Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/V/VII

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Julien Remy Pesche
(Tome 1p. CDXX-CDXXVII).

§. VII. Gouvernement Royal, seconde restauration.

1815. — 1830. Ce ne fut qu’après la seconde abdication de Napoléon, et le retour du roi dans sa capitale, que le corps royaliste sous les ordres du comte d’Ambrugeac, fit son entrée au Mans. Nous mettons sous les yeux du lecteur, la relation officielle de cet événement, publiée dans le Journal politique de la Sarthe.

« Le corps armé qui, sous les ordres de M. le maréchal de camp comte d’Ambrugeac, est entré hier, 15 juillet, dans la ville du Mans, deux jours après la solennelle proclamation du retour du Roi[1], se composait d’environ sept cents hommes, dont il n’y a encore qu’un certain nombre en uniforme. M. le maréchal de camp Tranquille est commandant en second de ces troupes. « M. Ogier, l’un des adjoints de la mairie, avait été délégué, tant par M. le préfet que par M. de Tascher, maire du Mans, pour aller recevoir ce corps en avant de la ville, avee une compagnie de la garde nationale et la musique. L’entrée s’est faite an bruit des plus vifs applaudissemens et avec le plus grand ordre. Peu après, M. d’Ambrugeac, à la tête de ses officiers, s’est rendu chez M. le préfet pour lui faire visite, et s’entendre avec lui sur les moyens de loger et de nourrir sa troupe, dont partie a été distribuée chez le habitans, et l’autre placée à la caserne de la Mission ; M. le préfet leur a rendu cette visite dans l’après-midi ; M. le comte d’Ambrugeac et ses officiers ont dîné à la préfecture.

« La ville du Mans, dont presque toutes les fenêtres étaient ornées de drapeaux blancs, parsemés de fleurs de lis et d’inscriptions en l’honneur des Bourbons, a retenti toute la journée des cris de Vive le Roi ! Elle semblait célébrer une fête de famille, après avoir recouvré un père vivement regretté et impatiemment attendu. L’enthousiasme qui éclatait de toutes parts n’excluait point le bon ordre et les témoignages d’un rapprochement sincère et d’une union fraternelle.

« M. le comte d’Ambrugeac, avant d’entrer au Mans, avait sévèrement défendu à ses subordonnés tout ce qui pouvait rappeler le moindre souvenir de partis qui ne doivent plus exister, et de ressentimens qu’il faut savoir sacrifier à la cause du Roi et au besoin de former de tous les français, un faisceau indissoluble autour du trône des Bourbons[2]. La ville a été, le soir, généralement illuminée ; tous les habitans parcouraient les rues et les places publiques, pour jouir de ce beau spectacle.

« Ce matin 16, un Te Deum a été chanté à la cathédrale, et y avait attiré une affluence considérable : toutes les autorités y avaient été invitées selon le cérémonial établi. La messe, où officiait M.gr l’évêque, et les prières pour le roi, ont été chantées en grande musique. M. le préfet Lagarde y assistait, ayant à sa droite M. le comte d’Ambrugeac, et à sa gauche, M. de Mecflet, sous-préfet de l’arrondissement du Mans. M. le général Tranquille était placé à côté de M. d’Ambrugeac.

« La musique de la garde nationale a fait entendre, dans l’église même, plusieurs airs chers à tous les cœurs. Les cris de Vive le Roi ! ont eu peine à être contenus, malgré le respectueux silence que commandait la sainteté du lieu ; mais, en sortant de l’église avec M. d’Ambrugeac, M. le préfet, comme pour dédommager les assistans de la réserve momentanée qu’ils avaient du s’imposer, a lui-même donné le signal du cri de Vive le Roi ! qui s’est aussitôt répété et prolongé au loin, avec une sorte d’enchantement électrique. Cette imposante cérémonie a dignement clos l’administration de M. Lagarde, qui a reçu ce soir la communication officielle de l’ordonnance royale qui rend à M. le chevalier Jules Pasquier, la préfecture de la Sarlhe. »

Ajoutons, comme complément de cette relation, ce que nous répétons à la Biographie, aux articles d’Ambrugeac et Tranquille, que ces deux officiers généraux reçurent du corps municipal du Mans, chacun une épée qui leur fut décernée, comme marque de reconnaissance, au nom de la ville du Mans et du département de la Sarthe.

A peine ce département venait-il d’être délivré des inquiétudes causées par la guerre civile, qui s’était ranimée un instant dans son sein, qu’au fléau des divisions intestines, des dissensions entre les citoyens, que le retour et la nouvelle de la chute de Napoléon avaient fait naître, celui de l’occupation étrangère vint encore l’affliger. Les troupes des puissances alliées ayant déterminé d’occuper toute la rive droite de la Loire jusqu’à la mer, les corps d’armées prussiens, dont une partie resta à Paris, s’étendirent en Normandie et en Bretagne, dans tous les départemens situés entre la Loire et la Seine ; le troisième corps, sous les ordres du lieutenant-général de Thielmann, arriva au Mans dans les premiers jours d’août. La dixième brigade de ce corps, forte de quatre mille hommes, y fit son entrée le 3 du même mois : elle fut reçue avec solennité, par des détachemens de la garde nationale et de l’armée royaliste du Général d’Ambrugeac qui, précédés de la musique, allèrent à sa rencontre, ainsi qu’ils l’avaient fait, quelques jours auparavant lors de l’arrivée du premier régiment de cette nation.

