Dictionnaire universel de Furetière/1re éd., 1684/Tome 1

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ESSAIS
D’UN
DICTIONAIRE
UNIVERSEL,
Contenant généralement tous les mots
François tant vieux que modernes, & les termes de
toutes les Sciences & des Arts,
sçavoir.

La Philosophie, Logique & Phiſique ;

la Medecine ou Anatomie ; Pathologie ; Terapeutique, Chirurgie, Pharmacopée, Chymie, Botanique ; ou l’Histoire naturelle des Plantes, & celle des Animaux, Minéraux, Métaux & Pierreries, & les noms des Drogues artificielles.

La jurisprudence Civile Canonique, Feodale & Municipale & surtout celle des Ordonnances ;

Les Mathematiques, la Geometrie, l’Arithmetique, & l’Algebre ;

La Trigonometrie, Geodesie ; ou l’Arpentage, les Sections coniques ; L’Astronomie, l’Astrologie, la Gnomonique, la Geographie ;

La Musique, tant en theorie qu’en pratique, les Instrumens à vent & à cordes ;

L’Optique, Catoptrique, Dioptrique, & Perspective ;

L’Architecture civile & militaire, le Pyrotechnie, Tactique, & Statique ;

Les Arts, la Rhetorique, la Poësie la Grammaire, la Peinture, Sculpture, &c.

La Marine, le Manége, l’Art de faire des armes, le Blason, la Venerie, Fauconnerie, Pêche, l’Agriculture, ou Maiſon Rustique, & la plupart des Arts méchaniques ;

Plusieurs termes de Relations d’Orient & d’Occident, la qualité des Poids, mesures & monnoyes ;

Les Etymologies des mots, l’invention des choses, & l’Origine de plusieurs Proverbes, & leur relation à ceux des autres Langues ;

Et enfin les noms des Auteurs qui ont traité des matieres qui regardent les mots, expliquez avec quelques Histoires, Curiositez naturelles, & Sentences morales qui seront rapportées pour donner des exemples de phrases & de constructions.
Le tout extrait des plus excellens Auteurs anciens & modernes.

RECUEILLI ET COMPILE'

