer qui s’élevait jusqu’au milieu de la colonne dorsale ; plaque munie à son extrémité supérieure d’une boucle à laquelle, par une courroie, était attaché le heaume ou le bacinet. Cette plaque prit le nom de dossière ou garde-reins. Ce ne fut qu’un peu plus tard qu’on ajouta par-devant, au corset d’armes rembourré, une autre plaque de fer de forme à peu près semblable à celle de la dossière et qui prit le nom de pansière.

L’adoption de la dossière antérieurement à la pansière est expliquée par la manière de combattre la cavalerie française vers le milieu du xive siècle. Il faut dire que ces plaques de fer furent adoptées par la cavalerie anglaise et allemande avant l’époque où nous les voyons chez nous. En fait d’armes défensives, les Allemands ont toujours été singulièrement prévoyants, et nous n’avons fait souvent que prendre, en leur donnant plus de légèreté et de grâce, les pièces d’armures dont ils étaient les inventeurs.

Les premières dossières sont composées de trois pièces, l'une qui sert de ceinture et retient la braconnière, les deux autres réunies par deux charnières et qui couvrent les omoplates en s’attachant latéralement au plastron de peau rembouré ou à la pansière (fig. 1[1]). Cet homme d’armes est coiffé d’un chapel de fer avec petite bavière, sur un camail de mailles qui recouvre la dossière ; des spallières sphériques garantissent ses épaules ; ses bras sont entièrement armés. En A, est figurée la pièce sous-jacente aux deux plates de la dossière et à laquelle la braconnière est attachée. Il porte un de ces grands pavois qu’on prenait pour monter à l’assaut.

Mais, pendant la seconde moitié du xive siècle, on voit rarement les hommes d’armes munis de la dossière et de la pansière proprement dites ; on portait alors des surcots fortement plastronnés par-dessus de courts haubergeons de mailles, et les appendices de plates que l’on adjoignait à ce vêtement, pour mieux préserver les reins et l’estomac, consistaient en de petites plaques de fer posées à recouvrement par rangées horizontales. Quelquefois ces plaques ne garantissaient que le dos et les lianes ; quelquefois aussi elles formaient une sorte de cuirasse qui ne montait que jusqu’au grand camail de mailles et se bouclait par derrière. Ces plaques d’acier étaient rivées sur une sorte de pourpoint de peau, ce qui permettait d’ouvrir le vêtement pour y introduire le torse. Des bretelles de cuir reportaient une partie du poids de ces cuirasses sur les épaules. Le dernier rang de plaques recouvrait la ceinture de la braconnière, qui s’ouvrait en deux et se bouclait latéralement (fig. 2[2]).

Mais il est utile de dire comment étaient fixées ces plaques dont il est fait mention à plusieurs reprises dans les articles du Dictionnaire (partie des Armes). Les plus anciennes, parmi ces armures, paraissent composées de plaques rectangulaires un peu plus longues que larges, et ayant environ 7 centimètres de longueur sur 4 à 5 centimètres de largeur. Chacune de ces plaques était percée de cinq trous, trois en tête et deux latéralement (fig. 3), ainsi qu’on le voit en X. Elles étaient posées ainsi que l’indique le tracé D. Les rivets qui réunissaient ces plaques au vêtement de peau prenaient deux épaisseurs de métal dans les trous a, b, ainsi qu’on le voit en a’, b’, tandis que les rivets n n’en prenaient qu’une. Ainsi pouvait-il y avoir une certaine flexibilité dans ce revêtement de fer. On voit en f et f’ les sections indiquant le recouvrement de ces plaques dans le sens vertical et horizontal. Tous les rivets se trouvaient cachés. Toutefois ces armures ne présentant pas assez de flexibilité, on adopta le système tracé en V. Les plaques furent posées comme des tuiles ; chacune d’elles était percée de quatre trous, trois en tête et un vers le milieu. Un des trous, celui i, était oblong, afin de laisser du jeu au rivet central, qui empêchait les plaques de se relever. Chacune de ces plaques, n’ayant plus qu’un seul rivet commun à deux plaques, avec un trou oblong dans l’une d’elles, pouvait suivre les mouvements du vêtement de peau.

On voit en P le rivet grandeur d’exécution, les deux plaques avec le trou gai de celle de dessous, et la peau en h. Un des rivets restait apparent. On voit beaucoup de ces plaques dans les armures de la fin du xixe siècle[3].

