Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/CHARTREUSE DU PARC D'ORQUES

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CHARTREUSE DU PARC D’ORQUES, Cartusionarum ecclesia, Parco de Orchis ; monastère de l’ordre des Chartreux, situé dans la paroisse de S. —Denis-d’Orques, et dans la charnie, surnommée la Thébaïde du Maine, comme nous l’avons dit à son article. En ia35, Marguerite, comtesse de Fif, de la maison des vicomtes de Beaumont, obtint de son oncle Raoul III, vicomte de Beaumont, la donation de son parc d’Orques, à l’effet d’y établir un couvent de Chartreux, qu’elle y fonda l’année suivante, au mois de juin. Cette donation, faite du consentement de Richard et de Guillaume, fils de Raoul, fut ratifiée par lettres-patentes du roi S. Louis, données à Evrcux, au mois de juin ( Ménage dit au mois d’août) 1236, avec exemption de toutes charges publiques en faveur des religieux. En 1242, Richard, fils de Raoul, aussi vicomte de Beaumont, légua à cette Chartreuse 3 livres de rente à prendre sur la baronnie de S. te —Suzanne ; et en 12^3, Mathilde sa femme, la dota de 20 autres livres de rente pour la fondation de deux moines. Cet établissement religieux, l’un des plus importans de la province, fut successivement enrichi de dons nombreux. De i23£ à 1255, l’évêque du Mans Geoffroi de Loudun, qui lui portait un vif intérêt, étant venu à hériter, par la mort de ses frères, de la baronnie de Trêves en Anjou, la vendit et consacra une grande partie de son produit à faire bâtir un cloître et une église qu’il dédia à la Vierge, à S. Jean-Baptiste et à Saint Denis. Il lui donna en outre 20 livres à prendre sur la cure de Marolles dans le Saosnois ; toutes les dixmes qu’il percevait dans la paroisse de Meslai ( entre Sablé et Laval), qu’il affecta particulièrement pour l’entretien des habits des moines ; et celles de la paroisse de Montabon, près S.-Calais. A sa sollicitation, l’abbé et les religieux de N.-D. d’Evron, donnèrent à ceux du Parc, par emphytéose perpétuelle, le prieuré de S.-Denis-d’Orques, avec la moyenne et basse justice qui en dépendait, se réservant seulement la suzeraineté et le patronage de l’église, d’où il suivait que la seigneurie de la paroisse de S.-Denis appartenait aux Chartreux.

En i25o et 1252, Raoul de Thorigné ( en Charnie), et Hervé de Chaource, firent aussi des dons importans à la Chartreuse du Parc. De 12 55 à 1261, l’évêque du Mans Guillaume Roland, lui donna les dîmes et la métairie de l’Estraingaudière, en la paroisse de Rouessé-Vassé. Vers l’an 1 263, Louis de Brienne, troisième fds de Jean, roi de Jérusalem, qui devint vicomte de Beaumont par son mariage avec Agnès, unique héritière de cette maison, augmenta les fondations de la Chartreuse, de 100 livres de rente ( 17 à 1, 800 francs actuels), à prendre sur ses baronnies de la Flèche, de Fresnai, de S. te —Suzanne et de Château-Gontier. Enfin, Gui, sire de Laval et de Vitré, fit aussi des dons considérables à ce monastère.

L’auteur des Nouvelles recherches sur la France (1766, t. ii), s’est trompé en disant que l’évêque Geoffroi de Loudun « mourut entre les bras des moines de cette Chartreuse, dans » la pratique de leurs exercices austères. » Comme nous le disons dans notre chronologie des évêques du mans, ce prélat mourut à Anagnia en Italie, en 1255, et son corps, apporté en France, fut enterré dans l’église de la Chartreuse du Parc, où il fit, dit-on, plusieurs miracles, et où l’on venait l’invoquer contre la fièvre, qu’il avait la vertu de guérir. On voyait son tombeau dans celte église et celui de Louis de Brïcnnc, vicomte de Beaumont, qui y avait choisi sa sépulture. Raoul III, le premier bienfaiteur de la Chartreuse, était inhume dans l’église de l’abbaye d’Etival-en-Charnie ( v. ce mot), qu’il avait également fondée.

