Dictionnaire universel de Furetière/2e éd., 1701/Préface

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Texte établi par Henri Basnage de BauvalArnoud et Regnier Leers (1ap. i-vi).

PREFACE.


Ette seconde Edition n’a pas besoin d’une longue Préface. Il seroit superflu de discourir sur l'utilité d’un Dictionnaire en general, & en particulier sur la nécessité d’un Dictionnaire pour la langue Françoise, qui dans le point de perfection ou elle semble être parvenue, doit désormais être fixe, & ne plus dépendre des bizarreries, & de l’inconstance de l’usage. Le sujet est épuisé par la Préface qui a été mise *[1] à la tête de la première Edition , & par celle dont Mrs. de l’Academie Françoise ont orné leur Dictionnaire ; Il faut donc s’arrêter uniquement à rendre compte des changemens qu’on a apportez à cette nouvelle Impression.

Je dirai d’abord qu’on ne s’est pas borné à quelques fautes, ou à suppléer quelques termes qui étoient échappez à la diligence de Mr. l’Abbé Furetiere. On a retouché, ou refondu presque tous les articles. Il y en a peu qui soient demeurez entiers ; ensorte que si le fond est de lui, à peine pourroit-il reclamer la moitié de tout l’Ouvrage. L’augmentation la plus considérable regarde la politesse, & l’exactitude du langage. Mr. l’Abbé Furetiere, pour ne se trouver point en concurrence avec Mrs. de l’Academie Françoise, n’avoit pas entrepris de décider du bon ou du mauvais Usage des mots, ni de la pureté de la Langue. Ce n’étoit pas là son but principal. Il s’étoit spécialement attaché aux termes des Arts : le reste n’étoit qu’accessoire, & n’étoit pas enfermé dans son plan. Mais cette différence specifique ne subsiste plus. On a cru que pour bien remplir le titre de Dictionnaire universel, il faloit qu’on y pût apprendre à parler poliment, aussi bien, qu’à parler juste, & dans les termes propres à chaque Art.

L’entreprise sans doute eût été téméraire, si l’on n’avoit pas eu l’Academie Françoise pour guide, & pour garent ; & il est vrai aussi que je ne m’ingere point de décider de mon chef sur le choix, & la préférence des mots. C’est une autorité que je n’avois garde de m’arroger. Au contraire on verra que des qu’il y a sujet de douter, j’ai rapporté les opinions de ceux qui ont fait des remarques sur la langue Françoise, ou pour admettre, ou pour rejetter un terme contesté ; & dans le partage de sentimens, l’Academie Françoise est l’autorité suprême à laquelle j’ai toujours déféré. Je présente seulement aux Lecteurs les raisons de balancer de part & d’autre, & c’est à eux à prononcer. Pour moi, si je préfère un terme à l’autre qui est en concurrence, c’est plutôt par la nécessité de choisir, que pour me donner le droit de décider. Mrs. de l’Academie Françoise étoient dispensez de descendre à tous ces détails, parce que leur propre sentiment vaut d’autorité. Mais peut-être aussi que l’on ne sera point fâché de revoir les raisons de douter ; ces sortes de contestations forment, & rafinent le bon goût : ce n’est pas peu de chose que de sçavoir douter par raison. On ne sera pas fâché non plus d’apprendre la naissance des mots, leur destinée, & les révolutions par lesquelles ils ont passé : ce sont des bagatelles, il est vrai, mais Ce sont des bagatelles curieuses, & qu’on est bien aile de trouver chemin faisant. On pourroit traiter de même avec quelque dédain les scrupules, & les raffinemens sur l’élegance, & la beauté du langage. On sçait bien qu’il ne faut pas être trop pointilleux, & qu’on énerve, ou qu’on dessèche le discours à force de le limer, & de le polir. Une régularité trop grammaticale a quelque chose de pedantesque : mais aussi le mauvais choix, ou même la trop grande négligence des expressions, est un défaut beaucoup moins supportable. Il n’y a pas grand honneur à bien sçavoir sa langue, & il y a de la honte à ne la sçavoir pas. Ensorte que si les observations, ou si l’on veut, les minuties de Grammaire dont ce Dictionnaire est rempli, ne sont pas fort essentielles pour parler, quand on ne parle que pour se faire entendre, elles ne sont pas tout-à-fait méprisables pour ceux qui se piquent de parler exactement, poliment, & noblement.

