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Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 21

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 171-175).
CHAPITRE XXI.
Que la loi juive est la seule dans l’univers qui ait ordonné d’immoler des hommes.

Les Juifs ne se sont pas seulement distingués des autres peuples par l’ignorance totale d’une vie à venir ; mais ce qui les caractérise davantage, c’est qu’ils sont encore les seuls dont la loi ait ordonné expressément de sacrifier des victimes humaines.

C’est le plus horrible effet des superstitions qui ont inondé la terre, que d’immoler des hommes à la Divinité. Mais cette abomination est bien plus naturelle qu’on ne croit. Les anciens actes de foi des Espagnols et des Portugais, qui, grâces au ciel et à de dignes ministres, ne se renouvellent plus[1] ; nos massacres d’Irlande, la Saint-Barthélemy de France, les croisades des papes contre les empereurs, et ensuite contre les peuples de la langue d’oc ; toutes ces épouvantables effusions de sang humain ont-elles été autre chose que des victimes humaines offertes à Dieu par des insensés et des barbares ?

On a cru dans tous les temps apaiser les dieux par des offrandes, parce qu’on calme souvent la colère des hommes en leur faisant des présents, et que nous avons toujours fait Dieu à notre image.

Présenter à Dieu le sang de nos ennemis, rien n’est plus simple ; nous les haïssons, nous nous imaginons que notre Dieu protecteur les hait aussi. Le pape Innocent III crut donc faire une action très-pieuse en offrant le sang des Albigeois à Jésus-Christ.

Il est aussi simple d’offrir à nos dieux ce que nous avons de plus précieux ; et il est encore plus naturel que les prêtres exigent de tels sacrifices, attendu qu’ils partagent toujours avec le ciel, et que leur part est la meilleure. L’or et l’argent, les joyaux sont très-précieux ; on en a toujours donné aux prêtres. Quoi de plus précieux que nos enfants, surtout quand ils sont beaux ? On a donc partout, dans quelques occasions, dans quelques calamités publiques, offert ses enfants aux prêtres pour les immoler ; et il fallait payer à ces prêtres les frais de la cérémonie. On a poussé la fureur religieuse jusqu’à s’immoler soi-même. Mais toutes les fois que nous parlons de nos superstitions sanguinaires et abominables, ne perdons point de vue qu’il faut toujours excepter les Chinois, chez lesquels on ne voit aucune trace de ces sacrifices.

Heureusement il n’est pas prouvé que dans l’antiquité on ait immolé des hommes régulièrement à certain jour nommé, comme les papistes font en immolant leur Dieu tous les dimanches ; nous n’avons chez aucun peuple aucune loi qui dise : Tel jour de la lune on immolera une fille, tel autre jour un garçon ; ou bien : Quand vous aurez fait mille prisonniers dans une bataille, vous en sacrifierez cent à votre Dieu protecteur.

Achille sacrifie dans l’Iliade douze jeunes Troyens aux mânes de Patrocle ; mais il n’est point dit que cette horreur fût prescrite par la loi.

Les Carthaginois, les Égyptiens, les Grecs, les Romains mêmes, ont immolé des hommes ; mais ces cérémonies ne sont établies par aucune loi du pays. Vous ne voyez ni dans les Douze Tables romaines, ni dans les lois de Lycurgue, ni dans celles de Solon, « qu’on tue saintement des filles et des garçons avec un couteau sacré ». Ces exécrables dévotions ne paraissent établies que par l’usage, et ces crimes consacrés ne se commettent que très-rarement.

Le Pentateuque est le seul monument ancien dans lequel on voit une loi expresse d’immoler des hommes, des commandements exprès de tuer au nom du Seigneur. Voici ces lois :

1° Ce qui aura été offert à Adonaï ne se rachètera point, il sera mis à mort[2]. C’est selon cette horrible loi qu’il est dit que Jephté égorgea sa propre fille, et il lui fit comme il avait voué[3]. Comment après un passage si clair, si positif, trouve-t-on encore des barbouilleurs de papier qui osent dire qu’il ne s’agit ici que de virginité ?

2° Adonaï dit à Moïse[4] : Vengez les enfants d’Israël des Madianites... « Tuez tous les mâles, et jusqu’aux enfants. Égorgez les femmes qui ont connu le coït... réservez les pucelles... » Le butin de l’armée fut de six cent soixante et quinze mille brebis, soixante-douze mille bœufs, soixante et un mille ânes, trente-deux mille pucelles, qui étaient dans le camp madianite, desquelles pucelles trente-deux seulement furent pour la part d’Adonaï (c’est-à-dire furent sacrifiées), etc[5]. J’ai lu dans un ouvrage intitulé Des Proportions que le nombre des ânes n’était pas en raison de celui des pucelles.

