Discours de la servitude volontaire/Édition 1922/Mémoire touchant l’Édit de janvier 1562

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MÉMOIRE INÉDIT
TOUCHANT L’ÉDIT DE JANVIER 1562



LE SUJET de la délibération est la pacification des troubles. Il faut donc entendre premièrement en quel état est à présent le mal que l’on veut guérir ; après, reconnaître l’origine et la source pour savoir comment il est né, comme il s’est nourri et a pris accroissement. Si on doit trouver quelque remède, il se verra plus à clair, après avoir considéré ces deux choses.

Tout le mal est la diversité de religion, qui a passé si avant, qu’un même peuple, vivant sous même prince, s’est clairement divisé en deux parts, et ne faut douter que ceux d’un côté n’estiment leurs adversaires ceux qui sont de l’autre. Non seulement les opinions sont différentes, mais déjà ont diverses églises, divers chefs, contraires observations, divers ordres, contraire police en religion : bref, pour ce regard, aucunement deux diverses républiques opposées de front l’une à l’autre.

De ce mal en sortent deux autres : l’un est une haine et malveillance quasi universelle entre les sujets du Roi, laquelle en quelques endroits se nourrit plus secrètement, en autres se déclare plus ouvertement, mais partout elle produit assez de tristes effets.

L’autre est que peu à peu le peuple s’accoutume à une irrévérence envers le magistrat, et, avec le temps, apprend à désobéir volontiers, et se laisse mener aux appâts de la liberté, ou plutôt licence, qui est la plus douce et friande poison du monde. Cela se fait pour ce que le populaire, ayant connu qu’il n’est tenu d’obéir à son prince naturel en ce qui concerne la religion, fait mal son profit de cette règle, qui, de soi, n’est point mauvaise, et en tire une fausse conséquence qu’il ne faut obéir aux supérieurs qu’aux choses bonnes d’elles-mêmes, et après s’attribue le jugement de ce qui est bon ou mauvais, et enfin se rend à cela de n’avoir autre loi que sa conscience, c’est-à-dire, en la plus grande part, la persuasion de leur esprit et leurs fantaisies, et quelquefois tout ce qu’ils veulent ; car comme il n’est rien plus juste ni plus conforme aux loix que la conscience d’un homme religieux, et craignant Dieu, et pourvu de probité et de prudence, ainsi il n’est rien plus fol, plus vain et plus monstrueux que la conscience et superstition de la multitude indiscrète.

La désobéissance au magistrat vient aussi d’ailleurs. C’est que ceux des deux religions voient entre les officiers de la Justice aucunes mutuellement contraires à leurs opinions, et leur veulent encore plus de mal pour cette occasion qu’ils ne font aux privés, même ceux de la nouvelle Église, tant pour la crainte qu’ils ont de la Justice pour l’avenir, voyant le Roi ne vivre pas à leur façon, qu’aussi pour la souvenance qu’ils ont de la rigueur des jugements donnés au temps des autres rois contre ceux qui ont introduit et formé leur doctrine. Ainsi, étant grande la haine contre la Justice, il est nécessaire que la révérence et l’obéissance soit fort diminuée, car il est impossible d’honorer ceux qu’on méprise ni d’obéir volontiers à ceux qu’on hait et qu’on a en horreur ; même pour ce que cette envie de désobéir n’est pas sans pouvoir, pour ce que maintenant il n’y a personne faible de tant que chacun a (par manière de dire) sa bande et sait son enseigne et sa retraite, étant les factions si ouvertes à cause du différend de la doctrine : ce qui se manifeste plus clairement aux nations qui sont de leur naturel plus martiales et qui s’échauffent plus volontiers, comme en la Gascogne, là où la diversité des opinions a fait d’autres effets qu’en plusieurs autres pays. Non pas [qu’on puisse nier] que la nature et l’humeur des peuples est diverse, et selon la différente disposition des cerveaux la même chose a diversement ouvré(¹). Mais il ne faut douter qu’à la longue, par contagion, il ne fit aux plus paisibles nations de France les mêmes effets, pour ce que le mauvais exemple est la plus pernicieuse doctrine et le pire enseignement du monde au populaire indiscret, qui pense être loisible tout ce qui se fait de mal et qui se souffre. Et ainsi on voit les plus grands vices, et même ceux qui viennent de la licence, se donner de main à main, de voisin à voisin, ainsi que les maladies contagieuses se portent de pays en pays. Voilà donc le mal auquel il faut pourvoir, mais premièrement il faut savoir l’origine comme il est venu.

Or, de chercher les causes de toutes les erreurs et fausses opinions qui peuvent naître en la religion, ce serait une chose malaisée et fort longue, et qui, par aventure, ne servirait de rien à ce propos. Pour ce regard il doit suffire que la sainte Écriture a prédit : il faut qu’il y ait des hérésies, afin que ceux qui sont bons et éprouvés soient manifestes. Aussi il n’advient rien de quoi ne se doive moins ébahir que de la diversité des opinions, pour ce que c’est ce qui est entre les hommes les plus commun et ordinaire de les voir, non pas seulement contraire aux autres en avis, mais enfiévrés en eux-mêmes, et en un instant prendre et laisser reprendre encore des opinions toutes différentes, selon les diverses raisons qu’ils s’imaginent. Le pis est qu’en la chose la plus grave et la plus précieuse, et qui nous est importante du salut, c’est en notre foi et créance, je ne sais par quelle corruption de nature la plupart sont plus sujets en cela qu’en tout autre fait, de prendre une opinion fausse pour vraie et changer volontiers, voire le plus souvent, sans savoir ce qu’on laisse ni ce qu’on prend.

C’est, pour vrai, comme un grand auteur ancien disait de la médecine, et combien qu’on ne puisse mettre sans grand danger sa personne entre les mains d’un médecin inconnu, il n’y a toutefois chose en quoi l’on soit si facile et léger à croire qu’en cela ; de sorte qu’on se fie même des plus ignorantes vieilles, si elles promettent la santé, avec des brevets ou des bracelets d’herbes. Et combien que la peur qu’on a de la mort pût être cause qu’on ne se fiât légèrement à personne, sans la bien connaître, pour mettre notre corps à sa merci, toutefois, tout au rebours, la crainte démesurée de mourir et le désir et espérance de guérir fait qu’on se fie de tout le monde. Ainsi, en la religion, bien que le poids de la chose, qui est le salut de l’âme, nous dut faire résoudre de ne recevoir aucune nouvelle créance d’aucun, sinon avec grande connaissance de cause, il advient tout le contraire : qu’en chose du monde on n’est si facile à croire qu’en cela, lorsque quelqu’un menace de la damnation ou promet la félicité éternelle. Et c’est à cause que Dieu a mis en nous naturellement une affection et crainte, lesquelles, conduites avec raison, ne sont autre chose que dévotion et piété ; et quand elles sont dépourvues de jugement, c’est vanité et une sotte et aveugle superstition. Il ne faut donc point s’ébahir des erreurs quelle part qu’on les voie, mais plutôt il faut chercher par quelle occasion la dévotion que nous voyons à présent est entrée, qu’est-ce qui a pu émouvoir tant de gens qu’il n’y a maintenant que quarante et trois ans vivaient sous une même loi, en une même Église, en une concorde telle, que ce étant [c’était] toute la chrétienté(¹).

Qui a rompu cette paix et mis toute l’Europe en combustion ? L’un nommera Martin [Luther], l’autre Zwingle, l’autre quelqu’un des chefs de leur doctrine. Mais ce n’est pas ce que je cherche. Le mal se couvait devant que ceux-là naquissent ; et encore qu’ils aient été les instruments pour émouvoir la noise, se peut-il qu’il faut prendre la cause de plus haut, ce me semble, comme il advient quand on a quelque mauvaise aposthème et fort enflammée, laquelle on craint de faire percer au chirurgien, bien qu’elle soit mûre, que souvent par rencontre on vient à heurter quelqu’un qui, ou par fortune ou par envie qu’il a de faire mal, la fait crever, et avec grande douleur, mais toutefois pour le bien et avantage de celui qui reçoit le coup. Ainsi il est aisé à connaître que l’Église étant, long temps y a, merveilleusement corrompue d’infinis abus, survenus tant par la longueur du temps que la dissolution des mœurs, ne pouvant plus elle-même se contenir en soi et s’étant venue la maladie en son entière maturité, elle a rencontré ces gens-là, toute assurée, si elle n’eut trouvé ceux-là, d’en trouver d’autres. Il est bien possible que, par aventure, ils eussent mieux fait et plus gracieusement cet office, avec plus de modestie, de prudence et de bonne intention ; mais, cependant, l’Église doit avoir senti que, soit de la main amie ou ennemie, elle a été en quelque endroit touchée là où était vraiment le mal qu’il fallait purger. Reste donc que sans doute [que] les abus de l’Église ont été l’occasion qui a donné tant de vigueur au feu qui est maintenant allumé. Le peuple n’a pas moyen de juger, étant dépourvu de ce qui donne ou confirme le bon jugement, les lettres, les discours et l’expérience. Puisqu’il ne peut juger, il croit autrui. Or, est cela ordinaire que la multitude croit plus aux personnes qu’aux choses, et qu’il est plus persuadé par l’autorité de celui qui parle que par les raisons qu’il dit ; et on [ne] peut douter, qu’en son endroit, les impressions qu’il prend de ce qu’il voit de ses yeux corporels n’aient plus de pouvoir que les plus subtiles disputes et les plus vifs arguments du monde. Car son principal entendement consiste aux sens naturels et non à l’esprit.

Ainsi le peuple oyant les invectives que faisaient contre les ecclésiastiques ceux qui s’étaient départis de l’Église, ils ont pris garde aux vices manifestes du clergé, à la mauvaise vie, l’ambition, la vilenie, avarice de plusieurs ; et ayant trouvé cela véritable que les autres en avaient dit, ils ont aisément cru que la doctrine était fausse de ceux qui vivaient si mal, et commettaient des abus si grossiers ; et, au contraire, que la doctrine de leurs adversaires était vraie, les ayant trouvés véritables en ce qui leur avaient dit de la dissolution des mœurs. Par ce moyen ayant commencé à mépriser leurs prélats et perdu la révérence qu’ils avaient à l’Église, ils n’ont plus écouté leur prière, l’ayant à dédain à cause de ses pasteurs, et ainsi la plupart ont laissé une cause qu’ils n’entendaient point, comme plusieurs juges qui, par un zèle indiscret, connaissent une partie de mauvaise foi et grand plaideur, condamnent la cause pour la personne sans avoir connu du droit.

Ainsi l’origine de cette calamité est l’abus des ecclésiastiques et la mauvaise vie et insuffisance des pasteurs, qui était si grande et si notoire qu’elle émut cette querelle, et a servi d’un argument invincible à leurs adversaires ; et de cela en est un témoignage certain, si on veut se ressouvenir où se prit premièrement le feu. Ce fut, je crois, aux indulgences de 1517, pour ce que de ce côté là sans doute l’Église était si tarée, qu’il était impossible de couvrir cette difformité sans trop grande impudence. Or, le mal a toujours crû, et cela pour autant qu’au lieu que le chef de l’Église devait avoir connu le vice et s’aviser de rhabiller promptement ce défaut, ils firent tout le rebours, et au contraire de ceux qui, voyant la flamme allumée, abattent ce qui est près, même s’il est de bois et sujet à brûler. Car au lieu d’être avertis par ce commencement des abus qui était parmi eux, d’ôter celui-là où l’hérésie s’était attaquée et encore les autres, afin de ne lui donner prise sur eux, ils s’opiniâtrèrent sans cause à maintenir ceux-là, attisant le feu par ce moyen et lui donnant alimentation et nourriture ; de sorte que, depuis, s’étant embrasé vivement, il a consommé non seulement ce qui était de ce bâtiment gâté et vicieux, mais encore de celui-là même qui était bon et solide, et bien fondé.

Si [le] pape Léon, dès le commencement, eut habilement assemblé le concile et reçu Martin [Luther] à débattre, et reconnu les fautes notoires, et retranché les manifestes abus, nous ne fussions pas maintenant en cette malheureuse perturbation de toutes choses. Mais c’est ce qu’on dit que souvent, pour vouloir tout garder, on perd tout, et pour ne se vouloir point départir de fausses coutumes introduites par avarice en l’Église, on a donné occasion aux ennemis d’ébranler les bonnes et saintes traditions, et [que] nos bons religieux pères nous avaient laissées. Aussi de notre part, en France, nous aidâmes beaucoup à avancer la ruine, quand au lieu de remettre sur la vraie et ancienne eslation des pasteurs, et la corriger, nous l’ôtâmes du tout et, de malheur, ce fut lors que Martin [Luther] commença d’entrer en lice, qui n’était autre chose, sinon, à l’heure que l’ennemi était en campagne et qu’il fallait renforcer les garnisons, les casser du tout et ouvrir les portes.