Au reste ce n’est pas un des moindres embarras que j’ai rencontrez, que de marquer précisément la diverse signification des mêmes mots. Elle est quelquefois si délicate, & si fine, qu’on la sent mieux qu’on ne la peut exprimer. C’est en ce cas que j’ai souvent éprouvé ce que St. Augustin a dit de la conscience, Je sçai bien ce que c’est quand on ne me le demande pas, & je ne sçai plus ce que c’est quand on me le demande. En raisonnant trop avec soi-même sur les mots, & en cherchant à en fixer la signification avec trop de justesse, l’esprit se fatigue, le goût s’émousse, & la difficulté s’évanouit. C’est pourquoi l’on ne doit pas exiger là-dessus une derniere précision. D’ailleurs j’ai cité sur les mots communs de la Langue des exemples choisis, & tirez de nos meilleurs Auteurs, ou pour en confirmer l’uíâgc, ou pour en faire mieux sentir le sens> & les différentes expressions. Ce ne font point des exemples vagues, & où le mot en question soit seulement employé pour faire une phrase. Chaque *[2] article est enrichi de pensées fines, de traits délicats, ou de réflexions sensées & judicieuses : ensorte qu’on y trouvera quelquefois l’agreable mêlé à futile, & au sérieux. C’est une richesse qui manquoit au Dictionnaire de Mr. l’Abbé Furetiere, & dont Mrs. de l’Academie Françoise n’ont pas cru avoir besoin. II faut encore ajouter qu’on a pris soin de faire entrer ici les règles de la poésie ou fur les rimes, ou fur la quantité des syllabes. Par exemple les Poëtes ne conviennent pas universellement sur lesrimesener, en ier, en ois &c. On pourra consolter les articles qui concernent ces terminaisons, pour ne pas risquer une rime, ou une mesure suspecte, ou vicieuse.

A l’égard des termes des Arts, & des sciences, on les a ou reformez, ou confrontez, ou ajoutez fur les Auteurs qui en ont traitté ; & du reste l’on a suivi, & amplifié le plan de Mr. l’Abbé Furetiere. On ne s’est pas contenté d’une définition toute seche : car en expliquant les mots, on fait l’histoire des choses qu’ils signifient. S’il s’agit d’une charge, l’on explique quelle en est l’origine, ce qu’elle est aujourd’hui, & quels sont les droits qui y sont attachez : si c’est un terme de Jurisprudence (Civile, ou Canonique) l’on en expose exactement l’usage dans la pratique, & les maximes générales qui s’observent encore, ou qui s’observoient autrefois. On a fait de même pour toutes les sciences ; la Póësie, la Philosophie, la Théologie &c. Chacun peut en choisir des échantillons à son gré, & par rapport à sa curiosité. Je ne mets pourtant pas sur mon compte les articles d’Algèbre. Cette science m’est inconnue. Je ne m’approprie point non plus ce qui regarde la Médecine, l' Anatomie, la Pharmacie, la Chirurgie, & la Botanique. Je n’ai point voulu me fier à moi-même là-dessus. Un habile † homme s’en est chargé. On a presque tout effacé ce que Mr. l’Abbé Furetiere avoit dit sur ces Arts, qui n’étoient point de sa compétence. Enfin mon livre (si j’ai quelque droit de l’appeller ainsi) est beaucoup plus sçavant que moi.

Après tout j’avoue que le Dictionnaire est encore fort éloigné du degré de perfection où il scroit à souhaitter que l’on pût porter un Ouvrage de cette nature. On y trouvera bien des choses à censurer. Il est impossible que l’attention étant partagée sur tant de choses différentes, l’on puisse être toujours exact, & appliqué sur chaque article. Tout n’est pas également travaillé : il y a des articles trop chargez, & d’autres trop stériles. De plus dans le cours de l’impression l’on a quelquefois mal placé, ou transposé les exemples. En inférant de nouvelles observations dans le texte, l’on n’a pas toujours assez pris garde à ce qui precede, & à ce qui suit : on reconnoît la cicatrice, & le discours qui a été rompu est quelquefois mal réuni, & mal rejoint. En un mot les Imprimeurs se sont trompez en bien des endroits à cause du nombre infini d’additions, & de corrections qui les a embarrassez. Je pourrois me deffendre sur la[3] précipitation avec laquelle j’ai été obligé de travailler ; mais cette précipitation n’est tout au plus qu’une excuse, &non pas une raison pour justifier mes fautes. Ainsi bien loin de m’offenser quand on me les fera remarquer, je les corrigerai sans chagrin, & je ferai mon premier censeur à moi-même. J’aurois bien voulu qu’il y eût plus d’uniformité, & que les remarques fussent partagées avec plus d’égalité. Mais comme je n’avois jamais eu en vue de reformer le Dictionnaire de Mr. l’Abbé Furetiere, j’y avois seulement jetté au hazard quelques observations pour mon usage particulier ; & quand je me suis trouvé engagé quasi malgré moi à y mettre la main, j’ai laissé ces morceaux détachez tels qu’ils étoient, parce que je n’ai pas eu le loisir de les distribuer autrement. Je le repete donc encore, je ne pretens point faire mon apologie fur bien dés choses, & je sens par avance que je devrai beaucoup à ceux qui voudront bien m’épargner. C’est proprement de ces sortes d’Ouvrages qu’on peut dire, que les moins défectueux sont les meilleurs, & qu’on doit regarder avec indulgence ce qu’il y a de mauvais, en faveur de ce qu’il y a de bon. On auroit trouvé encor beaucoup plus de desordre, & de confusion, si je n’avois pas été secouru dans une discussion si seche, & si ennuyeuse, & dans un travail si stérile, & si rebutant. J’y ai associé une[4] personne qui a bien étudié la langue, & qui la sçait, non comme on la sçait d’ordinaire, par l’usage seulement ; mais par règle, & par principe. Ses avis m’ont souvent déterminé dans les difficultez, & dans l’embarras du choix, & de l’arrangement.