Par Messire Antoine FURETIERE, Abbé de Chalivay

de l’Academie Françoise

M. DC. LXXXIV.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.


AU ROY


SIRE,


Le plus humble de vus Sujets se prosterne aux pieds de VOSTRE MAJESTE’, & luy demande justice & protection pour ce petit ouvrage qu'il luy présente. C'est la priere ordinaire que font les Autheurs aux grans Princes dans leurs dedicaces. Mais elle n'a jamais esté faite en une plus pressante necessité. Ce n'est icy qu'un leger essay d'un prodigieux travail qui contient plusieurs gros volumes. I'ay entrepris une Encyclopedie de la langue Françoise pour la faire connoîstre aux Etrangers, et la transmettre dans toute son étenduë à la posterité. Comme son abondance consiste en l'explication des Arts & des Sciences ; c'est à quoy je me suis particulierement attaché, & je les ay compris en un même corps, ce qui n'a point encore été fait en pas une langue. On peut dire que jamais ce travail ne pouvoit venir plus à propos, puisque jamais les Arts & les Sciences n'ont été portées à un plus haut point de perfection, que sous le Regne heureux de VOSTRE MAIESTE'. Ses Conquestes par terre & par mer ont rendu si celebres l'Art de la guerre & de la marine. La magnificence de ses bâtiments a rassemblé tout ce qu'il y a de plus exquis dans les beaux Arts. Ses liberalitez ont établi des Academieq florissantes pour l'avancement des Sciences. Il est donc necessaire de mettre au jour un Ouvrage qui en puisse expliquer les termes, & en publier les merveilles. Tant de belles Ordonnances qu'a fait VOSTRE MAIESTE' pour le reglement de la Iustice, des Finances, de la Marine, de la Guerre, desEaux & Forests & du commerce, contiennent des termes inconnus à plusieurs de vos Sujets & elles pourraient avoir quelque jour le sort des Loix des 12. Tables qui n'estoient plus entendus à Rome du temps de Iules Cesar. Cependant, SIRE, comme l'envie traverse tous les bons desseins, l'interest particulier d'un Libraire, qui a imprimé une petite partie du Dictionaire de l'Académie Françoise, s'oppose à l'impression de celuy-cy, quoy qu’il soit entieremeht different. Il a gagné quelques-uns de cet illustre Corps que je respecte. Ie sçay qu'il a l'honneur d'estre sous vôtre protection ; Mais je sçay aussi que VOSTRE MAIESTE' ne donne protection à personne que dans la justice & en connoissance de cause. Ie sçay qu'elle a prononcé Elle-même contre ses propres interests quand il s'agissoit de plusieurs millions, & que cette action héroïque qui encherit sur celle des Cæsars, est le sujet du prix de Poësie qui doit estre donné cette année. Ie n'ay point besoin de combattre cette Compagnie ; ? mais seulement quelques-uns qui veulent prendre avantage d'une clause extraordinaire qu'on a glissée dans un Privilege surpris de Mr d'Aligre sur la fin de ses iours. Cette clause porte des deffenses à toutes personnes de faire aucun Dictionaire François pendant vingt ans, à compter du iour que celuy de l'Academie sera imprimé. Elle en a fait à peine la moitié depuis cinquante ans, c'est à dire que cette deffence s'étendra à une grande partie du Siecle futur. D'ailleurs je suis tres-certain que iamais l'intention de VOSTRE MAIESTE n'a été d'accorder une grace de cette nature, & qu'on ne luy en a iamais fait de remerciemens : ce qui montre que ce n'est pas le Corps entier de l'Academie qui l'a demandée, puisqu'elle a fait des députations nombreuses à des personnes fort subalternes pour les remercier de moindres faveurs. On connoit la protection generale que VOSTRE MAIESTE donne aux Sçavants, & on ne pourra pas croire qu'elle ait voulu ôter à la litterature cette nonneste liberté dont elle a joüy dans tous les Siecles & chez toutes les Nations, ni donner une exclusion, qui s'accorde seulement pour des interests pecuniaires de Manufactures. L'accroissement des Lettres n'est venu que par l'émulation & la critique des Autheurs, dont le different genre ayant traité les mêmes suiets en differentes manieres, les ont enfin épuisez. Cela doit avoir lieu particulierement en matiere de Dictionaires, parce qu'ils ne peuvent iamais contenir assez de mots pour expliquer toutes les choses dont l' étenduë est infinie, de sorte que le moindre peut seruir de supplément au meilleur. Enfin, SIRE, toutes les Muses auront grande obligation à Votre Majeste’ du champ libre qu’elle leur laissera pour s’exercer. Elles reconnoîtront cette faveur par une infinité de Poëmes & de Panegiriques qu’elles feront à sa gloire ; moy même je m’efforceray de reveiller cette ardeur avec laquelle i’ay chanté autrefois vos victoires de la Franche-Comté, & quoy qu’auec un genie que les ans ont affoibli, ie publieray chez tous les Peuples où parviendra nôtre Langue la grandeur de vos exploits, de vos bontez, & de vôtre iustice, comme estant,

SIRE,

De Vôtre Majeste’,
Le trés-humble, le tres-affectionné & le tres-
obeïssant serviteur & sujet, FURETIERE.

AVERTISSEMENT


JE vous prie de croire, Mon cher Lecteur, que quand j’ay conczu le dessein de ce grand Ouvrage dont voicy un petit essay, ce n’a point été pour entreprendre sur le travail de l’Academie Françoise ; je la respecte autant qu’il est possible, & j’ay creu seulement contribuer de ma part au dessein qu’elle a de rendre service au Public. Deux considerations m’y ont obligé, l’une qu’elle n’a pas compris dans son Ouvrage les mots des Arts & des Sciences ; ainsi j’ay creu qu’elle ne trouveroit point mauvais que quelqu’un en fist le Supplément. L’autre, que L’autre, que pour satisfaire l’impatience de plusieurs personnes, il étoit nécessaire de leur donner un Dictionaire qui n’est pour ainsi dire que provisionel, & le précurseur de celui qui viendra en Souverain dans une entiére pureté juger tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir ; je lui laisse sa juridiction toute entiére, & ne prétens rien décider sur la Langue. Je lui offre cet Ouvrage comme de simples mémoires qui lui pourront servir pour achever la derniére partie de son travail, & pour remplir les omissions de la première.