De ce moment commencèrent le système réactionnaire et les persécutions qui durèrent pendant plusieurs années dans ce département. Un ordre du jour, de l’intendant de S. M. le roi de Prusse, du 5 août, ordonna, en vertu d’ordres supérieurs, « à tous les fonctionnaires des administrations civiles et de l’ordre judiciaire, de s’engager, par écrit, sous la foi du serment, de ne rien entreprendre contre les intérêts des hautes puissances alliées. » Tous les militaires et employés, ayant appartenu à l’armée de Bonaparte, furent mis dans un état de surveillance tel qu’ils durent justifier de leurs moyens de subsistance. Enfins, quelques citoyens de la ville du Mans, présentés comme suspects et dangereux au général prussien, furent enlevés et conduits militairement en Prusse, par mesure de sûreté. Le conventionnel R. Levasseur, qui était de ce nombre, ayant obtenu, grâce aux actives démarches de ses amis, le retour dans sa patrie, ne mit le pied en France, que pour y apprendre qu’il était frappé par la loi d’amnistie du 12 janvier 1816, et fut obligé de fuir de nouveau la France, pour se retirer dans le royaume des Pays-Bas.

« Les instructions des préfets portaient de défendre avec courage leurs administrés, et de ne céder qu’aux baïonnettes ; mais ces instructions semblaient n’avoir pas prévu l’irritabilité qui naîtrait des résistances : elle ne pouvait manquer de répandre de l’aigreur, sur les discussions relatives au traité définitif. Plusieurs préfets se firent enlever par les troupes étrangères, montrant sans doute un dévouement généreux, mais oubliant que leurs administrés restaient sans agens du roi pour les défendre, et qu’ainsi leur zèle trahissait leur devoir. »

Le préfet de la Sarthe, M. Jules Pasquier, fut un de ceux qui subirent cette rigueur de la part des troupes étrangères. Ce magistrat fut arrêté et conduit à Magdebourg en Prusse, où il resta pendant plusieurs mois, pour avoir refusé de satisfaire à toutes les exïgeances des chefs prussiens. Nous sommes loin de juger la conduite de ce magistrat, aussi rigoureusement que le fait M. Alphonse de Beauchamp : nous trouvons, au contraire, son dévouement d’autant plus louable, qu’il est plus rare, de la part des administrateurs, de défendre ainsi l’intérêt des administrés.

L’évacuation des troupes étrangères eut lieu le 22 mars, après sept semaines d’occupation. La justice nous fait un devoir de reconnaître, que la conduite de ces troupes ne fut point aussi oppressive, aussi pénible et funeste aux habitans qu’il était naturel de le redouter ; et que ce ne furent pas toujours ceux qui étaient désignés à leurs vengeances, qui en éprouvèrent les effets. Une anecdote, peu connue sans doute, mérite d’être consignée ici. Le troisième corps prussien, se trouvait sur les bords de la Loire, lorsqu’il reçut l’ordre de venir prendre ses cantonnemens dans la Sarthe. Pour y parvenir, il prit directement à l’ouest, et suivant la route d’Orléans au Mans, gagna par Connerré la route royale de Paris à Nantes par le Mans. Cette direction, qui le forçait à traîner le matériel d’une armée le long de chemins impraticables pendant neuf mois de l’année, donna à quelques patriotes de l’Orléanais et du Dunois, l’idée d’une confédération armée qui, s’étendant de Châteaudun à la Ferté-Bernard, eût harcelé l’ennemi tout le long de sa route, et eût pu l’exterminer lorsqu’il eût été engagé au milieu des deux forêts de Montmirail et de Vibraye. Les émissaires des auteurs de ce projet, parcoururent toute la ligne indiquée, pour tâcher de réaliser ce projet téméraire, mais non pas inexécutable : les dangers qu’il présentait dans ses suites, plus que dans son exécution, le firent heureusement repousser.

