Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/V/II

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Julien Remy Pesche
(Tome 1p. CCLXXXIII-CCXC).

§ II. Depuis la division départementale de la France ; jusqu’à la fondation de la République.

département de la sarthe.

1790 — 1792. — Le 15 janvier de l’année 1790, l’assemblée nationale constituante décrète le principe de la division départementale de la France, dont les moyens d’exécution sont réglés par deux autres décrets, des 16 et 26 février : la France, d’après ces actes, est divisée en 83 départemens ; chaque département, en un certain nombre de districts et de cantons, ces derniers composés de paroisses qui, dorénavant, auront le titre de communes. Les bases d’après lesquelles seront opérées ces divisions, et la formation de ces divers genres d’arrondissemens, sont posées ainsi par ces décrets : « — 1.° La liberté réservée aux électeurs de plusieurs départemens ou districts, pour le choix des chefs-lieux et remplacement de divers établissemens, et celle d’en délibérer et de proposer à l’assemblée nationale, ou aux législatures qui suivront, ce qui paraîtra le plus conforme à l’intérêt général des administrés et des justiciables. — 2.° Dans toutes les démarcations fixées entre les départemens et les districts, il est entendu que les villes emportent le territoire soumis à l’administration de leurs municipalités ; et que les communautés de campagne, comprennent de même tout le territoire, tous les hameaux, toutes les maisons isolées, dont les habitans sont cotisés sur les rôles d’impositions du chef-lieu, — 3.° Lorsqu’une rivière est indiquée comme limite entre deux départemens ou deux districts, il est entendu que les deux départemens ou les deux districts ne sont bornés que par le milieu du lit de la rivière, et que les deux directoires doivent concourir à l’administration de la rivière. — 4.° La division du royaume en départemens et en districts n’est décrétée, quant à présent, que pour l’exercice du pouvoir administratif ; et les anciennes divisions relatives à la perception des impôts et au pouvoir judiciaire, subsisteront jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. Les dispositions relatives aux villes qui ont été désignées comme pouvant être sièges de tribunaux, sont subordonnées à ce qui sera décrété pour l’ordre judiciaire. » Nous consignons ici ces dispositions, parce que la majeure partie de ce règlement primitif sur la matière, fait encore aujourd’hui la base de notre droit administratif.

En ce qui concerne le Maine, et les deux départemens dont il forma la majeure partie, celui de la Sarthe et celui de la Mayenne, dont les chefs-lieux furent les villes du Mans et de Laval, voici comment leur organisation eut lieu. Le département de la Sarthe, forme de ce qu’on appelait le Haut-Maine, et d’une petite portion du Haut-Anjou, se composa de 424 communes, partagées en 53 cantons et 9 districts ; celui de la Mayenne, fut divisé en 7 districts seulement. Ce dernier département, composé presque en entier de la partie ouest et nord- ouest de la province, connue plus particulièrement sous le nom de Bas-Maine, s’enrichit aussi des villes de Château-Gontier et Craon, dans le Haut-Anjou, et du territoire environnant ; les acquisitions du département de la Sarthe en Anjou, consistèrent dans la petite ville du Lude et dans celle de la Flèche, avec une partie de l’élection de cette dernière. ïl est remarquable que par l’acquisition de la ville de la Flèche, ce département se trouvait réunir presque tout le duché de Beaumont, à l’exception du marquisat de Sainte-Suzanne, et, conséquemment, presque tout l’ancien patrimoine de Henri IV, du côté de son aïeule Françoise d’Alençon.

Le Maine, cependant, et particulièrement le diocèse du Mans, ne se trouvèrent pas entrer totalement dans les deux départemens de la Sarthe et de la Mayenne. La majeure partie des doyennés de la Bochemabile et du Passais normand, situés au nord et au nord-ouest du diocèse et de la province, ainsi que quelques autres paroisses situées à l’est, furent compris dans le département de l’Orne ; la totalité de celles du doyenné de Troo, et plus de la moitié de celui de la Chartre, sur le Loir, formant la majeure partie du Bas-Vendômois, au sud-est du diocèse, entrèrent dans la composition du département de Loir-et-Cher. Depuis cette organisation, plusieurs paroisses des environs d’Alençon, au sud-ouest de cette ville, qui firent partie alors du département de la Sarthe, ont été restituées à celui de l’Orne[1] ; et, dans l’intérêt des administrés, on a été trop parcimonieux dans ces restitutions, car, au lieu de quatre communes, on aurait dû lui donner le territoire de trois ou quatre cantons.