Cependant j’ay appris que quelques-uns prétendent revendiquer quelques phrases communes, figurées & proverbiales qui ne font ici employées que par nécessité pour servir de passage & de liaison, ou pour arrondir le globe de cette Encyclopedie dela langue que je me suis proposée. Je ne les employe que comme on fait le ciment pour lier les pierres d’un grand édifice, & je prétens n’avoir rien emprunté du Dictionnaire de l’Academie, ni de ce qui lui peut appartenir en propre.

Le seul moyen de faire connoitre cette verité, c’est la conference de ces deux Dictionaires, ou du moins d’un semblable Essay. Le Public en sera le juge, du moins on ne peut pas me reprocher d’en avoir rien pris depuis les lettres O & P qui ne font pas encore faites. L’uniformité qui est en tout mon Ouvrage fera voir clairement que je n’ay pas eu besoin du Dictionaire de l’Academie pour faire les premiéres lettres, puisque sans son fecours j’ay bien fait les derniéres ; celles-ci pourront donner un beau champ pour exercer un droit de represailles, s’il y avoit lieu, puis qu’on y trouvera bien plus à prendre que ce qu’on pourroit prétendre que j’aurois pris. J’espere néanmoins que la seule vûë de ces deux Dictionaires fera paraître tant de différence entre l’un & l’autre, que ceux qui se donneront la peine d’en faire la conference trouveront que celui-ci n’a aucun rapport avec celui de l’Academie.

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A.


A Premiere lettre de l’Alphabet François, & de toutes les autres Langues. Chez les Occidentaux cette lettre prend son nom de l’expression du son qu’elle fait. Chez les Grecs on la nomme Alpha chez les Hebreux, Aleph ; chez les Pheniciens Alioz & chez les Indiens, Alepha. C’est aussi le premier son articulé que la Nature pousse, & celuy qui forme le premier cri & le begayement des enfans. D’oû vient que Jeremie répondant à Dieu qui le destinoit pour son Prophete luy dit A, a, a, Seigneur je ne sçay pas parler, parce que je suis un enfant. Hieram. cap. i.

C’est aussi ce qui exprime presque tous les mouvemens de nostre ame, & pour rendre l’expression plus forte, on y ajoûte une h devant ou après, comme dans l’admiration : Ha le beau tableau ! Dans la joye : Ha quel plaisir ! Dans la colere : Ha méchant ! Dans la douleur : Ha la teste ! Dans la pamsmoison : Ha je me meurs ! Dans le mouvement : Halevrier ! Et generalement ce mot exprime toutes les palpitations de cœur, comme il paroist en ceux qui ont la courte haleine. Ciceron appelle l’A lettre salutaire, parce que c’estoit la marque d’absolution.

Cette lettre forme souvent un mot entier, & est quelquefois article du Datif pour decliner les noms et les pronoms : Ce livre est à Pierre, à Agnés. Quand il sert à decliner des noms ordinaires, s’ils commencent par des consones, on dit au, comme Au soleil : si c’est par une voyelle, on y ajoute une l au masculin, ou la au feminin : A l’homme, A la femme ; Et au pluriel on dit en tous cas, aux comme : Aux Alexandre, Aux Muses, Aux Animmaux.

A est quelquefois preposition : Il est à la ville, aux champs : Cela est à la mode.

A est le plus souvent adverbe, non seulement de temps et de lieu, comme, Cela vient à tard. Cela est à terre : mais encore il se joint à presque tous les mots de la Langue pour faire des phrases adverbiales qui tiennent de leurs significations & de leurs manieres : Venir à chef, Estre à couvert, à dicretion, &c.

A se joint aussi aux infinitifs des verbes pour faire des phrases adverbiales : Donner à boire & à manger : Un maistre à écrire : On fait à sçavoir : Au pis allez.

A se dit aussi dans les temps du verbe auxiliaire Avoir : Il a gagné cent écus : Il a fait : Il a dit : Il a le temps & l’argent.

A est souvent une particule indéclinable qui sert à la composition de plusieurs mots, & qui augmente, diminuë ou change leur signification. Quand elle s’y joint, elle fait doubler ordinairement la consone qu’ils ont à la teste, comme Accorder, Addonner, Affaire, Assujettir, Attrouper, &c.

Cette lettre A estoit aussi chez les Anciens une lettre numérale, qui signifioit 500. comme on voit dans Valerius Probus, Il y a des vers anciens rapportez par Baronius qui marquent les lettres significatives des nombres, dont le premier est tel :

Possidet A numeros quingentos ordino recto.