On a fait encore pis, quand on a voulu maintenant non seulement maintenir les bonnes opinions, mais encore souvent des observances, ou indifférentes, ou par aventure abusives, avec le glaive et le feu. Car il n’est rien si dangereux en un État, lorsqu’on veut garder qu’une opinion de la religion qui trouble la chose publique ne s’augmente, que de contraindre ceux qui la tiennent à l’approuver par leur mort. Car de voir que quelqu’un meurt sur la querelle de son opinion est la plus grande preuve qu’on pourrait donner aux ignorants pour les persuader, et cet argument combat plus vivement que nul autre les entendements des idiots, et quelquefois des bons et simples. Il est vrai que cependant la vérité ne s’ébranle point et ceux qui meurent sous une fausse persuasion n’en sont que plus fols, car il n’est rien de plus vrai que le dire de saint Augustin, que ce n’est pas la peine qui fait le martyre, mais la cause ; et ceux-là sont vrais martyrs qui sont morts en l’Église catholique pour rendre témoignage de leur foi en Jésus-Christ, mais [les] manichéens, les donatistes, les anabaptistes qui ont souffert le supplice pour leur doctrine ne sont pas martyrs, ains faux témoins désespérés, et toutefois ils n’ont pas laissé d’augmenter leur nombre par ce moyen. On ne saurait faire accroire à beaucoup de gens qu’il y a que celui-là n’ait la raison pour lui qui veut maintenir ce qu’il dit au prix de son sang et de sa vie ; donc, en cuidant par le couteau extirper les opinions, nous faisons, comme l’on dit de l’hydre, que pour une tête qu’on lui coupait on en voyait renaître sept.

On a fait cette faute sous le roi François et Henri, et, depuis ce règne, il est advenu qu’en faisant le contraire, et ne punissant personne, on n’a pas toutefois amendé l’état des choses. Mais tout est clairement allé de mal en pis, et pour autant qu’il n’est pas dit, si on s’est mal trouvé de suivre une extrémité, qu’il faille sauter à l’autre, ni qu’on soit assuré de s’en porter mieux. Il avait très mal succédé de rechercher les opinions des hommes et de les contraindre à les soutenir au milieu des flammes ; mais comme cette sévérité était inutile, aussi voyons-nous ce qui est advenu d’avoir souffert qu’on fit deux corps et deux collèges d’Église, avec leurs chefs et consistoires. Tout le désordre ne vient d’ailleurs sinon d’avoir enduré d’établir cet ordre, car ç’a été rompre l’union du corps de cette monarchie et bander entre eux-mêmes les sujets du Roi. Depuis en ça on [n’]a cessé de voir misérables meurtres, pilleries, boutte-feux, saccagements, assemblées en armes, forces publiques et une infinité de piteux spectacles inconnus à nos pères et non accoutumés en un État paisible et florissant, comme celui-ci voudrait être ; et maintenant sans doute on ne voit où qu’on se tourne sinon la face d’une extrême désolation et les pièces éparses d’une république démembrée. En cela ne fallait-il point épargner à toute heure le glaive punissant, et exercer la rigueur de la sévérité, non pas comme au commencement gêner les esprits des hommes et vouloir se faire maîtres de leurs pensées et opinions.

Puisque le mal est connu, puisqu’on voit la source et son progrès, et quelles occasions on lui a données de s’augmenter, reste maintenant d’y pourvoir, s’il est possible.

En cette affaire, il n’y a que trois conseils, desquels il faut nécessairement choisir l’un. C’est ou de maintenir seulement l’ancienne doctrine ou la religion, ou d’introduire du tout la nouvelle, ou les entretenir toutes deux sous le soin et conduite des magistrats. Quant à faire tenir la nouvelle seulement, je crois que ce serait peine perdue de débattre contre ce conseil, pour ce que le Roi n’a jamais montré qu’il y eut pensé, et je crois qu’il n’entra oncques en son esprit, ni de la Reine, de vouloir donner à son peuple une loi qu’il ne tient pas, et attempter un si grand remuement au milieu de ses troubles, et ayant devant les yeux tant de dangers si grands et si apparents.

Je ne verrais donc plus que deux chemins, par l’un desquels il faut passer. C’est ou de confirmer la religion de nos prédécesseurs, ou d’entretenir celle-là et la nouvelle, et toutes deux ensemble. Ce conseil semble à plusieurs bon et nécessaire, non pour autre raison à mon avis sinon pour ce que c’est le premier qui se présente à l’esprit et qui est le plus aisé.

Mais de ma part je ne puis goûter cet entre-deux et ne vois point qu’on puisse attendre rien qu’une manifeste ruine de voir en ce royaume deux religions ordonnées et établies.

Premièrement, le Roi ne le peut faire sans offenser sa conscience, de tant que son devoir est non pas seulement de faire vivre ses naturels sujets en paix et tranquillité, mais encore principalement de prendre qu’ils marchent à droit chemin, et puis qu’ils ne se détournent de la voie de leur salut ; et n’est pas raisonnable qu’en cela il se laisse surmonter aux princes païens, desquels plusieurs, pour l’amour de la vertu, ne se sont pas tant souciés d’avoir en leur rép[ublique] de riches citoyens comme d’en avoir de bons et droit-voyants. Et de deux doctrines si contraires que celles-ci, il n’y en peut avoir qu’une vraie et puisque la chose est venue à tant qu’il y a deux Églises, il faut nécessairement que les unes et les autres soient hors de la vraie Église, et qui n’est qu’une ni ne peut être. Ainsi, quelle excuse peut avoir Sa Majesté de souffrir que l’une des deux parties de son royaume, clairement et sans feinte, fasse profession d’une fausse opinion, et encore non pas simplement d’une opinion, mais d’une fausse opinion en la religion, en laquelle les moindres erreurs sont plus importantes qu’en un autre fait, toutes les plus grandes fautes du monde ? On ne saurait garder une partie des hommes qu’ils ne pensent que les princes qui approuvent deux religions n’en approuvent pas une ; même que la règle de notre foi est claire [qu’elle] recherche l’homme hérétique après la première ou seconde admonition ; et d’ailleurs l’Apôtre dit qu’on peut bien hanter ceux d’une autre loi toute contraire, mais il défend de vivre avec ceux qui errent en notre religion. Par ce moyen, le Roi ne peut entretenir en ce débat sa conscience et son honneur saufs.

Quand bien il se pourrait dissimuler, encore serait sans doute cette dissimulation pernicieuse. En premier lieu, on ne saurait mieux nourrir inimitié entre nous que de permettre que le peuple se sépare et que nous nous tuions, et au contraire, rien n’est si profitable à la réconciliation que de nous mêler.

Davantage, personne n’ignore que nous n’ayons des voisins grands et puissants ; mais c’est d’une telle grandeur qu’il est impossible qu’elle ne nous soit en tous temps redoutable, et principalement en celui-ci. Et n’y a personne qui ne voit cela et ne connaisse, si on ne veut trop faire l’assuré. Or, peut-on voir que tous les potentats de la chrétienté, et même ceux qui sont nos proches voisins, regardent maintenant fort soigneusement quel chemin nous prendrons. Prenons donc garde à ce qui en adviendra. Nécessairement, ils s’offenseront tout autant de voir accorder l’intérim que si on changeait du tout, car quelle raison ont-ils de se fâcher du changement entier, sinon ou bien pour ce qu’ils ont en horreur la nouvelle doctrine, ou bien pour ce que les pays du Roi les bornent de toutes parts, et ainsi ils prévoient clairement qu’à la longue, si en France cette loi est tolérée publiquement, ils ne sauraient défendre leurs terres de la contagion. Ces mêmes raisons auront-ils de s’offenser pour l’intérim, car ils ne sont pas si peu habiles qu’ils n’entendent bien que toujours, sinon lorsque Dieu par sa providence ouvre miraculeusement, par l’ordre naturel la nouvelle opinion emporte la vieille, si elle peut une fois prendre racine et gagner ce point d’être écoutée publiquement, de tant qu’il n’y a communément que les gens mûrs et à qui l’âge et l’expérience ont conformé le jugement qui ne prennent grand plaisir à changer et le plus souvent les jeunes courent à la nouveauté. Ainsi pour plus tard, en un âge, tous les vieux à qui il a fâché de varier, s’en sont allés, et après vient le nouveau siècle tout peuplé de la jeunesse, qui demeure imbue de la nouvelle façon qu’elle a reçue.

Nos voisins donc savent bien combien vaut l’intérim(¹) ; c’est-à-dire que ce n’est pas changer de religion, mais c’est bien permettre qu’elle se change d’elle-même et lui en donner le loisir, en ce qu’on n’ose faire faire au temps, ce qui est le pis au populaire, qui est le pire policeur du monde. Davantage, le danger qu’ils craignent que le mal entre jusque dans leur pays est tout un si on permet les deux religions comme si on éteint du tout l’ancienne, car toujours auront-ils même occasion de la craindre, quand ils verront prêcher publiquement cette doctrine en nos terres que touchent les leurs de toutes parts, et n’attendront les princes autre chose sinon d’être contraints par les sujets, à notre exemple, de leur permettre ce que le nôtre ou n’a voulu défendre aux siens ou n’a pu. Il est aisé à voir qu’ils en auront un malcontentement merveilleux. Je pense bien qu’il n’est pas raisonnable qu’ils contrerollent le Roi quand il dispose de ce qui est de son état comme il lui plaît ; mais encore ce n’est pas tout de savoir que nos voisins auraient tort de nous courir sus ; mais encore faut-il regarder, quand ils le voudraient faire, s’ils nous pourraient endommager. On se console d’être affligé sans cause, mais il vaut beaucoup mieux n’être point affligé du tout et n’avoir point besoin de consolation. Je ne saurais croire que si le Roi permet les deux religions et que le royaume étant ainsi divisé, l’étranger, à quelque couleur que ce soit, commençait la guerre et nous venait prendre sur cette séparation et parmi cette perturbation universelle, que nous n’eussions plus à faire que nous n’avions aux guerres passées lorsque tout le royaume était uni.

Je sais bien qu’il n’y a nation au monde si fidèle à son prince que la française, reconnaissant l’antiquité de cette monarchie et la bonté de ses rois naturels(¹). Mais ni la France ne fut oncques, au branle qu’elle est, et comme quelqu’un disait qu’il ne faut jamais éprouver toute sa force, aussi ne vois-je point qu’il soit besoin d’essayer, en temps si périlleux, toute la fidélité que le Roi pourrait bien trouver en son peuple. Nulle dissension n’est si grande ni si dangereuse que celle qui vient pour la religion : elle sépare les citoyens, les voisins, les amis, les parents, les frères, le père et les enfants, le mari et la femme ; elle rompt les alliances, les parentés, les mariages, les droits inviolables de nature, et pénètre jusqu’au fond des cœurs pour extirper les amitiés et enraciner des haines irréconciliables(²). Il est bien possible, qu’encore qu’elle fasse tout cela, que pourtant elle n’ôtera rien de l’obéissance que le sujet doit à son souverain. Mais tant y a que nous étant en garboil(¹) l’ennemi qui nous visitera trouvera ce peuple, sinon en moindre volonté, au moins en plus mauvais état pour se défendre. On ne peut ignorer que de la querelle de la religion on n’ait vu sortir des brigues et menées, ce qui nous sert de suffisant témoignage qu’en ce fait ceux qui sont passionnés, comme il y en a plusieurs, ne s’épargneront point de servir par tous moyens à leur passion. Or est-il bien vrai ce qui se dit, que la ville divisée est à moitié prise. Si on veut parler à la vérité sans déguisement, c’est une chose claire que la part qui se sentira défavorisée de son prince, sera du côté de l’étranger qui lui présentera faveur. J’ai cette opinion que si on ne voulait avoir égard qu’à l’utilité de ce royaume et à la conservation de cet État, il vaudrait mieux changer entièrement la religion et tout d’un coup que d’accorder l’intérim. Car, si on l’accorde et que la guerre nous vienne trouver sur cette division, elle est si épouvantable que j’ai horreur de penser les calamités dont ce temps nous menace et les nouveaux exemples de cruauté que la France se prépare de voir parmi les siens, là où si du tout on introduisait la nouvelle [religion], l’étranger ne nous saurait assaillir si tôt que les choses [ne] fûssent aucunement rangées et établies en un certain état, et que l’on ne se fût mis au point pour l’attendre. Car sans difficulté toutes terres du Roi seraient plutôt accoutumées à une certaine loi, qu’il plairait à Sa Majesté leur donner, pour si griève qu’elle fût, qu’ils n’auraient appris à se comporter l’un l’autre en diverses bandes comme ils sont, car, à qui a puissance d’ordonner, le moyen d’apaiser ceux qui sont en différend n’est pas de les entretenir tous deux et de les flatter, en leur cause, mais plutôt d’adjuger rondement à l’un ce qui est contentieux. Même qu’en ce fait, si l’on autorise les deux parts, chacune se sentira forte, et rien ne donne au sujet tant de moyen de faire entreprise que de se sentir fort et appuyé. Or aucune des deux parties ne sera faible, d’autant que publiquement même il y aura deux Églises, qui sont cause que l’on voit les choses autant de régiments et compagnies, là où au contraire si le Roi avait introduit la nouvelle, l’autre, n’étant plus autorisée du Roi, serait faible, sans ordre et sans police, et sans avoir aucune moyen d’entreprendre ni lever la tête. Ains pourrait le Roi tirer service de celle-là même pour ce qu’elle serait emportée par l’autre, et par nécessité, comme un membre inutile, elle se réunirait avec le reste du corps de cette république.

