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Dictionnaire universel de Furetière/1re éd., 1684/Epitre

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AU ROY


SIRE,


Le plus humble de vus Sujets se prosterne aux pieds de VOSTRE MAJESTE’, & luy demande justice & protection pour ce petit ouvrage qu'il luy présente. C'est la priere ordinaire que font les Autheurs aux grans Princes dans leurs dedicaces. Mais elle n'a jamais esté faite en une plus pressante necessité. Ce n'est icy qu'un leger essay d'un prodigieux travail qui contient plusieurs gros volumes. I'ay entrepris une Encyclopedie de la langue Françoise pour la faire connoîstre aux Etrangers, et la transmettre dans toute son étenduë à la posterité. Comme son abondance consiste en l'explication des Arts & des Sciences ; c'est à quoy je me suis particulierement attaché, & je les ay compris en un même corps, ce qui n'a point encore été fait en pas une langue. On peut dire que jamais ce travail ne pouvoit venir plus à propos, puisque jamais les Arts & les Sciences n'ont été portées à un plus haut point de perfection, que sous le Regne heureux de VOSTRE MAIESTE'. Ses Conquestes par terre & par mer ont rendu si celebres l'Art de la guerre & de la marine. La magnificence de ses bâtiments a rassemblé tout ce qu'il y a de plus exquis dans les beaux Arts. Ses liberalitez ont établi des Academieq florissantes pour l'avancement des Sciences. Il est donc necessaire de mettre au jour un Ouvrage qui en puisse expliquer les termes, & en publier les merveilles. Tant de belles Ordonnances qu'a fait VOSTRE MAIESTE' pour le reglement de la Iustice, des Finances, de la Marine, de la Guerre, desEaux & Forests & du commerce, contiennent des termes inconnus à plusieurs de vos Sujets & elles pourraient avoir quelque jour le sort des Loix des 12. Tables qui n'estoient plus entendus à Rome du temps de Iules Cesar. Cependant, SIRE, comme l'envie traverse tous les bons desseins, l'interest particulier d'un Libraire, qui a imprimé une petite partie du Dictionaire de l'Académie Françoise, s'oppose à l'impression de celuy-cy, quoy qu’il soit entieremeht different. Il a gagné quelques-uns de cet illustre Corps que je respecte. Ie sçay qu'il a l'honneur d'estre sous vôtre protection ; Mais je sçay aussi que VOSTRE MAIESTE' ne donne protection à personne que dans la justice & en connoissance de cause. Ie sçay qu'elle a prononcé Elle-même contre ses propres interests quand il s'agissoit de plusieurs millions, & que cette action héroïque qui encherit sur celle des Cæsars, est le sujet du prix de Poësie qui doit estre donné cette année. Ie n'ay point besoin de combattre cette Compagnie ; ? mais seulement quelques-uns qui veulent prendre avantage d'une clause extraordinaire qu'on a glissée dans un Privilege surpris de Mr d'Aligre sur la fin de ses iours. Cette clause porte des deffenses à toutes personnes de faire aucun Dictionaire François pendant vingt ans, à compter du iour que celuy de l'Academie sera imprimé. Elle en a fait à peine la moitié depuis cinquante ans, c'est à dire que cette deffence s'étendra à une grande partie du Siecle futur. D'ailleurs je suis tres-certain que iamais l'intention de VOSTRE MAIESTE n'a été d'accorder une grace de cette nature, & qu'on ne luy en a iamais fait de remerciemens : ce qui montre que ce n'est pas le Corps entier de l'Academie qui l'a demandée, puisqu'elle a fait des députations nombreuses à des personnes fort subalternes pour les remercier de moindres faveurs. On connoit la protection generale que VOSTRE MAIESTE donne aux Sçavants, & on ne pourra pas croire qu'elle ait voulu ôter à la litterature cette nonneste liberté dont elle a joüy dans tous les Siecles & chez toutes les Nations, ni donner une exclusion, qui s'accorde seulement pour des interests pecuniaires de Manufactures. L'accroissement des Lettres n'est venu que par l'émulation & la critique des Autheurs, dont le different genre ayant traité les mêmes suiets en differentes manieres, les ont enfin épuisez. Cela doit avoir lieu particulierement en matiere de Dictionaires, parce qu'ils ne peuvent iamais contenir assez de mots pour expliquer toutes les choses dont l' étenduë est infinie, de sorte que le moindre peut seruir de supplément au meilleur. Enfin, SIRE, toutes les Muses auront grande obligation à Votre Majeste’ du champ libre qu’elle leur laissera pour s’exercer. Elles reconnoîtront cette faveur par une infinité de Poëmes & de Panegiriques qu’elles feront à sa gloire ; moy même je m’efforceray de reveiller cette ardeur avec laquelle i’ay chanté autrefois vos victoires de la Franche-Comté, & quoy qu’auec un genie que les ans ont affoibli, ie publieray chez tous les Peuples où parviendra nôtre Langue la grandeur de vos exploits, de vos bontez, & de vôtre iustice, comme estant,

SIRE,

De Vôtre Majeste’,
Le trés-humble, le tres-affectionné & le tres-
obeïssant serviteur & sujet, FURETIERE.