Quand on mettoit un titre ou une ligne droitenau dessus de l’A, il signifoit cinq mille.

ABBE’. s. m. ABBESSE. s. f. Superieur ou Superieure d’une Abbaye d’hommes ou de filles. Il y a trois sortes d’Abbez : Regulier, Seculier, Commendataire. Ce mot vient de ce que les premiers Moines appellerent leur Supérieur Ab-bot, qui signifie Pere. Ainsi ces mots de Abba Pater, qu’on trouve dans les Epistres aux Romains & aux Galates, & ailleurs, qui semblent dire la mesme chose, ne sont pas pourtant un pleonasme, comme dit S. Augustin, veu que l’un est un nom de nature, & l’autre de dignité. D’autres disent qu’il vient du mot Hébreu Aba, qui signifie aimer, vouloir du bien. Couarruuias.

Chez les Ecrivains Grecs & Latins on appelloit Abbez, ceux que nous appellons maintenant Peres, qui étoient vénerables par leur âge & par leur sainteté. On a aussi compris sous ce nom généralement tous les Moines. Ainsi il est dit dans la Régle de S. Colomban, qu’il y avoit mille Abbez sous un Chef ; & S. Epiphane fait mention d’un monastere, où il y avoit mille cellules. On a appellé aussi Abbez second le Prieur d’un monastere, qui est le Lieutenant de l’Abbé. On a appellé aussi en Sicile des Evêques Abbez & très-souvent les Curez primitifs de France. On a appellé aussi, Abbé du Palais, le Maistre de la Chapelle du Roy. Voyez Du Cange. Les Abbez mitrez sont ceux qui ont droit de porter les ornemens Episcopaux, comme la mitre, les sandales, les gants, l'anneau & la crosse : & pour les distinguer des Evêques, Clement IV. ordonna que les Abbez exempts porteroient des mitres brodées, mais sans pierreries & sans lames d'or & d'argent ; & les non-exempts des mitres blanches & toutes unies.

Abbe', s'est dit aussi de quelques Magistrats ou personnes laïques & seculieres. Chez les Gennois il y avoit un principal Magistrat qu'on appelloit Abbé du Peuple. En France il y a eu plusieurs Seigneurs, sur tout du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu'on appelloit Abbacomites. Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & les Comtes ont été appellez Abbez, & les Duchez & Comtez Abbayes. Et plusieurs Seigneurs & Gentilshommes qui n'étoient aucunement Religieux ont aussi pris ce nom, comme remarque Menage aprés Fauchet, & autres. On appelle aussi Abbé, celuy qu'on élit en certaines Confrairies & Communautez, particulierement entre les Ecoliers


& les Garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un certain temps. A Milan dans toutes les Communautez de marchands & d'artisans, il y en a de preposez qu'on appelle Abbez. Et c'est de là apparemment qu'est venu le jeu de l'Abbé, dont la regle est, que quand le premier a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent fassent le semblable.

Abbe', se dit proverbialement en ces phrases. On vous attendra comme les Moines font l'Abbé, c'est à dire, en travaillant toûjours, en commençant toûjours à disner. On dit encore, Pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé, pour dire, que l'opposition d'un particulier n'empêche pas la deliberation d'une Compagnie, ou la conclusion d'une affaire. On dit en proverbe Espagnol, Como canta el abad responde el Monazillo, pour dire, que les inferieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que les superieurs. On appelle aussi, Abbez de Ste. Esperance, ceux qui prennent la qualité d'Abbez sans avoir d'Abbaye, & quelquefois même de Benefice.

ABINTESTAT. Terme de Jurisprudence, qui se dit de celuy qui herite d'un homme qui n'a point fait de testament. Ce fils est heritier de son pere abintestat. Il y a eu un temps où l'on privoit de sepulture ceux qui étoient decedez abintestat : ce qui donna lieu à un Arrest du 19. Mars 1409. portant deffenses à l'Evêque d'Amiens d'empêcher comme il faisoit la sepulture des decedez abintestat.

ABYSME. f. m. Gouffre profond où on se perd, d'où on ne peut sortir. Il y a de profonds abysmes dans ces montagnes, dans ces rochers, dans ces mers, dans ces rivieres. cette ville est fonduë en abysme.

Selon quelques-uns, ce mot vient du Grec bathos, qui signifie la mer profonde : d'où est venu aussi le mot de bas, & abaisser. Mais il y a plus d'apparence qu'il vient d'abyssus Latin, ou du Grec abyssos, qui signifie la même chose.