On pense que l’intérim est le seul remède à tous les maux que nous voyons. Et comment est-il possible de le penser ? Car il s’en faut tant qu’il en puisse sortir une bonne paix, qu’au contraire, nous ne sommes maintenant en peine que de trouver moyen de remédier aux inconvénients qui nous sont advenus de cet intérim toléré, sans lequel nous n’aurions maintenant rien à délibérer. C’est donc à cet intérim souffert jusqu’ici et aux maux qui nous en sont venus qu’il nous faut mettre remède, et nous voulons appliquer pour remède ce qui nous fait le mal. Au maniement des affaires il n’y a point de si bons ni si certains enseignements que ceux que l’expérience donne. Or, l’expérience qu’on fait du mal sur autrui est moins ennuyeuse ; mais celle qu’on fait sur soi-même enseigne plus et imprime mieux. Nous avons fait l’essai sur nous, et ne sentons pas la poison que nous avons avalée et qui maintenant nous suit tout le corps. Il y a tantôt huit mois(¹) qu’il y a intérim par toute la France, et que non seulement chacun vit à sa mode, mais que chacun suit son Église, ses chefs et sa police ecclésiastique. Quel fruit avons-nous reconnu de cette tolérance ? Toujours les choses sont allées en empirant et le désordre a augmenté à vue d’œil, et depuis ce temps, si on y prend garde, toujours le jour d’après a été pire et plus malheureux que le jour de devant, jusques à ce que, maintenant, nous sommes venus à une telle confusion, qu’on ne peut quasi rien espérer qui soit meilleur, ni rien craindre qui soit pire.

Mais à cela on peut dire que tout sera beaucoup mieux rangé, lorsque le Roi le permettra expressément, qu’il n’a été par le passé, quand il a dissimulé ; et que maintenant les officiers du Roi pourraient eux-mêmes mettre ordre à ce qui est nécessaire même à réprimer les insolences, et que toutes les deux parts le souffriront, quand elles seront toutes autorisées du prince. Et, au contraire, que ci-devant, si ceux-ci des églises réformées ont fait quelque force, la plus grande occasion a été pour ce qu’ils se craignaient du magistrat et qu’ils n’avaient point expresse permission du Roi ; et maintenant, quand le Roi leur fera ce bien de leur permettre ce qu’ils demandent, ils vivront en paix, reconnaissant le bénéfice et l’humanité du Roi. Ce sont les plus grandes raisons de l’intérim, mais de ma part je pense tout le contraire. J’ai vu qu’au commencement, il peut y avoir un an(¹), on disait qu’il était bon et profitable de souffrir les publiques assemblées ; car il serait impossible, disaient-ils, que toujours le magistrat ne soit en soupçon de ce qui se fera aux privées et secrètes congrégations, et qu’il ne se craigne qu’il n’y fasse quelque conjuration contre l’État du prince. Là où les congrégations sont publiques, le Roi en sera hors de souci et ses officiers auront bien moyen de tenir l’œil, qu’il ne soit fait rien contre l’autorité du Roi. Mais, quoi ! avec toutes ces belles raisons, l’on les a souffertes, et maintenant tout ce qui se voit est le fruit de cette tolérance ! Pour vrai, la dissimulation des assemblées privées et secrètes est le commencement du mal ; la tolérance des publiques a été l’accroissement de nos calamités.

Premièrement, de les cuider obliger par ce bienfait, c’est peine perdue ; car, ceux qui sont déraisonnables et desquels vient le désordre ne cuideront pas que le Roi leur donne rien, de tant qu’ils ont déjà ce que le Roi leur donnera et en jouissent. Mais, tout au contraire, ils penseront qu’ils ont bien fait de désobéir, puisqu’à la fin, le Roi donne à chacun ce qu’il a pu prendre, et n’y en a point de meilleure caution que ceux qui ont usurpé quelque chose, de tant qu’à fin de compte, le Roi leur laisse de bon gré ce qu’ils ont pris au commencement, par force. Au reste, de cuider que le magistrat les range mieux, quand le Roi aura expressément déclaré qu’il le permet, je ne le puis comprendre ; car je m’assure bien que depuis huit mois que le Roi a toléré les deux religions, il a autant voulu empêcher les désordres et insolences comme il fera quand elles seront permises ; et s’il l’a autant voulu, pourquoi n’a-t-il eu autant de puissance comme il aura à l’avenir de réprimer les fols ? Car toujours la même cause des troubles qui ont été demeure, et, à mon avis, augmente. C’est la diversité des religions et l’établissement de diverses églises et contraires polices. Pour le respect du Roi, c’était autant à lui de savoir qu’il avait délibéré de tolérer deux Églises comme ce sera les permettre, car il ne laissait pas cependant à empêcher de son pouvoir les maux qui n’ont pu être empêchés.

Le magistrat a fait ce qu’il pouvait, car, voyant bien l’intention du Roi, il a souffert et dissimulé ; mais de garder des insolences, il n’était en leur puissance, ni ne sera.

Ils demandent des temples, et, avec cela, dit-on, il est aisé de les contenter, de tant que c’est la seule cause qui les fait tumulter, comme si les plus grandes insolences et rébellions n’avaient pas été faites par ceux qui ont eu des temples, et depuis qu’ils en ont eu, et cependant qu’ils en jouissaient paisiblement. En Guyenne, en la plupart des lieux, ils en ont pris tant qu’il leur en fallait, il y a neuf mois ou plus, et le Roi l’a toléré, et encore le lieutenant du Roi(¹), qui y a été envoyé, les y a vus, et confia et remit l’affaire au bon plaisir de Sa Majesté. Se sont-ils contentés de cela ? On vit lors, qu’à toute bride ils se sont laissés aller à leurs passions et nous ont accoutumés à voir et souffrir, en moins d’un an, ce que la couronne de France n’avait souffert de ses sujets en mille ans qu’il y a qu’elle est établie ; et ç’a été pour nous enseigner que les folles têtes, si on les laisse un peu envieillir en leurs folies, ne se peuvent pas après gagner par l’indulgence, mais reprendre et contenir par la punition.

Mais [s’]ils vivront plus paisiblement quand ils sauront que le roi a permis à chacun de vivre en sa doctrine, on se trompe. Ils ont tous pensé cela longtemps y a et cela leur a donné l’audace de faire toutes ces folies, auxquelles ils n’eussent jamais pensé s’ils eussent cru que le Roi se fut à bon escient courroucé de voir ériger en France un nouvel ordre d’Église.

Aussi c’est une vaine fantaisie, et vraiment un songe, d’espérer concorde et amitié entre ceux qui tout fraîchement ne viennent que de se tirer et se départir de cette querelle, que l’une estime l’autre infidèle et idolâtre. C’est une noise qui se réveille toujours, en la conversation ordinaire, par la dispute, pour l’usage des ordonnances de notre religion ; et bref, il n’y a heure du jour où il n’y ait quelque chose qui renouvelle la mémoire du différend, même que, de malheur, en toutes les deux parts les passionnés (qui sont le plus grand nombre) sont abreuvés de cette pernicieuse opinion que leur cause est si bonne et si religieuse que pour l’avancer il n’y a point de mauvais moyen. D’où nous avons vu sortir ces meurtres cruels et cette rage populaire de ceux de Cahors(¹), et, de l’autre, ces prises ordinaires, pilleries et brûlements de temples, meurtres, saccagements, et une infinité de forces publiques. Mais pour ce qu’on ne se voit jamais si bien comme on voit autrui, regardons les exemples des autres nations, quant à ce qui leur est advenu de la permission de diverses religions.

L’empereur Charles V fut contraire de le permettre en Allemagne ; et l’on n’a vu autre chose sortir de cela que guerres et infinies calamités par toute l’Allemagne. De sorte que c’est pitié de voir cet État-là, au prix ou bien de celui d’Espagne et d’Italie, où on n’a rien souffert, ou bien encore de l’Angleterre, où toute la religion a été changée tout à coup. Je laisse à part qu’il n’y a nulle réformation de vie, comme leurs réformateurs mêmes se plaignent, mais je ne parle maintenant que des séditions.

Il me semble que je vois devant mes yeux que si on entretient ainsi deux opinions diverses, et qu’on permette que chacun ait son Église et ses ordonnances, il ne tardera guère qu’on verra un nombre infini qui, sur ce différend, mépriseront l’une Église pour l’amour de l’autre, et les quitteront toutes, et la France se remplira d’impiété et d’irréligion. Cela est fort à craindre, car chose du monde ne mène tant les choses à l’impiété que de voir mêmement en même peuple diverses assemblées tenant diverses religions, et d’une opinion maintenue aussi constamment des siens que l’autre des autres, et chacun se vantant avoir Dieu pour lui. Mais pour le moins une chose est bien certaine, qu’aux lieux où il y a eu licence de tenir deux religions, de ces deux-là en sont nées infimes d’autres et n’est possible qu’il n’advienne autrement. Martin [Luther] eut une saison Caroletad(¹) pour compagnon ; après il fit bande à part et commença de mettre en avant l’opinion du sacrement, qui depuis a eu de grands auteurs, Zwingle(²), Ecolampe(³) et Jean Calvin. D’une autre secte, Schuenfelde(⁴) a ses partisans. Les anabaptistes se sont déclarés et ont fait des tragédies horribles. Les anti-moines se sont mis en avant. Osiandre(⁵) a commencé une nouvelle secte de la justice essentielle de Dieu en l’homme ; Illyricus Flacus(⁶) une autre ; Stancarus(¹) en Pologne de l’office de médiatement propre seulement à la nature humaine du Fils de Dieu. J’en laisse un nombre infini d’autres qui sont les vrais rejetons de l’intérim et de la licence de débattre et prêcher à plaisir de la religion. Ne pensons donc pas permettre deux religions, mais voyons qu’en permettant ces deux nous en permettons tant qu’il en pourra naître, dans l’esprit des gens fantasques et envieux pleins d’ambition. Et à vrai dire, si nous souffrons deux Églises, quelle raison en saurait-on rendre, sinon le nombre de ceux qui en veulent qui est une loi pour jamais qu’il faudra que le Roi donne, et que plusieurs lui demanderont s’ils sont en nombre redoutable ; qu’il advienne que l’opinion du sacrement des églises de Saxe, qui est celle de Luther, se publie en France, comme il est aisé, comment pourra-t-on refuser à ceux qui le tiendront une église, non plus qu’à ceux qui suivent Calvin ? D’être de l’Église romaine ils ne sauraient. Et iront-ils sans faire tort à leur conscience d’être de l’Église de ceux qui tiennent l’opinion Zwinglienne ? Ils ne pourront, l’ayant en horreur. Quel remède sinon de partir encore l’Église de Dieu et y faire une autre pièce, comme les pères à qui il naît d’autres enfants, après le premier testament, qui augmentent le nombre des parties de leur hérédité. Eh quoi ! s’il vient encore d’autres opinions, il faudra encore faire subdivision. Dira-t-on, si ce sont opinions impies, on ne les permettra pas comme l’on fait celles-ci qui sont supportables. C’est une mauvaise couleur, car on voit bien qu’on ne permet pas ce qu’on veut permettre pour jugement qu’on fait de deux opinions, mais pour la multitude de ceux qui la tiennent. Davantage, puisqu’il est nécessaire que l’une des deux soit vraie, il faut que l’une soit non seulement fausse, mais fort mauvaise, car l’Église romaine tient les protestants pour hérétiques, quant aux sacrements et infinis autres points, et les protestants appellent les catholiques idolâtres. Donc, si le Roi en entretient deux par nécessité, il en entretient une fort méchante.

Et outre, quelle est la fin de ce conseil de maintenir deux religions ? Jamais on ne parla, en république aucune, d’entretenir quelque diversité, sinon qu’en attendant et jusques à quelque certain temps. Qu’est-ce qu’on attendra donc ? Et, si on n’attend rien, qui ouït jamais parler de telle délibération ? Chacun vive comme il l’entend et croit si bon lui semble. C’est autant à dire comme si on disait : établissons la discussion qui est à présent, par l’ordonnance du Roi, et, de peur qu’elle cesse, autorisons-la pour jamais. Je crois qu’il n’y a personne qui se propose une si inepte résolution. Si on attend quelque fin, comment et par quel moyen ? Si c’est que l’ordre s’y mette de lui-même, quelle imprudence est-ce de laisser aller la navire sans gouvernail, et attendre qu’il arrive à port de salut. Le Roi ne peut mettre ordre, et, pour cette cause, il abandonne l’affaire et espère que par rencontre l’ordre s’y mettra. Pour vrai, l’ordre s’y mettra ; mais c’est l’ordre qui viendra de la multitude et de sa belle police, qui sera tel comme il a toujours accoutumé d’être, venant de telle main, c’est-à-dire la ruine entière et d’eux et de leurs maîtres.