La constitution civile du clergé, décrétée le 12 juillet de la même année, apporta de grands changemens dans l’organisation ecclésiastique, surtout pour le diocèse du Mans, dont le territoire très-étendu comprenait sept cents paroisses. D’après ce décret, un siège épiscopal étant érigé par chaque département, celui de la Sarthe et celui de la Mayenne eurent chacun leur évêque, et les paroisses de l’ancien évêché du Mans, devenues communes des départemens de Loir-et-Cher et de l’Orne, se trouvèrent appartenir, comme elles appartiennent encore, aux évêchés de Blois et de Séez. Le concordat de 1801, tout en supprimant l’évêché de Laval ou de la Mayenne, et le réunissant à celui du Mans, n’a rien innové du reste, ni relativement à ces paroisses, ni pour celles de l’ancien évêché d’Angers, qui, devenues communes du département de la Sarthe, ont continué, depuis ce concordat, à faire partie de l’évêché du Mans.

La constitution civile du clergé, qui rétablissait, avec plus d’ordre, le mode d’élection en usage dans la primitive église, trouva une grande opposition de la part de ce corps. Cette opposition, fut ostensiblement motivée par des scrupules de conscience, pour la prestation d’un serment de fidélité et d’obéissance au nouvel ordre de choses, que ne rencontrèrent pas les dispositions des décrets organiques du concordat de 1801, bien autrement exigeantes, en matière de fidélité et de dévouement au gouvernement consulaire et impérial : mais, il le faut dire, ces dernières avaient en leur faveur la sanction du souverain pontife, ce qui manquait à la constitution civile du clergé. Le décret du 12 juillet supprimait le casuel des ecclésiastiques, et les assujétissait à recevoir un traitement fixe du trésor royal. L’assemblée nationale, en mettant les biens du clergé entre les mains de la nation, avait déclaré ses dettes nationales, par décret du 16 avril. Le montant de la dotation du clergé, comprenant les pensions religieuses, et le traitement de quarante-huit mille ministres du culte en exercice, fut estimé s’élever à soixante-dix-sept millions. Les revenus ecclésiastiques étant évalués à trois cents millions, c’était plus de deux cent vingt millions dont le trésor public profitait. Cette malheureuse constitution civile du clergé, qu’il n’appartient qu’à la bonne foi et à la raison de juger, fut un acte bien funeste pour le nouvel ordre de choses, et pour la tranquillité intérieure de la France : ses fâcheux effets furent plus particulièrement sensibles dans les deux départemens de l’ancien Maine, ainsi qu’on le verra bientôt. Dès ce moment, de tristes dissensions se manifestèrent entre les citoyens, et jusque dans l’intérieur des familles, qu’elles divisèrent ; en vain les lettres pastorales des nouveaux évêques constitutionnels et de quelques autres ecclésiastiques, cherchèrent-elles à rassurer les esprits sur le serment, sur la doctrine du nouveau clergé, et sur le peu de fondement des brefs apostoliques ; les réponses des dissidens, qui se retranchaient sur leur attachement au saint-siége, et, par conséquent, à l’unité de l’église, entraînèrent la plupart des plus ardens fidèles : la polémique, loin d’adoucir la querelle, ne fit, comme il est d’ordinaire, que l’envenimer ; les vertus du pasteur que donnèrent à la Sarthe les électeurs de ce département, ne purent réunir à lui les esprits : on estimait l’homme, on le respectait comme tel et comme ecclésiastique ; mais on refusait de le reconnaître pour prélat.

Cependant, l’interdiction des vœux monastiques décrétée le 13 février 1790, sur la proposition de l’abbé de Montesquiou ; la suppression des parlemens, et l’abolition de la noblesse, prononcée pendant la séance du 19 juin suivant, séance dans laquelle « le vicomte Mathieu de Montmorency signala de nouveau son zèle pour l’égalité, en provoquant l’anéantissement général de ces distinctions anti-sociales (c’est son expression), et son désir de voir effacer du code constitutionnel, toute institution de noblesse, et la vaine ostentation des livrées, » jetèrent une perturbation extrême dans les esprits. À cette belle ardeur patriotique, à cette expression véritablement fraternelle, qui avait donné tant d’éclat aux fêtes fédératives de 1790, à celle de Paris surtout, où les gardes nationaux de la Sarthe parurent ayant à leur tête les Valence, les Girardin, les la Wœsline, les Praslin, succédèrent les divisions et les haines, causées par les mesures même qui avaient paru propres à les faire cesser, la suppression de tous les privilèges, de toutes les causes d’inégalité. Bientôt l’émigration commence : l’esprit s’en propage dans la Sarthe comme dans le reste du royaume. Ce n’est point d’un exil, d’une expatriation, dont il s’agit ; mais d’une courte absence, d’une expédition, d’une campagne de quelques mois, à la suite de laquelle, après avoir réduit et châtié une poignée de mutins et de factieux, on rentrera chez soi joyeusement, jouir des bienfaits et des privilèges de l’ancien ordre de choses, qu’on aura rétabli. De ces séduisantes illusions, résulte un grand enthousiasme : l’arme de la plaisanterie et du ridicule est celle qu’on emploie pour déterminer au départ, les gentilshommes qui n’y paraissent pas disposés : on envoie des quenouilles à ces femmelettes ; et ce cruel sarcasme détermine à l’émigration, quiconque n’a pas assez de force de caractère pour le mépriser.