Abysme', se dit figurément en Morale des choses où la connoissance humaine se perd quand elle raisonne. La Physique est un abysme, on ne peut penetrer dans les secrets de la Nature. les jugements de Dieu, les mysteres sont des abysmes, dont on ne peut sonder la profondeur.

Abysme', se dit absolument des Enfers. La rebellion des Anges les fit precipiter dans l’abysme. qui pourra mesurer la profondeur de l’abysme ? On dit aussi, C’est un abysme de maux, de souffrances, de malheurs.

Abysme, se dit aussi de ces dépenses excessives dont on ne peut juger avec certitude : On ne peut certainement regler la depense de la Marine, c’est un abysme. la depense de cette maison est excessive, c’est un abysme. On dit en proverbe, qu’Un abysme attire l’autre, quand d’un mal on tombe en un plus grand.

Abysme, terme de Blason, est le cœur, ou le milieu de l’Escu. Il faut que la piece qu’on y met ne touche & ne charge aucune autre piece, telle qu’elle soit. Ainsi on dit d’un petit Escu qui est au milieu d’un grand, qu’il est mis en abysme : Il porte trois besans d'or avec une fleur de lys en abysme. Et tout autant de fois qu’on commence à blasonner par toute autre figure que par celle du milieu, on dit que Celle qui est au milieu, est en abysme, comme si on vouloit dire, que les autres grandes pieces étant élevées, celle-là paroît petite, comme cachée, & abysmée.

Abysme. est aussi un vaisseau fait en prisme triangulaire renversé, qui sert aux chandeliers à fondre leur suif, & à faire leur chandelle, en y trempant plusieurs fois leur méche.

ABYSMER. v. act. Jetter dans un abysme, y tomber, se perdre, se noyer. Les Ouragans abysment les vaisseaux : Ce terrain s’est abysmé, il y avoit dessous une carriere.

Abysmer. se dit figurément en Morale. Les gros interests ont abysmé ce marchand  : Ce chicaneur a abysmé sa partie, il l’a ruinée de fond en comble. il a abysmé cet homme-là. Il se dit plus ordinairement avec le pronom personnel, & plus au figuré qu’au propre : Il est abysmé dans la douleur : Cet homme a si mal fait ses affaires, qu’il s’est abysmé. cette famille est abysmée, elle ne se relevera jamais : C’est un contemplatif qui s’abysme dans ses pensées, qui extravague.

AGATE. s. f. Pierre precieuse en par-


tie transparente, & en partie opaque. Il y en a de plusieurs couleurs ; ce qui luy a fait donner divers noms chez Pline & les autres Auteurs. Il y en a qui imitent la couleur de la cornaline ; d’autres qui ont des veines fort rouges & fort blanches. On en a vû qui ont representé sept arbres tout entiers. Les Agates Sardoines sont de trois couleurs : les vrayes sont entierement rouges, qu’on fait passer pour la Carneole, comme ayant une petite teinture de couleur de chair meslée de brun : il y en a d’autres moindres, qui sont en partie meslée de rougeur, comme celle de sang ; & les dernieres le sont d’un rouge tirant sur le jaune. L’Agate Sardonix est composée de la sardoine & de l’onix, & a une couleur sanguine & distinguée de cercles ou zones qui semblent y avoir esté peints par artifice, & quelquefois meslée d’une blancheur surprenante. Pline, Strabon & Ciceron disent que la bague de Polycrate estoit de Sardonix ; ce qui ne s’accorde pas avec ce qu’on dit de Mithridate, qui avoit quatre mille vases de cette même pierre : car ou cette bague n’auroit pas été de grand prix, ou ces vases d’un prix excessif.

Les Agates Onix sont toutes opaques, de couleur blancheastre & noire tellement distinctes, qu’on croiroit qu’elles y ont esté appliquées par art. Les Agates Onix Sardonix sont celles où il se rencontre trois couleurs differentes, & néanmoins unies ensemble. On en a ruiné les mines ; & celles qui se trouvent à present grandes & parfaites n’ont point de prix. La couche du milieu est propre pour exprimer la carnation du visage ; celle de dessus qui est Sardoine ou couleur de pourpre, donne la couleur aux vestements ; & le dessous est d’une autre couleur propre pour faire le fonds, qui détache les deux premieres, & fait un ouvrage merveilleux suivant la science du Graveur. Pyrrhus avoit une Agathe où estoient representées les neuf Muses & Apollon.