Reste le dernier point. On attendra le Conseil. Il ne s’assemblera jamais. De quoi il n’est pas besoin d’alléguer les raisons, qui sont trop apparentes. Mais mettons qu’il s’assemble ; ce sera si tard qu’entre ci et là nous aurons eu beau loisir de voir tout ruiné. Et quand il sera tenu de bonne heure, quelle espérance peut-on avoir de faire tenir rien qui soit [mieux] ordonné que les princes ne le feront avec la force. Ainsi, quand ils auraient ordonné quelque chose au Conseil, en serait-il de même qu’à présent. C’est qu’il faudrait que le Roi en fit l’exécution, qui est en toutes choses le tout, et dès lors il commençât à faire ce qu’il devait faire à présent ; et faudrait, ou que la chose demeurât inutile, ou que le Roi y mit la main pour la faire observer à bon escient. Et pourquoi attendra-t-il jusque lors, puisque le mal est à cette heure si pressant et que, toujours ayant crû avec le temps, il serait encore lors plus mal aisé qu’à cette heure.

Mais il y a plusieurs inconvénients à refuser l’intérim. Premièrement, on allègue qu’il n’est pas nouveau qu’en un empire, sous même prince, les sujets vivent paisiblement, alors qu’ils tiennent diverses religions. Sous l’Empire romain, il y avait autant de religions que de nations, et toutefois, à cette occasion, il n’en vint jamais aucun inconvénient mémorable. Encore aujourd’hui le Grand-Seigneur a sous sa main des peuples, non pas seulement de diverses opinions, mais directement contraires, et plusieurs villes d’Allemagne et de Suisse se sont maintenues de notre temps en cette diversité.

Davantage, il ne faut pas croire que l’empereur Charles cinquième étant en même trouble en Allemagne, auquel le Roi se voit maintenant, permit l’intérim de son gré ; mais il prit ce conseil vaincu par les circonstances et obéissant à la nécessité du temps. Et nous en sommes en même désordre [de sorte] qu’il ne faut pas faire difficulté d’accorder ce qu’on ne peut refuser. Et puisque les nouvelles églises sont tant, et de si grande multitude d’hommes, c’est folie de penser ou espérer de les supprimer, et c’est plutôt un souhait qu’une délibération. Ce sont, à peu près, les raisons qu’on déduit. Mais il est bien aisé de répondre à ce qu’on dit que, souvent et en beaucoup de lieux, plusieurs religions se sont comportées en une république. Quant aux vagues superstitions des gentils, il ne se faut pas ébahir s’il y en avait : autant de pays et autant de diverses façons de religion ; car elles étaient toutes compatibles et une ne tendait pas à la ruine de l’autre, pour ce qu’ils étaient tous d’accord qu’il y avait des dieux sans nombre. Et bien que chaque peuple eut les siens, si ne condamnait-il pas les dieux de ses voisins pour les avoir autres, pour ce que la race de leurs dieux ne refusait point compagnie. Entre nous, tout au contraire, et c’est pour autant qu’il est bien aisé que tant [de] diverses opinions toutes fausses s’y comportent. Mais d’accoupler la vérité et le mensonge il est impossible, de tant que l’une nécessairement chasse l’autre. Ainsi toutes les erreurs des anciens se souffraient bien ; mais dès lors que la vraie clarté de l’Évangile est venue, qui démentait toutes les idolâtries des gentils, lors a commencé de se manifester l’incompatibilité de la religion vraie et des fausses. Et oncques ce combat n’a cessé jusques à tant que la vérité a vaincu le mensonge et que la lumière a chassé les ténèbres. Or, tout ainsi que notre loi ne pourrait souffrir aucunement le paganisme, ainsi en soi elle ne peut souffrir diverses sectes, étant la vérité une, pure et simple, et n’entrant jamais en composition avec ce qui est faux et abusif. Et c’est vouloir faire violence à la naturelle pureté de notre foi, de penser qu’elle ait quelque naturelle communication avec ce qu’elle rejette. Quant aux chrétiens qui vivent sous la tyrannie du Turc, il est bien aisé à voir que cela n’a rien de semblable avec notre propos. Le Grand Seigneur fit la guerre aux empereurs grecs, et, à la fin, détruisit entièrement cet empire ; et depuis a usé de la Grèce, Macédoine et Esclavonie comme de terre conquise ; et les habitants, battus de la longue guerre et réduits à une extrême misère, s’estiment trop heureux que le Grand Seigneur les laissât vivre tributaires sous sa seigneurie, sans les contraindre de laisser leur foi. Et depuis ils sont tenus de sa cour et captivés en une si misérable servitude que ce n’est pas merveille si les Chrétiens peuvent vivre paisiblement avec les Turcs, mais c’est un miracle de la puissante main de Dieu qu’il y ait encore des Chrétiens.

Et encore j’ai opinion que le nôtre se comporterait plutôt avec le paganisme qu’avec l’hérésie. Ceux qui ont des biens divisés et bornés n’ont pas sitôt querelle que ceux qui ont des biens communs et en société, pour ce que communément c’est occasion de tous les différends que d’avoir quelque chose à départir. Notre religion, en ce pays-là, ne se mêle point avec l’autre et n’ont rien de commun ensemble. Mais c’est autrement en ce qui se propose, — vu la communauté d’une même créance que les deux parts ont, celle même est l’occasion d’attaquer la querelle sur leurs différends. Encore y a-t-il un autre point : que deux religions, quand elles sont toutes deux vieilles et enracinées de longue main, ne se querellent jamais, ni si volontiers, ni tant, ni si opiniâtrement que deux dont l’une est ancienne l’autre nouvelle ou toutes nouvelles, pour ce que la chaleur est à la première pointe ; et tout ainsi que l’on voit aux âges de l’homme que la jeunesse est bouillante et pleine de ferveur au prix des autres, ainsi, en toutes choses, les commencements emportent la plus grande part de l’ardeur et violence. Quant à l’exemple des villes de l’Allemagne et de Suisse, qui ont reçu deux religions, et [de] l’Empereur, qui accorde l’intérim, il ne faut pas tant prendre garde au conseil qu’ils ont pris, qu’on n’avise encore plus au succès qu’on a vu advenir de ce conseil. Car il est bon, en un mauvais passage, avoir quelqu’un qui passe devant pour essayer le gué. Mais il ne sert de rien d’en avoir, si, encore qu’il s’en soit mal trouvé, on s’est résolu de le suivre. Fut-il oncques un si misérable État que celui où l’Allemagne a été depuis l’an 1517 jusques à l’an 1553 et qu’il est encore ? Où a-t-on vu tant d’exemples de cruautés inouïes, de massacres, tant de nouvelles pertes, d’étranges hérésies et inconnues, si grande incertitude de religion ? Bref, tant de confusion et une perturbation si grande, que cette pauvre région peut faire pitié à ses ennemis mêmes. Et sans doute la cause n’est pas autre sinon que, la diversité des opinions y étant tolérée, et ayant grand nombre de grands princes, puissantes villes, chacun a voulu vivre à sa mode ; et, selon les diverses passions, ils se sont partis en opinions et y ont rangé leurs peuples. De sorte que, par ce moyen, il s’est engendré un mélange d’erreur, et de là vint infinité de calamités horribles. Ceux qui ont pris garde à l’état des choses qui se sont passées, savent bien qu’il y est mort, depuis ce commencement des troubles, plus de deux cent mille hommes.

L’Empereur fut contraint de permettre ce qu’il ne voulait pourtant, parce qu’il avait à faire non pas à son peuple naturel, mais à un grand nombre de grands et puissants princes, comme le duc de Saxe(¹), [le L]andgrave, le marquis de Brandebourg, le duc de Vitember, les villes d’Allemagne. Il n’avait pas là une pleine et entière domination comme sur ses vrais sujets ; et, davantage, il fallut qu’il reçût cette condition de ne contreroller personne pour assembler en un les forces de l’Allemagne, afin de résister à l’armée du Grand Seigneur, qui venait lors à Belgrade. Au contraire, notre Roi n’a qu’à faire à son peuple, et duquel il est pleinement et absolument maître et seigneur ; et, en lieu que la crainte du Turc mène l’Empereur à cette extrémité de laisser vivre chacun à sa mode, tout au contraire les avertissements de nos voisins nous somment de ne le faire pas.

Reste ce point qu’il n’y a lieu de consultation là où il est impossible de faire autrement, et qu’à cause de la multitude des églises nouvelles, il faut céder à la nécessité, contre laquelle aucune raison ne peut valoir ; or, à cette occasion, puisque le Roi ne veut introduire la nouvelle, [mais] du tout maintenir l’ancienne, [je crois] qu’il n’y a que ce moyen de les maintenir toutes deux.

Premièrement, je dirai ce qu’il me semble être bon de faire, et puis après il faudra voir s’il est possible de l’exécuter. Mon avis est de commencer par la punition des insolences advenues à cause de la religion, et après ne laisser, comment que ce soit, [qu’]une Église, et que ce soit l’ancienne, mais qu’on réforme tellement celle-là qu’elle soit en apparence toute nouvelle, et en mœurs toute autre ; et, en ce faisant, user telle modération qu’en tout ce que la doctrine de l’Église pourra souffrir, on s’accorde aux protestants, pour les ranger en un troupeau, faire revenir ceux qui ne seront trop délicats et leur donner moyen de se réunir sans offenser leur conscience, et non pas déchirer la part de Jésus-Christ en deux bandes, chose détestable devant Dieu, et certaine révélation de son ire, et indubitable présage de l’entière ruine de ce royaume.

Sur toutes choses et avant rien faire, il faut faire rigoureuse punition des forces publiques qui ont été faites par toute la France, car il est bien aisé de contenir en effet un peuple accoutumé et nourri à obéir par une médiocre sévérité au châtiment des fautes qui se font journellement ; mais il est impossible de remettre le populaire en train d’obéir, s’étant si lourdement débauché par une grande rigueur et un exemple afférent ; et si on ne lui fait voir la terrible face de la Justice courroucée, ils ne sauraient croire que le Roi fait autre chose que de se jouer avec lui et le flatter, et n’éprouve à bon escient sa puissance et son bras rigoureux. La miséricorde, rarement employée et avec jugement, est une belle et singulière vertu en un prince ; mais la clémence ordinaire et sans distinction de discipline est l’entière subversion de tout l’ordre.

Le moyen de châtier le peuple n’est pas d’en donner la charge aux gouverneurs des pays, car il faut qu’ils soient punis par la vraie et naturelle Justice. C’est la Justice qui a été outragée ; c’est elle qu’il faut rétablir, si le Roi veut régner. Et maintenant ce qu’on a principalement à faire, c’est d’enseigner les sujets du Roi à le révérer et les remettre en ce chemin de lui porter honneur ; et autrement il n’y aura jamais fin de cette malédiction.

Soit donc de chaque Parlement envoyée une Chambre pour passer par les lieux où les plus grands excès ont été faits, qui fasse les procès et les juge, et soit accompagnée des gouverneurs avec forces pour assister à ceux qui seront employés par la Justice, pour la capture et autres exécutions de leurs jugements. Que cette Chambre ne recherche en façon quelconque personne pour la religion, mais seulement vaque à la punition des insolences, de voies de fait et de forces publiques ; et encore, pour ce que le nombre est infini des lieux où tels excès ont été commis, il faudra choisir les endroits où sont advenues les plus grandes violences et si renommées qu’on ne le peut dissimuler ; surtout qu’il y ait punition des chefs et quelques exemples mémorables, mais rares, et en peu de lieux, comme rasement de maison et démantellement de ville.

Ce sera pour venger les injures faites au Roi, et pour disposer le peuple à recevoir à l’avenir les lois qu’il fera. On ne saurait croire de combien, après cette terreur, il sera plus traitable, plus facile à ranger, plus aisé à contenter.

Voilà le moyen de réprimer les insolences ; mais il faut aussi réformer l’Église ancienne, et, en la réformation, s’aviser de supporter ceux qui l’ont laissée, pour les rappeler.

Les moyens de s’accommoder sont de laisser indifférent de quoi ils s’offensent et dont nous sommes en controverse. Nous sommes en différend ou bien pour raison des choses qui consistent en opinions, ou bien à cause de celles qui gisent en observations et harmonies extérieures. Pour le regard des opinions on se trompe fort si on pense que tant d’hommes se soient séparés de nous pour la contrariété de l’opinion. En la plupart des choses, de cent mille hommes qu’il y a, par aventure, en France, aux églises réformées, il y en a, possible, deux cents qui savent de quoi il est question. Tous les autres savent bien qu’il y a différend, mais non pas qu’il y a grand peine, ni de quoi. Et cela se verrait si on leur proposait les différends qui sont les plus grands, comme du péché originel, de la prédestination, de la providence, de l’élection et réprobation, de la justification, des œuvres de la foi ; si la foi est simplement créance ou assurance de son élection ; s’il suffit d’être enfant des fidèles, ou si le baptême extérieur est nécessaire à salut ; si le corps et sang de Jésus-Christ en l’Eucharistie, est reçu corporellement, comme disent les catholiques, et Luther, ou seulement en foi, comme dit Zwingle et Calvin ; si la substance du pain demeure, comme veut Martin [Luther], ou si elle n’y est plus, comme veut l’Église romaine. Lors connaîtra on clairement qu’ils ne se sont point séparés pour pensée que nous ayons en cela mauvaise opinion, car ils ne savent ni la nôtre ni la leur ; et souvent, à les en ouïr parler, ils parlent aussitôt contre leur doctrine que contre la nôtre. Mais c’est l’autre différend qui les fait désunir, nos cérémonies et observations ; car cela est visible et consiste en l’apparence extérieure, à quoi le populaire a toujours coutume de s’arrêter plus qu’à nulle autre chose. Et en cela, à mon avis, si on y prend garde, de ce quoi ils se scandalisent le plus est ce que nous pouvons accoutrer le plus aisément, sans faire aucun tort à notre doctrine. Il est vrai que je ne prétends pas contenter les chefs de leur religion, qui ne seront jamais satisfaits, quelle mine qu’ils fassent, sinon qu’on leur laisse une grande domination, un empire spirituel en tout semblable à celui du Pape, sinon en la magnificence qui se voit par dehors. Mais je parle de contenter le grand nombre de ceux qui ont quitté notre Église, où ils avaient été faits chrétiens, pour les scrupules qu’on leur a mis devant les yeux ; de ceux là, veux-je dire, et de la plus grande part, que ce qui les scandalise le plus en notre Église, c’est ce que nous pouvons ou laisser du tout ou rhabiller sans aucun préjudice de notre cause.