Il est encore une autre combinaison de ces plaques de fer assemblées sur des vêtements de peau, et qui consistait en des lamelles de 8 centimètres environ de long sur 4 à 5 centimètres de large. Chaque plaque était percée de trois trous à la tête et d’un trou latéral. Un lien de nerf de bœuf ou de corde à boyau rattachait ces lamelles au vêtement de peau, ainsi que l’indique la figure 3 bis. Ce nerf passait en même temps dans le trou milieu de tête et dans le trou latéral de la plaque sus-jacente, afin d’empêcher son relèvement. Ces nerfs étaient tous masqués. En A, est tracée une plaque ; en B leur assemblage ; en E, le nerf-lien ; en C, la section sur ab. Les plaques étaient quelque peu biseautées d’un côté, pour appuyer les rives sur les surfaces et laisser la place des liens.

Cependant, vers 1350 déjà, quelques riches gentilshommes portaient ce qu’on appelait des curasses closes, c’est-à-dire composées de deux pièces de forge (fig. 4[4]). Ces exemples sont toutefois rares, les armuriers n’ayant pas encore façonné des plates d’une grande étendue.

A la cannelure basse de la dossière étaient rivées les courroies qui reliaient cette partie à la pansière. De petites plaques à charnières couvraient les épaules ; des courroies rivées à leur bord postérieur se bouclaient à la dossière, afin de bien préserver les épaules. Le plastron était alors très-bombé, suivant la mode du temps. Des braconnières, ou jupons de mailles, s’attachaient dans la cannelure inférieure de la pansière et de la dossière au moyen d’une courroie.

Indépendamment de son prix élevé, il faut croire que ce harnois de fer de deux pièces ne parut pas commode ; car lorsque les armuriers se furent rendus habiles dans l’art de forger de grandes pièces, on n’admit pas ces cuirasses faites de deux parties seulement.

Il faut dépasser l’année 1400 pour trouver l'emploi habituel de l'habillement combiné de la dossière et de la pansière ; c’est-à-dire, arriver au moment où l’armure de plates est définitivement admise, et alors le devant et l'arrière de la cuirasse sont faits chacun d’au moins deux pièces.

Vers 1420, nous voyons les hommes d’armes porter de fortes dossières et pansières bien caractérisées, posées sur un corset rembourré et doublé de lames d’acier sous-jacentes à l’étoffe, comme étaient les brigantines[5]. Ces deux pièces d’acier s’attachent l’une à l’autre latéralement, au-dessus de la taille, par deux courroies, et sont fortement maintenues solidaires à la ceinture cannelée par une courroie rivée aux deux côtés de la dossière (fig. 5[6]). A montre la dossière ; B, la pansière.

Bientôt, l’armure de plates se complétant, on pose la dossière basse sur une doublure d’acier qui couvre les omoplates, et la pansière sur un plastron du même métal. L’assemblage est combiné de telle sorte que les lames superposées peuvent, dans les armures bien établies, se mouvoir quelque peu l’une sur l’autre.

La belle armure de l’ancien musée de Pierrefonds[7] fournit un des meilleurs exemples de cette partie de l’habillement de plates à la date de 1440 environ.

La figure 6 présente d’abord la pansière avec son plastron, en A extérieurement, et en B intérieurement. Un rivet à tête longue verticale, passant dans une fente commune aux deux pièces d’acier, avec nerf externe de recouvrement, permet à la pansière de glisser sur le plastron, afin de faciliter la flexion du torse.

La pansière porte la cannelure sur le bord inférieur de laquelle est
rivée la plaque supérieure de la braconnière, composée de quatre lames auxquelles sont rivées à leur tour les tassettes formées chacune de quatre lames, la dernière couvrant le haut des cuissots. Les plaques d’entournure, rivées seulement à leurs extrémités au plastron, possèdent une certaine flexibilité.

Les lames de la braconnière de devant, n’étant rivées ensemble qu’à leurs extrémités, peuvent se mouvoir l’une sur l’autre. En C, est présenté le fautre à pivot attaché en a au plastron, et qui supporte, quand on charge, le bois de la lance en arrêt.

La figure 7 donne la dossière composée d’un couvre-dos et de deux lames articulées (garde-reins). La dernière, concave au droit de la taille, reçoit les rivures des courroies de ceinture qui se bouclent dans la cannelure de la pansière. La braconnière de derrière est faite de quatre lames articulées et assez amples pour couvrir le troussequin de la selle. On observera que la pansière recouvre de bas en haut le plastron, pour empêcher le fer de lance de s’engager dans la jonction, tandis que les lames de la dossière se recouvrent de haut en bas, pour laisser glisser les coups de taille ou de masse. Les lames des braconnières de devant et de derrière se recouvrent de bas en haut, pour faire glisser les coups de pointe jusqu’à la cannelure de la taille, et les lames superposées sont biseautées à leur rive, ainsi que l’indique la section D. Au point de vue de la défense, cet babillement de corps était donc parfaitement étudié. Cette armure est d’ailleurs d’une souplesse remarquable et peut être portée sans fatigue.