Je n’ai plus que deux choses à remarquer : l’une regarde l’orthographe. J’ai suivi celle de Mr. l’Abbé Furetiere, qui est aussi celle de Mrs. de l’Academie Françoise. J’ai donc laissé les mots dans le même ordre, & la même disposition. Je me suis contenté d’indiquer qu’on peut préférer une autre orthographe, & supprimer par exemple Ys en beaucoup de mots où elle ne se prononce point, & où elle ne sert qu’à embarrasser les étrangers. J’ai pourtant gardé assez religieusement l’orthographe qui designe, ou qui exprime qu’un mot est dérivé du Grec, ou du Latin. On peut écrire Filosofie au lieu de Philosophie, tans au lieu de temps ; & quelques-uns le font : mais outre que cette orthographe moderne défigure, ou déguise un peu les mots ; & qu’en voulant les accommoder aux oreilles, on les change trop aux yeux ; il me semble qu’on ne doit pas effacer absolument la marque de leur naissance, & de leur origine qu’ils portent avec eux. Je n’ignore pas que bien des gens voudroient qu’on reduisît l’orthographe à la prononciation ; c’est-à-dire qu’on n’écrivît rien qu’on ne prononçât, & qu’on ne prononçât rien qui ne fut écrit : mais ou la raison, ou l’usage s’y opposent encore ; & de plus Mrs. de l’Academie n’ont point autorisé ce changement : Summorum in éloquentiâ virorum judicium pro ratione, & vel error honestus magnos duces sequentibus[5].

La seconde chose que je voulois ajouter, regarde les personnes. Je n’ai loué, & encore moins blâmé aucun Auteur. Je les cite tous également. On dira que c’est assez en louer quelques-uns, que de les mettre indistinctement dans le même rang avec les autres : j’en conviens. Mais je ne puis empêcher qu’on ne fasse valoir ce qu’on voudra cette espèce de louange indirecte. Il suffit que s’agissant d’un Ouvrage qui doit être pour tout le monde, je n’ai aussi eu intention de chagriner personne. J’ai même gardé toutes les mesures d’honnêteté fur les matières de Religion, en donnant à chaque parti les noms honorables qu’il se donne à lui-même ; il n’étoit point question de disputer. C’est pourquoi j’ai retranché tous les termes injurieux dont Mr. l’Abbé Furetiere s’étoit servi, en parlant des Communions qui ne reconnoissent point le Pape pour Chef. Ce zèle fulminant & insultant ne choque pas moins les loix du Christianisme, que celles de la bienséance. On sçait bien que les plus forts peuvent s’emparer des noms & des titres ; mais cela ne donne point raison au fond : Adhuc sub Judice lis est. Je me suis cependant apperçu qu’il en est demeuré quelques-uns. C’est un oubli, & je les désavoue.

Je ne dois pas oublier qu’on a mis à quartier tous les noms propres de personnes, de Royaumes, de Province, de ville, & de secte. Ces articles appartiennent au Dictionnaire Historique de Moreri. Si l’on en rencontre quelques-uns, ils sont d’ordinaire très-négligez, & ils n’y sont que parce qu’ils y étoient dejà.

  1. Après la mort de Mr. l'abbé Furetiere.
  2. Ou la plupart.
  3. On imprimait à mesure qu’on composoit.
  4. Mr. Huët, Min. Ref.
  5. Quintillien.