Ils ne peuvent souffrir l’usage des images. Pourquoi pense-t-on que ce soit ? Si dans les Églises on n’eût fait autre chose des images, sinon de les tenir comme des autres pierres et l’autre bois, qui eut été si délicat de le trouver mauvais, puisque personne ne se scandalise de voir aux maisons les tableaux, les portraits, les tapisseries, les images taillées ? Mais en autre manière en use-t-on aux temples et autrement dans les maisons ; car, aux maisons, les portraits y sont pour servir vraiment de ce à quoi il convient les employer : c’est ou pour l’ornement, ou pour la mémoire des personnes représentées, ou pour tous deux ; et n’y a aucun qui là porte chandelle aux peintures. Mais aux églises, au contraire, on leur baise les pieds, on y fait offrande, on les vestit, on les couronne. Qu’on commence de faire cela même aux tapisseries des maisons, et commencera de réprouver la tapisserie. Ainsi il est aisé à voir que ce qui offense les protestants n’est pas la chose, car [autrement] ils la trouveraient mauvaise partout, mais l’usage. Donc que nuira-t-il d’ôter ce qui ne sert de rien à nous et à eux leur fait un grand scrupule et les jette hors de l’Église ? Conservons, puisque l’Église l’a ordonné il y a douze cents ans, c’est-à-dire aussitôt qu’il y a eu des temples et que notre foi a été publiquement reçue des princes, les images, mais avec le vrai et pur usage, selon l’ancienne intention : c’est qu’elles servent au temple pour la mémoire des martyrs et pour l’ornement et décoration du lieu destiné au service de Dieu, et ôtons, ce qui est advenu, de les honorer servilement.

Soit donc ordonné que les peintures et images taillées demeureront aux temples sans plus, pour la mémoire et décoration ; y soit admonesté le peuple qu’elles n’y sont que pour leur donner occasion de s’enquérir de la vie de ceux qui sont représentés, afin de les honorer et encore plus d’essayer à les imiter.

Au reste, qu’il soit défendu de porter chandelles, de faire offrandes, de les baiser ni couvrir, de les vêtir ni couronner de fleurs, ni faire aucun honneur extérieur. Ainsi le peuple sera hors du danger de tomber en idolâtrie, et les adversaires n’auront plus occasion de trouver non plus mauvaises les peintures aux lieux publics que dans les maisons privées, et la chose sera remise en son premier et naturel état.

Des reliques tout de même, qui s’offensera qu’on les garde soigneusement aux temples, si on ne les adore point, comme Eusèbe narre que les Chrétiens firent de Polycarpe, disciple de saint Jean, duquel bon et saint marin, après que le corps fut brûlé, les Chrétiens amassèrent les cendres et les gardèrent, mus d’une bonne et sainte affection. Qu’on ne fasse que ce qu’ils firent et il n’y aura rien que les plus dégoûtés puissent trouver étrange. Qu’elles soient donc gardées honorablement, mais sans les présenter aucunement à baiser ni adorer ; qu’à raison de ce, qu’il soit défendu d’en prendre ni donner rien, mêmement pour ce, qu’on ne peut ignorer que les imposteurs en aient supposé une infinité de reliques fausses ; en sorte qu’on ne saurait faire plus grand tort aux saints dont on a les vraies, que d’honorer toutes celles qu’on montre indifféremment, puisqu’elles sont toutes mêlées et sans différence, étant certain qu’une partie, et la plus grande, ne sont que les instruments de l’avarice du clergé corrompu.

Ayant ainsi ôté l’abus des images, voilà le lieu pour en partir, et déjà c’est le moyen de remettre le peuple en sa première société, quand le scrupule du site de l’assemblée ne les empêchera plus de converser ensemble ; car sans doute c’est un grand point gagné pour la réconciliation d’amitié, si on peut s’accoutumer à se voir et qu’on ne fuie pas la mutuelle conversation.

Au surplus, ils n’ont en leur église que trois choses : la prédication, la prière et l’administration des sacrements.

Quant aux deux premiers, il est aisé de s’accommoder ; le dernier est plus difficile.

Pour le regard de la prédication, qu’il s’en fasse deux toutes les fêtes : une le matin, auquel le prêcheur pourra librement prêcher de toutes choses, et en prêchant, disputer et débattre, toutefois sans rien avancer sur la doctrine de notre Église ; et à celle-là ceux qui ne peuvent porter d’ouïr parler contre leur opinion ne se trouveront pas, s’ils ne veulent. Aussi est-il croyable que les services accoutumés d’être faits le matin les en garderaient. Mais qu’il y en ait un autre après dîner, lequel je voudrais être fait non par religieux, mais par séculier, comme aussi les canons anciens défendent la prédication aux gens de religion, afin que tous pussent y venir sans scrupule, et qu’il soit défendu à celui-[là] de rien disputer ou proposer, ni pour ni contre, qui soit des points qui soient en controverse, lesquels on baillera par articles. Mais que le prêcheur enseigne purement l’Évangile et le déclare, et fasse ce qui est le principal de son devoir : c’est de porter à suivre les commandements de Dieu, et réprimer les vices. S’il vient sur les lieux qui sont employés de l’une et l’autre part, qu’il ne fasse sans plus qu’interpréter le texte et le traduire en français ; et si on trouve malaisé qu’il puisse tenir ce moyen, qu’on considère combien est grand, et beau le sujet de la prédication, encore qu’il n’entre aux disputes, si on s’emploie à enseigner les commandements de Dieu, ramentevoir la grandeur de ses bénéfices, représenter la vigueur de son ire contre les mauvais, inciter à obéissance et humilier et retirer les cœurs de la corruption du vice. Bref, qu’on prenne garde si les bons et saints Pères ont eu faute de matière en leurs homélies, pleines d’une sainte pureté et d’une incroyable élégance, et toutefois ils étaient morts mille ans devant que toutes les questions qui sont aujourd’hui fussent mises en avant. Il faudrait ordonner peines contre ceux qui contreviendront à cet article, et, à l’entretien de cela, que non seulement les prélats, mais aussi la justice tint la main.

Quant à la prière, il ne saurait être que fort bien, qu’au sermon d’après-dîner, le prêcheur fit une solennelle prière en français, telle quelle, à lui prescrite par quelques modestes théologiens, comme il serait bien aise de la faire, bonne et sainte, et telle qu’aucun ne s’en saurait plaindre ; et à ces prières, celui qui tiendra le lieu du privé, comme écrit saint Paul aux Corinthiens, répondra Amen ; voire tous les privés, c’est-à-dire tout le peuple, comme dit Justin martyr, en sa seconde apologie pour les chrétiens.

Reste l’administration des sacrements.

Quant au baptême, nous sommes tous d’accord que l’eau seule y est nécessaire et la façon solennelle que Dieu même ordonne de sa bouche, au dernier de saint Mathieu, baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; voire que l’Église a toujours tenu les Arméniens pour hérétiques, à cause de ce qu’ils estimaient que le baptême n’était pas bon sans chrême. Or, je pense qu’en ce sacrement, il ne faut rien changer de ce qui est accoutumé en l’Église, pour deux raisons : l’une, de tant qu’en ce sacrement qui est l’entrée au royaume de Dieu, auquel nous faisons profession de notre foi et du nom de Chrétiens, on ne peut rien inventer sans impiété, car tout est selon la primitive Église ; de quoi nous ne pouvons, puisque Denis, soit-il l’Aréopagite, soit-il l’évêque de Corinthe, fait expresse mention de l’insuflation et exorcisme, et Tertullien au livre du baptême, et saint Cyprien au Chrême, au premier livre, en l’épître XIIe, et saint Augustin en plusieurs lieux. Aussi je vois que Luther s’est pas fort soucié de ce qui se fait en l’Église, quant au sacrement, et Calvin même, et ceux qui le suivent, condamnent les anabaptistes qui se font rebaptiser, comme les catholiques anciennement rebaptisaient ceux qui avaient été lavés par les Paulianistes et Cataphryges, ainsi qu’il est ordonné au concile de Nicée.

Aussi trouverais-je fort bon d’ajouter une chose qui serait grandement profitable pour l’édification et commode pour contenter ceux qui se sont séparés : c’est qu’après la solennité accoutumée au baptême, celui qui baptiserait fit, en français, une explication des promesses de Dieu, en ce sacrement, et déclaration de ce qu’il signifie, et la grâce qui lui est conférée. Et il serait bon que cette exhortation fut composée par quelque théologien, et amateur de la concorde, qui put servir à tous pour cet usage, afin de la lire en langage intelligible.

Le second sacrement que l’Église met en ce compte est la confirmation, qui consiste en deux choses : et l’imposition des mains pour confirmer, et l’onction. Quant à l’imposition des mains, on ne peut craindre en cela aucun mécontentement de personne. Car si on commence de la faire par manière d’acquit seulement, comme la plupart des choses se font, mais pour en tirer fruit, qui pourrait nier qui ne fut une sainte institution ? Et si on revenait à la première ordonnance, qu’on interrogeât ceux qui ont commencé d’entrer en l’âge de connaissance des articles de notre foi et qu’avec imposition des mains l’évêque priât sur eux, à ce qu’ils reçussent le Saint-Esprit, il ne se pourrait nier que ce ne fut selon la coutume des Apôtres, comme il se voit au VIIe des Actes, et Calvin même proteste de ne s’en offenser. Quant au surplus de la chrême, à raison de ce, on ne peut craindre qu’aucun craigne d’être en notre Église, car on sait bien que de tout temps jamais la centième partie en la plupart des lieux n’ont reçu cette onction.

Pour le regard de la communion, où semble être plus grande difficulté, si on veut entendre sans contestation à la régler, je crois, si cela était fait, que peu de gens feraient difficulté de la recevoir en notre Église. Premièrement, pour le regard de la communication du calice aux laïcs, je ne vois pas pourquoi on y doive résister et s’opiniâtrer si fort, voyant les troubles avoir passé si avant. Aucun ne nie que l’Église ne puisse accorder la communication sous les deux espèces, de [la] sorte que le pape Paul l’accorda aux Allemands. En outre, on sait bien qu’aucunement les laïcs communiqueront aussi, dont saint Cyprien fait expresse mention, et Justin, et infinis autres. Puisque donc que l’Église peut octroyer le calice aux laïcs, et l’ôter, pourquoi n’aime cela mieux employer à sa puissance à le bailler qu’à le refuser, puisque à le bailler il y a espérance de paix, et à le refuser grand trouble ?

Aussi puisque la figure de Jésus-Christ importe au sacrement, n’en faisons point d’instance et ne combattons point contre les délicats pour chose qui n’est pas de conséquence.

Quand on baillera à communier, qu’on dise à la table, en français, l’institution de la Cène, prise d’un des Évangiles ; car, puisque la consécration est faite devant, cela servira pour inciter la foi des communiants, en quoi il n’y peut avoir aucun danger d’immutation de doctrine, mais plutôt édification et encore moyen d’accord.

Qu’avant la Cène, il se fasse un sermon de la dignité du sacrement, de la preuve que chacun doit faire de soi-même de la grande bénignité de Dieu, de la foi, de la contrition que chacun doit apporter à cette table ; mais que ce soit sans aucunement entrer en dispute sur les opinions ni de Luther, ni de Zwingle, et à la façon des sermons qui se doivent faire les fêtes après-dîner.

Après ce prêche, une prière, et puis soudain la communion. Ainsi on suivra la même forme qui est mot à mot déduite par Justin martyr, en la seconde apologie pour les Chrétiens.

Deux ou trois semaines devant, aux prêches du matin, les prêcheurs pourront avoir apprêté leur troupeau à communier dignement, et disputer encore s’ils veulent éprouver notre doctrine ; et aussi aux sermons d’après dîner, sans rien débattre, le prêcheur pourra avoir disposé la conscience des auditeurs.