L’Agate Calcedoine est à demi opaque, & à demi transparente, & le plus souvent de couleur de rose remplie de certain nuage. Il y en a d’entierement blanches qui sont les plus rares.

Les Agates d’Egypte sont dures, rouges, & entremeslées de bleu & de blanc. Quand elles sont dans leur perfection, elles ont des couleurs semblables à l’Iris, & sont les plus estimées d’entre les Agates.

L’Agate Romaine ne tient rien de celle d’Orient, & il y en a de plusieurs couleurs differentes qui les ont fait nommer differemment. On en faisoit autrefois ces vases mirrhains si fameux dans l’Antiquité, qui avoient diverses couleurs, & qui representoient diverses figures.

Il se trouve aussi des Agates en Allemagne, en Pologne & en Dannemark, dont quelques-unes ont disputé le prix aux Orientales.

Les Anciens parlent aussi d’une Agate rouge comme du corail, mouchetée de points d’or, qu’on trouve en Candie, qu’on a nommée Sacrée, parce qu’elle preserve du venin des scorpions & des araignées. On a fait de tous temps des cachets d’Agate, parce que cette pierre ne retient point du tout la cire. Les Tireurs d’or brunissent l’or avec une Agate. Pline dit que les premieres Agates furent trouvées en Sicile le long du fleuve Achates, qu’on nomme aujourd’huy le Canthera : ce qui luy a donné le nom d’Agate.

AILE. s. f. La partie de l’oiseau qui l’éleve ou qui le soustient en l’air, quand elle est estenduë. L’aigle est un oiseau qui vole à tire d’aile. les faucons se tiennent long-temps sur aile : ils ont l’aile viste, trenchante, l’aile forte, l’aile entiere. On dit aussi, Faire voir en aile l’oiseau, le mettre en aile : voler de belles ailes. La chauve-souri n’a point de plumes à ses ailes. les poussins sont encore sous l’aile de la mere. En ce sens il vient du Latin Ala.

Aile se dit aussi de cette partie charnue qui s’étend de l’estomach à la cuisse dans les volailles qu’on mange : Une aile de chapon, de perdrix : Il y eb a qui preferent la cuisse à l’aile.

Aile, en termes d’Anatomie, se dit de


plusieurs parties du corps, & premierement les lobes du foye s’appellent souvent ailes ou ailerons. On appelle ailes & ailerons des chairs molles & spongieuses qui sortent de la partie naturelle des femmes, que quelques-uns appellent Nymphes ou Dames des eaux, parce qu’elles servent aux conduits de l’urine. On appelle aussi ailes ou ailerons, les deux cartilages qui sont aux costez du nez, & qui forment les narines ; pareillement on appelle aile ou aileron, le haut de l’oreille.

L’Aile en termes de Blason, quand elle est seule, s’appelle un demy vol ; & lorsqu’il y en a deux, s’appelle un vol : ce qui se dit de quelque oiseau que ce soit.

On appelle au Manege ailes, ces pieces de bois qu’on met aux costez de la lance pour la charger vers la poignée.

Aile en termes de Botanique, se dit des branches ou des feuilles qui poussent à costé l’une de l’autre sur les tiges des arbres ou des plantes : d’où est venu le nom d’Alaternus.

Aile se dit aussi d’un moulin à vent : ce sont ces grands chassis couverts de toile où le vent s’engouffre pour les faire tourner, qu’on appelle autrement volants.

Les Ouvriers nomment aussi les ailes d’une fiche ou couplet, ces deux petits morceaux de fer mobiles par le moyen de leurs charnieres, qui servent à soûtenir & à faire mouvoir des portes, ou des fenestres, ou des volets brisez. Ils appellent ailes de lucarne, les deux costez qui posent sur les chevrons, & qu’on appelle autrement Joüez de la lucarne. Les Vitriers appellent encore ailes ou ailerons, ces petites extremitez du plomb qui sert à engager les losanges du verre dans les panneaux des vitres, & à les y tenir fermes.