Mais, vers la même époque, on adoptait fréquemment les braconnières d’étoffe sur lames à recouvrement d’acier, suivant la méthode admise pour la façon des brigantines, et, avec ces sortes de braconnières, des corselets d’acier (dossière et pansière) faits d’un grand nombre de lames à recouvrement. Cet habillement de corps avait de la souplesse. Voici (fig. 8) une de ces armures[8], composée d’une lame couvrant les omoplates et de quatre lames à recouvrement, rivées seulement à leurs extrémités. La lame de recouvrement supérieure portait une boucle qui recevait la courroie maintenant le colletin postérieur. Les spallières, formant en même temps arrière-bras, étaient rivées à la lame de la dossière qui couvrait les omoplates, ce qui devait gêner les mouvements du bras. Aussi ces spallières étaient-elles assez amples pour permettre le jeu des membres. Les braconnières, ainsi que le montre la figure, étaient faites en manière de brigantine et étaient bouclées sur la ceinture cannelée de la dernière lame. La pansière était combinée de la même manière (voyez en A). Le colletin, portant garde-nuque par derrière et bavière par devant, recouvrait l’ouverture supérieure du corselet, ce qui était un défaut ; car la pointe de la lance ou de l’épée pouvait passer sous ce colletin, malgré les courroies. Dans l’armure précédente, au contraire, le colletin passe sous l’encolure du corselet (voyez Armet, fig. 1 et 1 bis). Avec ce harnois on portait le chapel de fer ou la salade.

Il ne faut pas omettre les dossières cannelées avec garde-reins également cannelés, qu’on portait vers 1450, sur des brigantines. La figure 9<ref>Manusc. Biblioth. nation., Girart de Nevers, français (1450 à 1460).</re> montre un de ces habillements. Le haut du corselet était fait comme une brigantine, avec rondelles d’acier sur les deux omoplates et les mamelles. Une lame d’acier A, cannelée dans le dos, protégeait la partie inférieure de la dossière ; une lame semblable mais non cannelée, formait pansière. A la ceinture, en façon de gouttière, étaient attachées des braconnières composées de lames d’acier cannelées par derrière, et de velours sur lames d’acier sur les côtés et par devant ; le tout terminé par une bordure de peluche. Les lames d’acier postérieures B, articulées, recouvraient le troussequin de la selle.

Vers la même époque, c’est-à-dire vers 1460, les armures de Nuremberg étaient fort prisées, même en France. Elles étaient fabriquées avec grand soin, articulées et cannelées (voy. Armure, planches III et IV). A cause du mouvement des reins, les dossières étaient composées, dans ces habillements, d’un plus grand nombre de pièces que les plastrons.

La dossière (fig. 10[9]) se compose d’une lame garde-reins d’une seule pièce A, formant ceinture ; quatre lames superposées B la recouvrent du cou au-dessous des omoplates. La braconnière postérieure se compose également de quatre lames à recouvrement passant sur le troussequin. Ces pièces sont forgées avec une précision et un soin extrêmes, délicatement découpées et cannelées, les cannelures entrant les unes dans les autres. Les spallières ajoutaient encore à la force de cette défense (voy. Armure, fig. 4, et Spallière). Le colletin couvre-nuque, sous la salade, recouvrait l’encolure de la dossière.

Nous n’insisterons pas davantage sur cette partie de l’habillement de corps, sur laquelle on a l’occasion de revenir (voy. Armure, Braconnière, Harnois, Spallière).

  1. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français, dédié au roi Jean (1330 environ).
  2. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1395 environ).
  3. Le musée de l’arsenal de Tzarskoé-Sélo conserve un certain nombre de ces plaques de fer encore assemblées.
  4. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français, dédié au roi Jean (1350 environ).
  5. Voyez Brigantine, fig. 5.
  6. Manuscr. Biblioth. nation., Boccace, français (1420 environ).
  7. Voyez la planche ii, partie des Armes.
  8. Manuscr. Biblioth. nation. , Miroir historial, français (1440 environ). Vignette représentant le roi Porus combattant Alexandre.
  9. Ancienne collect. de M. le comte de Nieuwerkerke : armure de Nuremberg.