Quant au sacrement de pénitence, il n’y faut avoir occasion d’estriver, sinon pour le regard de la confession ; mais, pour tant générale que soit la coutume de l’Église que chacun confesse ses péchés, toutefois c’est aussi la coutume qu’on ne recherche point qui s’est confessé, ni qui ne s’est pas. Je ne suis pas d’avis d’user maintenant d’une recherche curieuse lorsqu’il en est moins besoin, même que si l’Église comme bonne mère attend patiemment et supporte ses enfants égarés, je ne fais nul doute qu’avec le temps tous ne soient bien contents de revenir à une si bonne et si sainte institution que la confession, pourvu qu’elle soit remise à sa première façon, et si on en use avec plus de crainte et de respect, et principalement si la personne des confesseurs recommande la chose. Qu’il soit donc défendu d’en prendre rien ni d’en bailler, et qu’on ôte ainsi la vilité de ce malheureux gain ; qu’on mette quelque moyen [terme] aux scrupuleux dénombrements de la circonstance des péchés : qu’on regarde cela selon sa directe et véritable fin, c’est que le confesseur par une exhortation fasse avoir horreur du péché et appelle le pécheur a vraie contrition et pénitence, non pas comme par ci-devant que tout se faisait pour contenter seulement et sans fruit. Qu’on honore la chose de la suffisance de ceux qui seront employés au ministère. Qu’il y ait jours à part destinés pour les femmes, assemblées en un lieu, afin qu’elles aillent publiquement à la privée confession pour éviter soupçon, et qu’après la confession il se fasse un prêche pour exalter la pénitence. Je ne saurais croire qu’avec le temps on ne vienne à reconnaître que c’est une bonne et sainte tradition de l’Église universelle, n’ayant rien en soi qu’une reconnaissance des fautes du pécheur et douleur du péché commis, avec humble requête de pardon. Maintenant pour ce qu’on ne voit quasi rien que chaos en la dépravation, on pense que c’est un moyen de [nous] gagner inventé de nouveau. Si on le voyait inventé en sa vraie forme, on reconnaîtrait lors que c’est ancienne tradition qui est de tout temps en l’Église, à laquelle le plus dégoûté du monde ne saurait trouver que reprendre. Aussi saint Jean Chrysostôme, saint Augustin, et, devant ceux-là, le grand saint Basile, et encore avant lui l’ancien Origène, Tertullien qui est dans le siècle des Apôtres, font mention, voire de la particulière confession. Nous disions bien que pour bien juger de la doctrine, il ne faut pas considérer l’abus, ains l’institution en sa pureté. Mais cela est pour la dispute des savants et non pour l’usage du populaire, qui blâme ou loue la chose seulement par ce qu’il en voit, et ne songe pas à l’origine, ni si de soi elle est bonne, et n’a garde de juger de la confession par ce qui se devrait observer, mais par ce qu’il voit en l’usage commun et ordinaire.

Pour le regard du sacrement d’ordre, bien qu’il s’en fasse de grandes disputes, si est-ce qu’elles n’empêchent point cette union qu’il faut faire de ce peuple démembré. Car pourquoi empêcher[ait] cette dispute que nous ne vivions en une congrégation, puisque personne ne prend les ordres qui ne veut, et qui le veut les a en estime. Et toutefois je pense que tout le mal ou la plus grande partie vient de l’abus qui a été certain en cestui-ci et qu’il n’est point besoin de déclarer davantage, de tant que la faute est grossière et manifeste. Pour y remédier, il ne faut rien introduire de nouveau, mais seulement renouveler l’ancienne façon, du tout ensevelie, et en cela exécuter les saintes constitutions des Pères.

Premièrement, soit exactement gardé l’âge ordonné de trente ans, afin qu’ils ne portent pas le nom de prêtres sans cause.

Après, soit pour jamais ordonné le nombre des prêtres qui sera trouvé suffisant, selon le gouverneur de la charge, pour aider à celui qui sera le pasteur et aura la principale cure du troupeau.

En outre, et c’est le principal, pour que les noms des ordres ne soient pas de vains titres et une pure moquerie, mais vraies charges et offices en l’église.

Maintenant on en baille quatre tout à un coup, et puis le reste, sans que celui à qui on les baille serve jamais en sa charge, voire sans que celui-là qui les a pris pense avoir autre chose à faire, à cause de cela, sinon de bien garder ses titres.

Soit donc ordonné que vraiment par ordre, ainsi le nom le porte, qui sera fait premièrement ostiarius serve de cet état, selon la première institution, et ce par quelque temps certain. Après, quand il sera lecteur, qu’il fasse pareillement sa charge ; et d’exorciste de même, car aussi, anciennement, l’exorciste n’était pas seulement pour l’exorcisme ; et l’acolyte, puis du sous-diacre et diacre, le tout par certain espace ; et pour le dernier, qu’il soit fait prêtre, s’il a exercé partout bien son office. Par ce moyen, on conservera l’ordre en l’Église, on fera que l’état qui maintenant est vil reviendra à sa première dignité, et nous n’apprêterons pas à rire, comme nous faisons, aux adversaires, de bailler quatre offices successifs à une personne tout à un coup par égard seulement et non avec effet, et cela même pour ne savoir pas à grand’peine bien lire.

Au reste, les cures ne soient baillées qu’à celui qui sera passé par tous les ordres et en outre qui fera preuve publique, avant d’être reçu, de sa suffisance à prêcher et duquel la bonne vie soit attestée.

Et ne trouverais-je pas mauvais de prendre de ceux qui sont sortis de notre Église, pour en faire une nouvelle, une observation qu’ils ont : c’est qu’au synode les curés assemblés devant leur évêque nommassent ceux qui seront suffisants pour la prédication et pour avoir l’administration d’une église ; et que l’évêque, avec les curés, choisisse ainsi ceux qui auraient témoigné de leurs églises qui, après advenant le cas, pussent être envoyés à la cure d’un troupeau.

Et pour montrer que le Roi ne veut tenir la main aux abus qui se font à la trafique des bénéfices, il est nécessaire que désormais il n’en retienne pas devant ses juges aucune cause, et qu’on n’admette personne à demander en façon quelconque aucun bénéfice, ni le plaider. Car c’est à l’Église à demander son chef, et à l’évêque, avec le conseil des pasteurs qui sont sous lui, d’en pourvoir, non pas à aucun de s’ingérer ; de tant qu’il s’en déclare indigne par ce fait même qu’il le demande, qui est une espèce de simonie et ambition. Par ce moyen on abolirait toutes les résignations et autres tels fatras qui ne sont entrés dans l’Église que pour la ruiner de fond en comble. Ainsi le patronage des ecclésiastique s’en irait, et quant à celui des laïcs, on y pourrait aisément mettre tel ordre qu’on aviserait, de ne les intéresser trop, et néanmoins avoir plus de respect à la conservation de tout l’état ecclésiastique et au règlement de cet ordre tout corrompu.

Quant au dernier sacrement de l’extrême-onction, il n’en peut venir grand débat, de tant qu’on ne l’apporte à personne, si on ne va chercher les gens ecclésiastiques pour l’administrer.

Reste la sépulture, en laquelle on a accoutumé de montrer par les cérémonies extérieures, qu’on appelle deuil, la douleur intérieure, mettre les morts en certain lieu et faire commémoration d’eux et prières pour eux. Je m’assure que rien de tout cela n’eût scandalisé personne, si, ce qui était de soi bon, n’eût été tant couvert de corruption, et l’abus que quelques-uns, de leur naturel peu patients, n’ont pas eu la discrétion de regarder à l’institution, mais, seulement par dehors, à ce qui se fait : qui est ainsi qu’il se pratique, une pure marchandise et violente trafique. On veut là tirer au mort la couverture de son coffre, [on mesure] la lumière qui éclaire. À ceux qui prient on marchande combien de messes, si elles seront basses, si elles seront hautes ; on met à prix le son des cloches et mille autres telles indignités, lesquelles ôtées, il ne restera qu’une sainte cérémonie, pleine de piété, laquelle, à mon avis, sera enfin goûtée et reçue de tous. Non pas, par aventure, sitôt de maint un qui est dégoûté, mais pour le moins on peut espérer que ce serait avec l’aide de quelque nombre d’années. Qu’on fasse donc seulement ce qui se trouve avoir été fait de tout temps, que chacun pleure sur son mort, comme parle la Sainte Écriture, mais de cela que la France soit libre. Qui le voudra pleurer avec le chaperon et montrer par l’habit la douleur, qu’il le fasse. Qui ne voudra faire ainsi n’y soit point contraint. Mais que l’Église n’aille point chercher le corps, qui n’est autre chose que le quêter, et, comme disent ceux qui ont envie de reprendre, aboyer après la charogne. Quand la famille du mort aura porté le corps au lieu destiné, comme nous sommes en cela tous d’accord que l’Église fasse commémoration du mort et prie pour lui en ses prières, aux services accoutumés et ce dans le temple seulement ; mais à tous également et sans rien prendre, ni plus ni moins, pour les pauvres que pour les riches, et sans en être requise, mais de soi-même, pour faire ce qui est en elle. Et serait bon de n’approuver aucun légat pour faire faire service aucun en l’Église ; ainsi, pour éviter tout soupçon de gain déshonnête et ne profaner la chose sainte par le commerce, faire également pour tous règle prise sans aucune distinction. S’il se faisait ainsi, serait-ce pas du tout fermer la bouche à la calomnie ? On commencerait donc à trouver bonnes les raisons comme elles sont qui montrent que les oraisons pour les morts sont pleines de piété, et au contraire l’autre opinion inhumaine et accompagnée d’irréligion et d’une cruelle ingratitude. Au reste, en ce faisant, attendons que de tout on se rangeât à même opinion peu à peu, car les maladies de l’esprit ne se guérissent point autrement. Il n’y aurait aucun qui se put offenser, car personne ne serait contraint de faire prier Dieu pour les morts, de tant que l’Église d’elle-même prierait, ni de faire emporter le corps hors de la maison avec chants funèbres, quand il serait en sa puissance d’ensevelir son mort.

Rien ne se fasse en l’Église, je ne dis pas à prix d’argent, mais du tout où il y intervienne aucune mention de marché ou don, ni accordé ni volontaire. Que cette règle soit seulement gardée et on verra, en moins de rien, tous les abus survenus tomber de soi-même, et ne demeurer rien que la pure et saine doctrine de l’Écriture, et ce qui est des traditions des Apôtres et de l’Église ancienne, desquelles je pense l’observation être nécessaire.

J’ai mis en avant ces moyens, non pas que je pense qu’il fallût nécessairement en user ainsi, ni pour opinion que j’aie qu’il n’y eût beaucoup d’autres meilleurs expédients ; mais seulement pour montrer ce chemin, m’assurant que si ceux qui ont expérience des affaires et sont pourvus de vertu suivaient sa trace, il serait aisé de trouver ainsi une réformation qui remettrait l’Église en son honneur et première splendeur et qui ferait aimer et révérer ses ennemis. On userait d’une telle modération qu’on ferait d’une pierre deux coups, de tant qu’on donnerait sa première forme à l’assemblée de Dieu, et si, on s’accommoderait à ceux qui s’en sont séparés pour les y rappeler : ce que je pense être nécessaire, comment que ce soit, afin qu’il n’y ait point deux Églises ni deux polices, qui est la vraie semence de tous les malheurs du monde, qui nous sont déjà sur la tête, si on ne pourvoit à détourner cette tempête.