Aile, se dit figurément en choses morales & spirituelles, & signifie protection, tutelle : C’est une fille d’honneur qui a toûjours esté élevée sous l’aile de la mere. Et sur tout en Poësie : Cache-la sous ton aile au jour épouvantable, dit Desportes en parlant à Dieu en faveur de l’ame pecheresse. Malherbe a dit aussi : Et son ame estendant ses ailes fut toute preste à s’envoler. On dit aussi : La peur luy a mis des ailes aux talons pour dire, l’a fait fuir en diligence : On peint Mercure avec des ailes aux talons : L’amour luy prestera des ailes : On en donne aussi au cheval Pégase, aux vents & autres choses semblables, &c. On dit encore poëtiquement : Son nom volera sur les ailes de la Renommée : Sur l’ aile des beaux vers, pour dire que sa replication ira bien loin. On dit aussi : Sur l’ aile des zephyrs.

On donne aussi figurément des ailes aux Cherubins & aux Anges : Les Cherubins devant Dieu se couvrent la face de leurs ailes : Ils couvroient l’Arche de leurs ailes.

On appelle les ailes d’un bastimeht, ce qu’on bastit à droit & à gauche pour accompagnervle principal corps de logis, & faire les deux costez de la cours : Ce bastiment est imparfait, il n’y a qu’une aile de bastie. On appelle aussi ces ailes, bras ou potences.

On appelle aussi ailes dans les Églises ce qui est à droit & à gauche de la croisée, & quelquefois, tout le tour des bas costez ou des petites voutes qui sont à costé de la grande : Le portail de l’ aile droite est plus beau que celuy de la gauche : On n’a basti que le Chœur, on va bien-tost travailler aux ailes.

Aile se dit en termes de guerre des deux extrémitez d’une armée rangée en bataille : L’ Aile droite fut la première rompue : La Cavalerie se met sur les ailes. En ce sens ce mot vient de alauda selon Bochart, qui signifioit une Légion Gauloise, ainsi nommée à cause de la figure des casques que portaieht les soldats qui estoient crestez comme des allouettes. On dit que Pan, l’un des Capitaines de Bacchus, a esté le premier inventeur de cette maniere de ranger une armée en bataille ; d’où vient que les Anciens l’ont peint avec des cornes à la teste, parce qu’ils appelloient cornes ce que nous appellons les ailes.

Aile se dit aussi des deux costez de chaque bataillon ou escadron, des dernieres files : Les picquiers sont rangez au


milieu, & les mousquetaires sur les ailes ; On a commencé à défiler par l' aile droite. Les manches d’un bataillon sont aussi ses ailes.

Aile se dit aussi dans le discours ordinaire, de ceux qui marchent à costé, & un peu à l’écart, pour donner secours au besoin : Il sembloit que ce Prevost marchait seul, mais il y avoit plusieurt Archers sur les ailes pour l’assister.

Aile se dit aussi en termes de fortification du flanc d’un bastion, & plus ordinairement des longs costez d’un ouvrage à corne ou à couronne, qui sont flanquez par quelque endroit de la place ; par quelque dehors ou travail particulier.

Aile se dit proverbialement en ces phrases : Cet homme ne bat plus que d’une aile ; pour dire que son crédit, sa fortune, son esprit, sont diminuez, & qu’il n’en peut plus : On luy a tiré une plume de son aile ; pour dire qu’on luy a arraché quelque chose de son bien : qu’On en tirera pied ou aile ; pour dire qu’on tirera quelque chose d’une affaire, & qu’on ne perdra pas tout : On luy a rogné les ailes ; pour dire qu’on a retranché de son autorité, de ses richesses. On dit d’un téméraire, qu’il a voulu voler avant que d’avoir des ailes, qu’il n’a pas encore l’aile assez forte ; pour dire qu’il a commencé trop tost quelque entreprise au dessus de ses forces. On dit d’un homme malheureux, qu’il en a dans l' aile pour dire qu’il luy est arrivé quelque accident fascheux, ou bien qu’il a passé les 50. ans qu’on marque avec une L.

Ailé, ée, adj. qui a des ailes : Pegase est un cheval ailé. Les Poëtes appellent les oiseaux, les peuples ailez ; Les papillons, les cigales sont des insectes ailés ; il y a des poissons ailez qui sont fréquens sur l’Océan Athlantique.

En Termes de Blason on appelle un oiseau ailé, quand ses ailes sont d’une autre émail que son corps. On appelle aussi ailé tout ce qui est peint avec des ailes, quoy que contre sa nature, comme un cerf ailé, un cœur ailé, des dragons, des serpens ailés, une main ailée, une teste