Puisqu’il ne reste plus ou presque plus rien de ce monastère remarquable, cherchons, dans les anciens historiens, une description qui puisse en donner une idée au lecteur.

« La Chartreuse du Parc, située à une lieue 1/2 au S. E. de la petite ville de S. te —Suzanne, est peut-être l’endroit le plus propre pour un établissement de solitaires. La vallée que ce monastère occupe, a pour perspective à l’E., une longue chaîne de collines qui s’élèvent en rochers. Leur vue inspire je ne sais quelle horreur religieuse, dont la description qu’en font les poètes, ne flattte tant l’imagination, que parce qu’on l’a sentie soi-même plusieurs fois. Au nord et à l’ouest, elle est environnée d’une vaste forêt en haute futaie, nommée forêt de Charnie, Sylva Carneta.

« Horrentique atrum nemus imminet umbrâ. »

Au sud, ce sont plusieurs étangs, formés par des sources dont on a su ménager ainsi les eaux, pour les peupler de toutes sortes d’excellens poissons, la seule nourriture de ces religieux. Mais ce n’est pas l’unique avantage qu’ils retirent des ruisseaux abondans de ce vallon. Leur maison qui contient un terrain très-étendu, est entourée de murailles fort hautes, flanquées de tours et tourelles de distance en distance, et défendues par des fossés larges et profonds, où vient se décharger le surplus de ces grandes pièces d’eau. Des ponts-levis ferment la principale entrée de la maison et séparent les jardins d’avec les lieux réguliers. Enfin, Textérieur de ce couvent annonee une maison forte et en état de défense, tandis qu’au dedans tout y respire le silence, le recueillement et la piété. L’église qui est voûtée, est extrêmement propre » Le maître-autel est fort beau. Le chœur et ses stalles sont un chef-d’œuvre de menuiserie, presque comparable à celui de la cathédrale de Paris. Le cloître extrêmement long, renferme une quarantaine de cellules accompagnées de toutes les commodités imaginables. Chaque cellule a son petit jardin, son jet d’eau au milieu, et, à côté du laboratoire, une fontaine qui coule sans cesse dans un bassin de pierre, préparé au-dessous pour les besoins domestiques. C’est dans ces agréables réduits, à l’aspect de cette forêt charmante, de ces rochers antiques et voisins des cieux, et dans un silence qui n’est interrompu que par le murmure des eaux, qu’on éprouve volontiers la douce sensation décrite dans la 2. c épode d’Horace. Cette Chartreuse, ordinairement peuplée de 2 5 moines, tant prêtres que frères convers, passe dans le pays pour jouir de 5o mille livres de rente au moins. » Nouvelles recherches sur la France, t. II, p. £36 et suiv.

L’auteur de cette description a oublié le magnifique escalier de cette belle maison, que nous avons vu faire l’admiration des connaisseurs, lorsqu’en 1793 nous y étions caserne : elle existait encore entière alors, et nous aurions pu dire en ne retrouvant, il y a deux mois, que de bien faibles vestiges de ce vaste monument :

Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus !

En i562, après l’invasion du Mans par les Calvinistes, « des temples de la ville (dit le narrateur de cet événement), ils coururent es villages circonvoisins, et adjoutans mal sur mal, firent quelques pillages (entr’autres au couvent des Chartreux), ce qui occasionna les paysans de leur courir sus… » La Chartreuse du Parc, dont la grande route du Mans à Laval longe les murs, ayant été vendue, ses bâtimens ont été presqu’entièrement détruits : le peu qui en reste est occupé par une faïencerie et par une poterie, l’une et l’autre à M. Auguy, notaire au Mans. Une très-jolie et élégante maison bourgeoise, que fait consruire le propriétaire, s’élève actuellement au milieu de l’enclos : ce sera une habitation charmante, quand le terrain où elle se trouve, nu et agreste en ce moment, sera embelli et vivifié par les jardins et les bosquets qu’on doit incessamment y planter. (Voir l’article suivant, ceux parc d’orques et saint-denis-d’orques ; voir aussi l’article charnie qui précède, et la carte qui en dépend).