Mais en cela il y a deux difficultés : l’une par qui sera fait ce règlement et qui en a le pouvoir ; l’autre comment le pourra-t-on mettre en œuvre et exécuter ce qui sera ordonné. Quant au premier, pour le dire en un mot, je crois que votre compagnie doit arrêter la réformation, sinon pour le regard de certains points qui sont bien peu ; car d’attendre que les évêques le fassent par un concile provincial, c’est attendre par aventure le remède du lieu dont vient le mal, et il faut tenir pour dit qu’ils ne le feront point. Et de ma part je les excuse aucunement, car maintenant que des ecclésiastiques les uns sont tous les jours au danger de leurs vies, les autres voient leur fait en un merveilleux trouble, ce n’est pas bien la saison qu’ils prennent le loisir de penser à une exacte réformation. De faire un colloque de théologiens il ne succéda jamais bien en Allemagne à l’Empereur et ce n’est qu’irriter les parties l’une contre l’autre, même que chacun soutient son règne avec passion. Ainsi il faut que ce soit votre assemblée, si on délibère de le faire jamais, ou pour le moins si on a envie d’en tirer quelque fruit assez à temps devant la ruine. Et donc les laïcs feront-ils des lois sur l’Église et jugeront-ils de la doctrine ? Premièrement, je m’ébahis que le Roi fasse scrupule de mettre la main à l’extirpation de si grossiers abus et visibles, et qu’il se fait conscience de souffrir et autoriser l’introduction d’une nouvelle Église, qui ne se bâtit que de la subversion de la nôtre, laquelle a été fondée en France aussitôt comme la foi chrétienne y a été plantée. Il nous fâche de nous employer à rhabiller la nôtre pour la conserver, et on tient bien la main par une pernicieuse patience de la laisser du tout détruire et anéantir, pour en publier une déjà corrompue clairement dès sa naissance et pleine de plusieurs erreurs déjà condamnées. Mais encore il appert évidemment qu’il ne se faut arrêter là ; car, excepté deux ou trois points de ce que j’ai dit, tout le demeurant n’est point chose que le Roi ne puisse et ne doive faire et ne l’ait accoutumé. Un seul évêque la pourrait faire à ses constitutions qu’on appelle synodales. Aussi les synodes, en chaque diocèse, n’avaient été instituées pour autre raison qu’afin de rhabiller à cette heure ce qui se gâte en l’ordre ecclésiastique, pour ce qu’il n’est possible, ni que le corps humain se maintienne en santé sans purgation, ni un bâtiment sans réparations ordinaires, ni quelque police que ce soit sans corriger à toute heure ce qui s’empire et remettre en leur lieu les parties qui se jettent hors de leur place. C’est vraiment l’office du Roi de tenir l’œil, non pas pour usurper rien de l’autorité ecclésiastique, mais pour [la] conserver en son état. Il n’y a rien qui soit contre les constitutions ecclésiastiques, mais au contraire qui ne soit clairement conforme aux conciles et saints décrets. Or, sait-on bien qu’en France, le Roi qui est protecteur de l’Église gallicane, peut empêcher qu’on y contrevienne, et l’a toujours ainsi fait. Or, à cette occasion, en ses cours de Parlement, on y débat ordinairement les dispenses des Papes et les provisions qui sont contraires aux saints décrets ; et les gens du Roi interjettent appellation des ressorts octroyés contre les conciles, et aux états derniers le Roi n’a pas craint d’ordonner une certaine forme pour l’eslation des évêques, en quoi sans doute consiste la plus grande part de l’état ecclésiastique, et plusieurs autres édits ont été faits, en répondant aux cahiers, qui tendent à même fin. On doit donc faire comme les bons et savants médecins, qui trouvent aux plus venimeux animaux et aux herbes les plus mauvaises quelque chose de bon pour la santé ; et nous aussi, du malheur de ce temps tirerons cette commodité qu’on pourra régler l’Église, sinon du tout, au moins aucunement, pour ce qu’elle se laissera panser(¹) à cause de sa faiblesse, là où étant en sa prospérité, elle n’eût jamais souffert la main du chirurgien. S’il faut déclarer les articles de notre foi, s’il est besoin d’arrêter quelque doctrine ou de donner interprétation à l’Écriture, lors faut-il déférer à l’Église et lui rendre obéissance ; et encore s’il fallait faire quelques nouvelles constitutions pour la police du clergé, il s’en faut reposer sur elle. Mais si, à faute de célébration des anciennes, le prince la voit en extrême péril et quasi hors d’espérance de salut, ne fera-t-il pas l’office de bon fils, et obéissant, de s’employer de tout son pouvoir à la relever et lui tendre la main, pour la remettre au premier chemin, duquel s’étant écartée, elle n’a jamais cessé d’aller en décadence, jusques à tant qu’elle est venue jusques à l’extrémité. Je m’assure qu’en tout ce qu’il faudra faire, il n’y aura rien que le Roi ne le puisse de son autorité, rien qu’il n’ait fait souvent et, par aventure, entreprenant plus sur les ecclésiastiques, et, pour certain, leur profitant moins qu’il ne ferait à ce coup. Voire, j’ai bien cette opinion que pour le regard de quelques articles, comme de la permission du calice aux laïcs et autres, s’il y en a de quoi il faille parler au Pape, qu’il les accordera volontiers. Autrefois, en moindre besoin, l’a-t-il accordé à l’Allemagne, et maintenant je ne fais doute qu’il ne trouve bonne cette réformation, pour ce qu’il ne pourra nier qu’il n’en faille, et quand il ne le ferait pour la conscience, encore le ferait-il pour la conservation de sa puissance, voyant en ce royaume sa supériorité si fort ébranlée, même quand on l’avertira que par même moyen la nouvelle Église sera rompue et autrement il est malaisé ou plutôt impossible.

Voilà quant au premier point par qui sera faite cette réformation.

Reste l’autre, qui est la plus difficile : comment on pourra [parvenir](¹) à exécuter cette réformation.

En toutes choses qui concernent l’administration de quelque charge, soit en la police temporelle, soit en l’ecclésiastique, l’établissement de bonnes lois, c’est le moindre, mais la provision de ceux qui doivent administrer l’affaire, c’est le principal, et à mon avis le tout. Toutes lois sont mortes et se laissent corrompre et tirer en autre sens, et souffrent être renversées. Bref, elles ne se peuvent [si bien] défendre, que les mauvais ne prennent moyen et argument d’elles-mêmes pour faire les plus grands maux. Tout va donc à faire de bonnes lois vives, c’est-à-dire à faire bonne eslation de personnages suffisants, pourvus de bon entendement et de probité. Ainsi il n’y aura aucune espérance si les évêques ne sont secourus. Ils ne se sauraient démêler de ce trouble. On n’a pas prévu ce danger et grand hasard, et, pour cette cause, jusques ici, en la plupart des évêchés, le Roi a mis des évêques qui ne peuvent maintenant soutenir ce faix en ce grand besoin. Si est-ce que de là dépend toute, la restauration de cet état, qu’ils ne se fâchent donc point de prendre des conducteurs en leur charge, en laquelle, s’ils ont bon zèle, ils seront bien aises d’être soulagés et d’être aidés par même moyen à la conservation de leur troupeau. Ce n’est pas chose nouvelle : elle est ordinaire en Allemagne, où plusieurs évêques [ont des] coadjuteurs. Et quel inconvénient y a-t-il quand la charge augmente de prendre compagnons en cet honnête travail ?

De ma part je voudrais que tous en prissent, tant pour ce qu’il n’y a point d’évêché où il ne soit bien requis, vu la grandeur des affaires, et aussi d’en bailler seulement à quelques-uns ce serait rendre la chose odieuse et pleine d’envie et de jalousie. Les bons sans doute y prendront plaisir et les mauvais en ont besoin, et doivent plutôt remercier d’y être soufferts que se plaindre d’avoir des aides. Si on n’en use ainsi, que sert-il d’ordonner que tous les évêques résident, puisque la plupart sont tels que leur présance est plus scandaleuse que l’absence n’est dommageable ?

Il y a environ six vingts évêchés en France. Il faut que la cour du Parlement choisisse six vingts hommes suffisants, et amateurs de paix et de concorde, et désirant la restauration de l’Église, qui, après avoir fait profession de la doctrine selon l’Église catholique, même aux points qui sont en controverse, et avoir déclaré qu’ils tiendront la main de leur pouvoir à l’entretien des articles de la réformation qui leur seront baillés, seront nommés aux évêques pour les recevoir en la communication de la charge et du conseil, pour mettre ordre aux errements et faire l’office de prédication.

Je sais bien qu’il est impossible de remuer ainsi le monde tout à un coup ; mais toujours les choses empirent quand on n’y met pas la main, et il est bien temps meshui de commencer. C’est folie si on pense appliquer à un si grand mal des remèdes lénitifs. La saison de ce conseil est passée pièçà et maintenant on gâterait tout si on flattait cette plaie, car si on donne aux gens espérance de réformation et qu’après on les cuide payer d’une mine de correction légère, ils prendront cela pour moquerie et à cause de cette nouvelle opinion seront plus irrités et moins traitables. L’abus auquel il faut plus tâcher de remédier, et qui est plus malaisé, c’est d’abolir cette fiance, malheureuse persuasion qui s’est si fort enracinée : c’est qu’il n’en est guère qui n’estiment que le revenu des cures, et des dîmes assignées pour la nourriture et entretien des pasteurs, c’est [cette] espèce de bien qu’on appelle le bien d’église, là où cela ne devrait n’être autre chose que les gages du prêcheur et administrateur des sacrements, et le loyer du journalier spirituel. À cela faut-il pourvoir surtout et ramener cela à sa première nature.

Soit donc ordonné que les dîmes des cures et les autres revenus des personnes ecclésiastiques qui ont charge seront toujours publiquement baillées à ferme au plus offrant ; en baillant bonne et suffisante caution ; et soit toujours la ferme faite à la condition d’en bailler au curé même seulement un quartier, au terme du quartier, et non aux autres parties, ni en autres lieux, ni aux autres personnes, mêmement aux villes où, à cause de l’affluence du peuple, la continuelle présence d’un bon et suffisant pasteur est plus requise. Là où il faudrait que le revenu qui est destiné pour son entretien fût mis par les fermiers entre les mains des consuls comme deniers publics, où ils seraient gardés sans être employés à aucun autre usage, à peine de sacrilège, sans rémission.

Il faudrait du temps pour remettre la chose, mais la longueur qu’on peut craindre ne doit garder d’entreprendre, mais donner cœur de commencer, plutôt, de s’y employer plus diligemment ; et par aventure, si on y apporte bon zèle, on connaîtra que l’on en viendrait à bout dans moins de temps qu’on n’espérât. Il semble qu’il faudrait beaucoup d’années avant que pouvoir mettre au gouvernement des églises, hommes capables de cette charge au lieu de ceux que l’on y voit.

Il vaquera un grand nombre de paroisses, si le Roi, sans exception, et sans recevoir aucune dispense, commande à ses officiers de prendre le revenu de tous les bénéfices où les curés ne résideront ; et en peu de temps tout sera renouvelé. Si on ne reçoit les résignations, je pense qu’il ne se doive aucunement faire, ou encore qu’on en reçut, et néanmoins l’évêque en fit examiner avec son coadjuteur, et inquisitions des résignataires, quel[que] provision de Rome qu’ils aient. Tout de même sorte qu’il ferait, il y pourvoirait sans désignation.

Mais il faudrait dès cette heure, sans attendre, pour faire vivre, autres bénéfices ; car il est certain que les paroisses demeurant parties comme elles sont, elles ne sont suffisantes pour l’entretien honorable du pasteur ; et aussi il est impossible de trouver si grande multitude de personnages suffisants pour administrer un si grand nombre de paroisses. Donc dès à présent l’évêque doit unir les paroisses si la vacation s’y offre, ou détenir celles qui doivent être unies avenant la vacation.

Aussi faut-il que le revenu des cures fut grand, car il doit servir non au curé seulement, mais aux prêtres qui lui assisteront, tant pour lui aider à la prédication, comme il se faisait autrement, ou pour le service ordinaire, qu’au surplus de la charge et administration des sacrements.

Il faut qu’ils soient nourris du public, car il est nécessaire que tout gain cesse de ce commerce des choses sacrées si longtemps supporté.

Certain nombre sera prescrit des prêtres qu’on baillera à chaque curé pour jamais et des diacres, aussi des acolytes et autres ministres de l’Église, desquels les charges seront distinctes et séparées.

Tandis, en attendant qu’avec le temps la chose se parforce, on choisira le plus possible de ceux qui y sont à présent, mais en y ajoutant quelqu’un qui supplée le défaut des autres. L’âge de ceux qui devront être pourvus à chaque ordre sera spécifié.

Après Pâques, au synode, selon la coutume de l’Église, tous les curés s’assembleront devant leur évêque et sera cette assemblée employée à rhabiller les fautes de tous, et chacun d’eux à son tour sortira, pour être délibéré à ce que les autres auront à proposer contre lui, et amiablement seront les fautes ou blâmées seulement ou reprises aigrement ou punies comme il y tiendra.

Aussi sera lors avisé s’il y a aucun digne d’être reçu à la cure des âmes, et s’il s’en trouve quelqu’un, après l’avoir ouï prêcher, l’évêque l’enregistrera, pourvu qu’il ait d’ailleurs témoignage de sa bonne vie, pour le bailler pasteur au troupeau qui vaquerait par après.

Sans observer cette forme, aucun ne soit commis à cette charge.

Or veux-je, pour mettre en avant cet ordre, faire l’union, établir cette réformation et l’introduire, qu’aucun des évêques de France passerait, par tous les évêchés pour faire le règlement, avec tel nombre d’évêques et les coadjuteurs qu’il sera nécessaire. Monsieur d’Orléans(¹) est vraiment digne de cette charge et un autre avec lui qui ressemblerait, si on en pouvait choisir un qui ne fut si turbulent, ni [si] superstitieux que la plupart.

J’avais omis que les coadjuteurs auraient certaine portion du revenu de l’évêché, en certain lieu, qui leur serait baillée des fruits mêmes et non par les mains de l’évêque.

La réformation faite, soient cassées les nouvelles églises et tous les offices qu’on y a établis, et soit défendu, à peine de la vie, de ne prendre administration ni titres, comme de surveillants, ministres et tous les autres états, de la nouvelle Église, qui sont les appuis de cette dissension et vrais capitaines de la guerre civile.

Soit défendu, à peine de la hart, à autres qu’aux députés par les évêques, de dogmatiser ni administrer les sacrements. Qui prêchera, qui administrera autrement, soit puni de mort.

Qui assistera à telles prédications et administration des sacrements, soit puni d’amende pécuniaire.

Je crois qu’il y aurait de la rigueur si on ordonnait plus grande peine, et [même] qu’elle n’aurait pas tant d’effet. Il nous a apparu par expérience qu’usant de plus grande rigueur, on les contraignait à s’opiniâtrer et prendre le frein aux dents, et ne faut douter que cette façon de punir n’en détourne plusieurs à qui rien n’est plus cher que l’argent, même que l’exécution en sera facile et la multe certaine et non pondérable.