3° Il paraît que les coutumes des Juifs étaient à peu près celles des peuples barbares que nous avons trouvés dans le nord de l’Amérique, Algonquins, Iroquois, Hurons, qui portaient en triomphe le crâne et la chevelure de leurs ennemis tués. Le Deutéronome dit expressément[6] : J’enivrerai mes flèches de leur sang ; mon épée dévorera leur chair et le sang des meurtris ; on me présentera leurs têtes nues.

4° Presque tous les cantiques juifs, que nous récitons dévotement (et quelle dévotion !), ne sont remplis que d’imprécations contre tous les peuples voisins. Il n’est question que de tuer, d’exterminer, d’éventrer les mères et d’écraser les cervelles des enfants contre les pierres.

5° Adonaï met le roi d’Arad, prince chananéen, sous l’anathème ; les Hébreux le tuent, et détruisent son village[7].

6° Adonaï dit encore expressément : Exterminez tous les habitants de Chanaan. « Si vous ne voulez pas tuer tous les habitants, je vous ferai à vous ce que j’avais résolu de leur faire. » C’est-à-dire je vous tuerai vous-mêmes[8]. Cette loi est curieuse. L’auteur du Christianisme dévoilé dit que l’âme de Néron, celles d’Alexandre VI et de son fils Borgia, pétries ensemble, n’auraient jamais pu imaginer rien de plus abominable.

7° Vous les égorgerez tous, vous n’aurez aucune compassion d’eux[9].

C’est là une petite partie des lois données par la bouche de Dieu même. Gordon, l’illustre auteur de l’Imposture sacerdotale, dit que si les Juifs avaient connu des diables, qu’ils ne connurent qu’après leur captivité à Babylone, ils n’auraient pas pu imputer à ces êtres, qu’on suppose ennemis du genre humain, des ordonnances plus diaboliques.

Les ordres donnés à Josué et à ses successeurs ne sont pas moins barbares. Le même auteur demande à quoi aboutissent toutes ces lois qui feraient frémir des voleurs de grand chemin ? À rendre les Juifs presque toujours esclaves.

Observons ici une chose très-importante. Le dieu juif ordonne à son petit peuple de tout tuer, vieillards, filles, enfants à la mamelle, bœufs, vaches, moutons. En conséquence, il promet à ce petit peuple l’empire du monde. Et ce petit peuple est esclave ou dispersé. Abubéker, le second calife, écrit de la part de Dieu à Yésid : « Ne tuez ni vieillards, ni femmes, ni enfants, ni animaux ; ne coupez aucun arbre. » Et Abubéker est le dominateur de l’Asie.


  1. Depuis l’impression de cet ouvrage, l’Inquisition a repris en Espagne de nouvelles forces. Non-seulement un des plus savants jurisconsultes de l’Espagne, un médecin très-éclairé, M. Castelanos, et le célèbre Olavides, l’honneur et le bienfaiteur de son pays, ont été plongés dans les cachots du saint-office, et ont subi une humiliation publique, si pourtant il est au pouvoir du rebut de l’espèce humaine d’humilier ceux qui en sont la gloire et la consolation ; mais les inquisiteurs ont eu la barbarie, pour faire montre de leur puissance, de faire brûler vive une malheureuse femme accusée de quiétisme. Dans le même temps à peu près, l’Inquisition de Lisbonne ne condamnait qu’à la prison des hommes convaincus d’athéisme. C’est que l’Inquisition fait grâce de la vie à ceux qu’elle ne suppose pas relaps ; mais elle a dans son abominable procédure des moyens de trouver relaps tous ceux dont la mort est utile aux passions et à l’intérêt du grand inquisiteur.

    Dans un auto-da-fé solennel où le roi Charles II eut la faiblesse d’assister en 1680, et où on brûla vingt-une personnes, douze desquelles avaient des bâillons, le moine qui prononça le sermon eut l’insolence de parler des sacrifices humains offerts aux dieux du Mexique ; mais il assura que si ces sacrifices déplaisaient à Dieu dans Mexico, ceux du même genre qu’on offrait en Espagne lui étaient fort agréables. (K.) — Note antérieure à 1789.

  2. Lévitique, xxvii, 29. (Note de Voltaire.)
  3. Juges, xi, 39.
  4. Nombres, xxxi, 2, 17, 18.
  5. Nombres, ch. xxxi, 40. (Note de Voltaire.)
  6. Ch. xxxii, v. 42. (Id.)
  7. Nombres, ch. xxi, v. 3. (Id.)
  8. Nombres, ch. xxxiii, v. 55 et 50. (Note de Voltaire.)
  9. Deutéronome, ch. vii, v. 2. (Id.)