La guerre, devenue imminente, est déclarée au roi de Bohême et de Hongrie (alors empereur d’Allemagne), le 20 avril 1792. De toutes parts une belliqueuse jeunesse se présente pour voler à la défense des frontières menacées, et bientôt envahies ; notre département a promptement réuni et organisé ce valeureux premier bataillon de la sarthe, dont le nom fait toujours en honneur dans l’armée française, et d’où sortirent les Boutrouë, les Rousseau, les Coutard, et tant d’autres officiers, dont aucun n’atteignit le faîte des honneurs militaires, mais qui n’en eurent que plus de mérite, peut-être, si c’est à l’indépendance de leur caractère, à leur éloignement pour les sollicitations et l’intrigue, qu’ils durent la modeste situation dans laquelle ils servirent leur pays. Il est certain, du moins, que c’est à cette cause que le plus grand nombre d’entre eux durent leur peu d’avancement.

L’assemblée constituante achève la tâche qu’elle s’est imposée en présentant, le 3 septembre, à la France et au monarque, la constitution dite de 1791, que Louis XVI accepta le 13 du même mois. L’assemblée législative qui lui succède, instituée par l’acte constitutionnel, ouvre ses séances le 1.er octobre suivant : elle se compose de sept cent quarante cinq membres, dont dix sont fournis par le département de la Sarthe qui, en sus de ce nombre de députés, y nomme quatre suppléans[2].

Je ne suivrai point, je le répète, les phases révolutionnaires, qui ne sont pas de mon objet : je ne dois m’occuper, relativement à cette dernière époque, que de ce qui est particulièrement relatif au pays.

L’irritation des esprits, la fermentation des têtes, toujours croissante, amènent l’insurrection du 20 juin 1792, puis la chute de la monarchie, le 10 août suivant. La royauté a cessé d’exister ce jour même, au moment où Louis XVI fut violemment précipité du trône ; et la république proclamée le 1.er septembre, exista de fait, mais sous une forme tout à fait anarchique, à l’instant où cet infortuné prince partit des Tuileries, pour se rendre à la salle du Manège, dans cette tribune du Logographe, où commença son emprisonnement.

Nous devons noter dans cette courte période de deux années, outre les principaux événemens révolutionnaires que nous avons indiqués, quelques autres circonstances remarquables, quelques institutions utiles, qui nous sont restées, plus ou moins pures, ou plus ou moins mutilées par le temps, par le choc des opinions et des partis, et surtout par le despotisme impérial. Telles furent, dans la première classe, la création du papier-monnaie, appelé assignats, et la confiscation des biens des émigrés ; telle sont, dans la seconde, l’établissement des justices de paix, dont l’heureuse pensée est une de celles que le consulat et l’empire ont le plus malheureusement dénaturée ; l’invention d’un nouveau mode de supplice pour les condamnés à mort ; la suppression des jurandes et maîtrises et l’établissement des patentes ; le décret du 26 mars 1791, qui pose les bases de l’uniformité des poids et mesures ; les lois sur les passeports, sur la propriété des découvertes et inventions utiles et sur les brevets d’invention, sur la propriété littéraire et théâtrale ; la loi sur le mode de constater l’état civil des citoyens, celle, enfin, sur le divorce, abrogée depuis la restauration. Ajoutons, en parlant des assignats, que, non-seulement l’état, mais les communes, même de simples citoyens, en émirent, de petite valeur, sous le nom de billets de confiance, pour satisfaire à leurs besoins et tenir lieu de monnaie : une loi du 30 mai 1792, interdit à ces derniers une faculté d’où résultait de nombreux abus.

  1. On a imprimé dans un ouvrage récent, que ces paroisses ou communes, au nombre de quatre, n’avaient point appartenu au département de la Sarthe ; nous prouvons le contraire, dans une note qui accompagne les tableaux statistiques que nous donnons plus loin.
  2. Voir l’introduction à la biographie, page cxxv.