Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance/Drap

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DRAP, s. m. Pièce d’étoffe plus ou moins riche, que l’on posait sur le cercueil d’un mort, ou que l’on jetait sur le corps d’un chevalier, d’un noble tué dans une bataille, avant de l’ensevelir. Quand Charles de Blois est tué devant le château d’Alroy, le comte de Montfort dit à ses chevaliers :

« … Seignor, aller cerchant
« Le ber Charles de Bloiz, qui est mort en ce champ ;
« Et puis le renderay aux gentilz (bourgeois) de Guingamp.
« …
« Adont le fist partir tost et incontinant
« Et couvrir d’un drap d’or, à loi d’omme poissant.
« …[1] »

Dans la tapisserie de Bayeux, on voit la bière du roi Edward portée par huit hommes ; elle est couverte d’un drap très-riche et qui tombe de chaque côté du cercueil. Ces draps semblent n’avoir été, jusqu’au XVIe siècle, qu’une pièce d’étoffe recouvrant les parties latérales de la châsse ou bière ; plus tard ils furent composés de pièces cousues et enveloppant la bière tout entière comme une housse, ainsi que le fait voir la figure 1, copiée sur une vignette d’un manuscrit du XVe siècle[2]. Ce drap est noir, rehaussé d’or ; il est coupé suivant la forme et la dimension du cercueil et tombe largement tout autour.

Aux XVe et XVIe siècles, il était d’usage de garnir les draps mortuaires d’écussons armoyés aux armes du défunt. Lorsque le personnage était un roi ou un puissant seigneur possesseur de nombreux domaines, on plaçait autour de la bière, sur le drap, les armes de chaque fief ; une croix, ordinairement blanche, était cousue sur l’étoffe, et les insignes de la qualité du mort étaient déposés au centre de la croix. La figure 2 donne un exemple de cette disposition. Pour les obsèques des souverains, les draps, très-amples, recouvraient le sol autour de la bière, et sur ces pentes étaient placés les flambeaux.

Il ne paraît pas que le noir fût adopté pour les draps mortuaires ou poêles avant le XVIe siècle[3] ; dans les peintures, les vitraux et les miniatures, les cercueils sont recouverts de draps d’or, chamarrés ou unis, de couleur avec dessins, avec ou sans croix ; au XIVe siècle particulièrement, les draps adoptent les émaux des armes du défunt, car le poêle était surtout destiné à faire connaître sa qualité. Ce ne fût guère qu’au XVIe siècle que les poêles furent invariablement noirs et blancs, exceptés pour les personnages souverains, qui conservèrent l’or, le pourpre, le violet ou le rouge. Nous avons encore vu, dans quelques églises, des draps de cette époque pendus aux murailles ou conservés dans les sacristies ; ils sont noirs, avec une croix blanche dont les bras sont divisés par deux autres bandes longitudinales également blanches (fig. 3) qui se trouvaient sur les deux angles formés par les deux parties inclinées du couvercle de la bière. Quelquefois de petites croix, noires sur les extrémités de la croix ou blanches sur les fonds noirs, viennent rehausser l’étoffe. Il existe un drap de ce genre dans l’église de Folleville (Somme)[4].

  1. Variante : « En bière et bien couvert droitement à Guingant. » (Chron. de Bertr.
    du Guesclin, XIVe siècle, t. I. vers 6318 et suiv. Coll. des docum. inéd. sur l’hist. de
    France)
  2. Le Romuléon, manusc. de la Biblioth. nat., no 6984 : Convoi de César.
  3. Pour la sépulture de l’abbé de Saint-Ouen de Rouen, Jehan Marc-d’Argent, « furent achetés deux biaux draps d’or qui furent bordés de noirs cendaux ». Chron. de Saint-Ouen, recueillie par Franç. Michel, p. 24.)
  4. Ce drap est décrit et reproduit par la gravure dans le 2e volume des Annales archéol. de M. Didron, page 230. Les bandes blanches sont couvertes de têtes de mort, d’ossements et d’inscriptions, memento mori, brodés. Sur le fond noir sont brodés deux miroirs reflétant des crânes humains. (Voyez l’article de M. Bazin.)