Les cours prévôtales, établies par la loi du 20 décembre 1815, eurent dans la Sarthe, une occasion éclatante de signaler leur juridiction et de justifier l’horreur et l’effroi qu’elles inspiraient. Le dernier jour de janvier 1815, une bande de dix malheureux paysans, dont un ancien militaire nommé Pierre Leroy, partent de chez Martin Leroy père, meunier au moulin de Cherré, dans la commune d’Aubigné, près le Lude, armés de fusils et de sabres, se portent dans différentes fermes et maisons des communes voisines, excitent à la révolte contre l’autorité royale, les individus chez lesquels ils se présentent, et prenant le titre de Vautours de Bonaparte, annoncent, pour dans trois mois, le retour de l’Empereur. Sans consistance, sans moyens d’exécution moraux et physiques, cette méprisable levée de boucliers ne pouvait ni séduire, ni entraîner personne ; aussi ces malheureux furent-ils bientôt désarmés et soumis. Livrés à la cour prévôtale, celle-ci se transporta dans la petite ville du Lude, pour y juger les prévenus. Un grand appareil fut donné à cette session ; plusieurs compagnies de la garde nationale du Mans se transportèrent dans cette ville avec de l’artillerie ; et le 27 mai 1816, un jugement de cette cour condamna sept de ces malheureux, dont Leroy fils, à la peine de mort ; Leroy père, à vingt ans de travaux forcés ; un autre à dix années ; six autres à cinq et à deux années d’emprisonnement. Ce jugement fut exécuté, quant aux premiers, sur la place publique, du Lude. Chez un peuple de philosophes, s’il existait de tels peuples, une pareille extravagance, eût été traitée avec les bains et la saignée du pied : dans les temps de révolution, on croit toujours à la nécessité des grands exemples, et le sang des Vautours fut offert en holocauste aux passions et aux exigeances du moment.

Les événemens qui suivent, pendant une période de quatorze années, depuis 1816 jusqu’à 1830, encore présens à tous les esprits, ne sont que d’une importance secondaire, ou n’offrent rien de bien particulier au département. Comme en 1812, les embarras causés par la pénurie des subsistances en 1816 et 1817, en 1829 et 1830, excitèrent un élan général de bienfaisance dans les classes aisées, et le malheur fut secouru : notre pays fut moins que beaucoup d’autres, livré aux troubles occasionnés par cette fâcheuse situation.

Les écrits politiques de R. Bazin, en 1817, les persécutions qu’elles lui attirèrent de la part de l’administration locale, les emprisonnemens illégaux et les condamnations sévères qui en furent la suite, sa mort tragique, enfin, qui causèrent alors une vive agitation dans les esprits, ne se renouvelleraient pas aujourd’hui, que l’esprit public plus formé isole l’administration à tel point, quand elle est injuste et tracassière, que le bon sens des citoyens suffit pour en faire justice dans ce département. Enfin, le jeu des passions et des partis, en matière d’élections, qui donnèrent pour députés à ce département, en 1818, le général Lafayette, le publiciste Benjamin Constant ; en 1827, le célèbre avocat Dupin aîné et M. Camille Périer ; les voyages de ces quatre députés dans la Sarthe, les ovations par lesquelles ils furent accueillis ; les épines dont l’administration chercha à embarrasser la marche des deux premiers ; sont des événemens qui eurent de l’importance, à l’époque où ils arrivèrent, mais qui se fondent dans la masse des faits généraux, aussi bien que les emprisonnemens, les mises en surveillances, les tracasseries de toutes sortes, dont furent victimes un assez grand nombre de citoyens, de 1815 à 1820.

Puisque nous avons fait connaître l’origine et l’organisation actuelle de la Société Royale d’Agriculture, Sciences et Arts, nous devons dire un mot aussi de celle de Médecine établie au Mans depuis quelque temps. Déjà une semblable société s’y était formée, il y a un certain nombre d’années, mais n’avait eu qu’une existence éphémère. Celle actuelle, fondée le 7 avril 1827, qui a reçu l’autorisation du Ministre de l’Intérieur le 19 mars 1828, sous le titre de société de médecine du département de la sarthe, se compose de 16 membres titulaires résidans, dont 12 docteurs-médecins et en chirurgie et 4 pharmaciens exerçant au Mans, et d’un nombre indéterminé d’associés et de correspondans. Elle s’occupe de tout ce qui se rapporte à l’art de guérir et des sciences accessoires à cet art.

  1. On voit que cette relation est bien peu d’accord avec le récit de M. Alphonse de Beauchamp qui précède ; que le corps royaliste sous les ordres de M. d’Ambrugeac, exécuta la convention qu’il avait signée, et n’entra au Mans qu’après que l’autorité royale y eut été établie, sans obstacle et de plein gré, par le préfet Lagarde aussitôt qu’il en eut reçu l’ordre. Sa lettre du 11 juillet, aux administrateurs ses subordonnés, publiée dans le Journal de la Sarthe du 12, prouve que ce préfet ne cessa ses fonctions et ne remit le pouvoir qui lui avait délégué, que dans les délais et avec toutes les formalités d’usage ; sans que le corps royaliste ait influé en rien dans la marche des choses à cet égard.
  2. M. d’Ambrugeac fut bien mal obéi, si ce n’est au Mans, du moins dans quelques autres localités, où ses troupes furent reparties par cantonnemens, à la suite de cette journée, dans le département. (Voir la note anté-précédente, page ccccxx.)