Il semble [qu’]en l’exécution de tout ce conseil il y aura grande difficulté ; mais, à mon avis, il n’y [a] que celui-ci par le moyen duquel on se puisse sauver d’une manifeste calamité, et à la panser il est plus facile que tous les autres.

Le nombre des catholiques est sans comparaison plus grand que des protestants ; tout le plat pays ne sait guère que c’est de cette nouvelle doctrine, et aux villes mêmes où elle a été reçue, excepté quelques-unes, et bien peu, leurs congrégations sont petites au respect des assemblées de notre Église. Ce qui fait estimer grande leur multitude en beaucoup d’endroits, c’est non pas le nombre, mais l’insolence, et aussi toujours, quoique ce soit, dix qui font quelque chose de nouveau paraissent plus que cent vivants à la commune façon et accoutumée.

Tous nos voisins étrangers nous donneront tant de loisir que nous voudrons pour abolir cette division et ôter l’Église nouvelle et réformer celle de nos prédécesseurs, là où, faisant le contraire, il est à craindre qu’ils empêchent l’exécution de quelque autre conseil qu’on saurait prendre. Il y a donc bien grande différence de faire une chose avec loisir et sûreté et paix et repos, en laquelle nous serons favorisés de tous les princes qui nous peuvent aider, ou nuire, ou attendre un remuement auquel ils nous donneront empêchement de tout leur pouvoir.

La reine Marie d’Angleterre a remis la religion ancienne, du tout abolie par le roi Édouard, et a bien pu y ranger son peuple, de son naturel barbare et rebelle ; et si ne réforme aucunement l’ancienne. Comment estime-t-on que le Roi l’entretienne, même en la réformant, vu que la plus grande part de son peuple la tient encore ?

Davantage, il est tout certain que la nouveauté a appelé plus de gens à l’église réformée qu’autre chose, et combien qu’il y en ait que le zèle et une affection de la religion a mis en cette assemblée, si est-ce que quiconque voudra juger sainement, il dira que la plus grande part s’y sont mis sans savoir quel différend ils ont avec nous, que la seule légèreté les a fait ranger à ce qui s’est présenté de nouveau.

Quand la nôtre sera ainsi réglée et réformée, elle semblera toute nouvelle et elle leur donnera grande occasion d’y revenir sans scrupule, pour ce qu’ils ne cuideront pas rentrer en celle qu’ils ont maintenant en haine et horreur, mais en une autre toute neuve ; de tant qu’après avoir nettoyé tant de si grandes taches et si apparentes dont elle est à présent couverte, elle présenterait une face tout autre, qui serait belle à voir et si aimable que les plus rebelles seraient conviés à se raccointer d’elle ; les abus les ont éloignés et la réformation les rappellerait. La curiosité les a fait entrer en l’autre pour voir que c’était et cela même les ramènerait en la nôtre. Aussi est-il croyable qu’il [y] en a une grande partie qui meshui sont las des troubles et seraient bien aises de cette honnête occasion de repos, sans aucune offense de leur conscience. Par aventure, au moment que cette dissension s’échauffe, ils n’eussent pas si aisément reçu cette composition, comme ils feront à présent, étant travaillés de tumultes, et de la division, et des frais qui sont grands à l’entretien de leur état ; et les gens de bien, et ceux qui ont de quoi, commencent d’avoir suspecte cette puissance du populaire et prendront grand plaisir de la voir réprimer ; et peu à peu, sans qu’on y prit garde, avec la mutuelle conversation, il s’est fait comme une réunion de courages et d’opinions qu’on n’eût osé espérer au commencement. Le temps a amené ceci et le temps l’admoitera, comme nous voyons que les opinions des anciennes sectes se sont évanouies, quand on les a laissé mourir en Églises séparées et en certain ordre.

En somme, il faut faire une rigoureuse punition des insolences et violences publiques commises sur les chefs et auteurs, et ce par la justice assistée des gouverneurs.

Il faut réformer vivement et promptement l’ancienne Église, rompre l’ordre et établissement de la nouvelle. Une chose pourra fort empêcher la réformation : c’est que par ce moyen le Roi perd la subvention des décimes qu’il prend du clergé. Mais sans doute ç’a toujours été et sera, si Dieu n’y pourvoit, un malheureux appât qui nous tire à notre ruine. Ce serait une chose étrange si le Roi prenait les décimes comme pour un loyer d’avoir abandonné la république, et s’il se laissait suborner par cet exécrable gain afin de tenir la main à tant d’indignités, et vilains et énormes abus, et cependant voyait devant lui tout son État se renverser et aller en désordre. Et se mécompte-t-on grandement, si on pense longuement jouir de ce tribut et si on en fait état ; car il est aisé de voir que dans un an pour le plus tard, en la plus grande partie de ce royaume les dîmes ne seront payées. Car déjà ceux de la nouvelle religion commencent à voir qu’ils entretiennent les membres de l’Antéchrist, en payant les dîmes aux prêtres ; et s’ils ont pensé la couleur bonne d’abattre les autels et les images, pour ce, disent-ils, qu’il faut ôter les instruments d’idolâtrie, pourquoi ne ceçoit-on qu’ils auront bien autant de prétexte de mettre en avant qu’ils font conscience de nourrir de leurs biens les loups du troupeau et de leur donner le moyen d’entretenir leur superstition. Même que l’avarice et la friandise se relève ce qu’ils baillent pour la dîme servira toujours de belles raisons, même étant piqués par une haine capitale qu’ils ont contre tout l’ordre des ecclésiastiques. Au reste, quand ceux de l’Église réformée ne refuseraient les dîmes, ceux de la romaine le feront, de tant que leurs curés ni leurs vicaires ne pourront faire à leurs paroisses aucun service accoutumé, comme déjà l’on voit dans presque la moitié de la Guyenne.

Davantage, puisque l’on voit que de ne réformer point l’ancienne et de la maintenir avec la nouvelle, c’est maintenir le trouble et provoquer, comme je pense, une cruelle et calamiteuse guerre, c’est folie de croire, si nous sommes en affaires, que ni le vrai revenu du Roi, ni les emprunts ni les décimes y puissent fournir ; si lorsque tout le peuple était uni sous un prince majeur, il n’a été possible d’en tirer tant de subsides qui aient pu satisfaire à la défense des guerres, de sorte que nous sommes devenus enfoncés en dettes infinies, qu’espérons-nous maintenant si nous y revenons, et pendant que cette monarchie démembrée en dissensions et discordes est entre les jeunes mains de l’enfance de notre prince ? Gagnons seulement le repos et n’ayons point de peine qu’il soit pauvre : si nous avons guerre, rien ne suffit, si nous avons paix, rien ne défaudra. Nous nous acquitterons, si ce n’est en six ans, ou au moins en douze.

Il n’y a pas deux ans qu’ils réputaient à grand heur d’avoir la vie sauve et ne priaient sinon qu’ils ne fussent contraints de faire profession d’une loi qu’ils estimaient fausse. Ce point en fut accordé, et, à mon avis, fort justement. Mais, soudain après, ils s’assemblèrent en maisons privées pour faire des prières. Le Roi, espérant les obliger, par cette bénignité, le permit. Ils n’ont pas eu sitôt gagné cet avantage, qu’en ces mêmes congrégations, où on n’avait parlé que de prier Dieu, ils ont passé outre et l’on a prêché et administré les sacrements. Le prince, les cuidant vaincre par sa clémence, l’a dissimulée, en espérant qu’ils s’arrêteraient là, puisqu’ils ne pouvaient prétendre qu’il leur fallut plus grande liberté pour vivre selon leur conscience. Mais quoi ! cette règle de conscience n’est jamais certaine, et ne saurait-on voir la fin de ce qu’elle produit. Ils ont trouvé des lieux publics, de quoi ils ont fait des temples, et ainsi ont clairement et ouvertement fait voir la séparation, et ont mis en évidence un ordre tout nouveau d’une autre république ecclésiastique. Encore le Roi leur a cédé, pour voir que demanderait cette licence, et pour essayer si en cette nouvelle réformation la vie répondrait en la profession. Ils ont depuis fait grande instance d’avoir des temples ; le Roi leur a déclaré qu’il ne leur en donnerait point, mais ils ne se sont pas arrêtés à si beau chemin. En plusieurs lieux, et, à mon avis, partout où ils ont cru être les plus forts, ils en ont pris [de] force et abattu les images et brûlé les ornements. Il semble bien qu’il n’était plus possible que le Roi l’endurât. Toutefois il l’a fait et a, possible, pensé qu’il y avait prou temples, et [que] quand bien les églises réformées n’en seront encore jetées, il en demeurait assez pour les autres. Qu’il n’eut dit que cette si grande et incroyable douceur de notre souverain eut amolli le cœur des plus barbares et qu’elle était suffisante non seulement à les convier de s’en tenir là et ne passer plus avant, mais encore de reculer plutôt et remettre quelque chose de ce qu’ils avaient usurpé. Incontinent, voici en beaucoup d’endroits, tous les ecclésiastiques, tous ceux de l’Église romaine, privés de toutes leurs cérémonies et réduits à une misérable servitude. Je ne veux rien dire plus avant et me suffit qu’il est aisé de connaître par là qu’à un déraisonnable et insolent demandeur de lui accorder quelque chose ce n’est pas contenter son désir, mais augmenter son audace.

Ils demandent l’intérim et des temples. Mais qui les donnera à ceux de l’Église romaine par toute la Guyenne, où ils sont maintenant en tel état qu’ils n’oseront servir Dieu selon leur religion et celle de leur prince, à peine de perdre la vie ? Les protestants demandent donc au Roi qu’il donne à ceux qui ne sont pas de sa loi ce qu’eux-mêmes ne donnent pas aux lieux où ils ont pouvoir par le droit de la force qu’ils ont usurpée. Mais encore prenons conseil des chefs de leur réformation. Je sais bien qu’il y a grand nombre d’hommes en Angleterre qui, en leur cœur, ne sauraient approuver la religion de leur reine et qui tiennent l’Église romaine pour la vraie et apostolique. Je me fais doute qu’il n’y en ait maint un encore en réserve. Mais comment pensons-nous qu’ils seraient bien reçus de leur maîtresse, s’ils demandaient temples, pour vivre à leur façon ? Comment les écouterait Calvin ? Il estimerait sans doute ceux-là qui le mettraient en avant turbulents et introducteurs de nouveauté, tendant à sédition, et, pour cette cause, le grand Athanase, il y a tantôt treize [cents] ans, répondit bien à Constantin, l’empereur, qui le priait de laisser un temple à ceux qui suivaient Arrius, dans la ville d’Alexandrie, d’où il était évêque : « Leur en laisserai, dit-il, quand ils en bailleront sept aux catholiques à Antioche », où Arrius avait fait recevoir sa doctrine.


NOTES


Page 106. — (¹) Ouvre, travaille, opère.

Page 108. — (¹) Le copiste, inintelligent ou inattentif, a perdu ici le sens de l’auteur, et a essayé de le ressaisir en se corrigeant. Nous avons tenté de le redifier, sans prétendre l’expliquer absolument.

Page 119. — (¹) En 1548, Charles-Quint avait présenté à la diète d’Augsbourg une sorte de concordat, désigné depuis sous le nom d’Intérim d’Augsbourg, par lequel l’Empereur concédait aux protestants la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres, jusqu’à ce que l’Église eût pris une décision à cet égard, par la voie d’un concile général.

Page 120. — (¹) Dans la Servitude volontaire, La Boétie a pris soin également de vanter la bonté des rois de France et la soumission de leurs sujets. (Œuvres, éd. P. Bonnefon, p. 43.)

Page 120. — (²) Ce tableau énergique doit être rapproché du langage que La Boétie mourant tint à Thomas de Montaigne, sieur de Beauregard, frère cadet de Michel et qui avait embrassé les doctrines de la Réforme. (Œuvres, p. 317.)

Page 121. — (¹) Garboil, querelle, grabuge.

Page 123. — (¹) À compter de la date de l’édit du 17 janvier 1562, cela indiquerait que le mémoire fut écrit vers la fin d’août ou le début de septembre suivant.

Page 124. — (¹) Ceci confirmerait la date indiquée ci-dessus et reporterait le propos relevé à une époque où il était parfaitement de mise.

Page 127. — (¹) Ce lieutenant du Roi est manifestement Charles de Coucy de Burie, que La Boétie accompagnait en octobre 1561. Mais faut-il voir ici une allusion à cette circonstance ? En ce cas, l’évaluation : « il y a neuf mois ou plus » serait un peu courte. L’auteur, d’ailleurs, embrasse ce qui s’est passé, « en Guyenne », « en moins d’un an ». Il est permis de trouver dans ce passage l’expression des sentiments que La Boétie avait gardés de sa mission à Agen et de son intervention auprès des huguenots. Son libéralisme n’avait pas été compris, et il voyait maintenant que la question religieuse servait de prétexte à l’exercice de bien des passions égoïstes.

Page 128. — (¹) Le dimanche 16 novembre 1561.

Page 129. — (¹) André Bodenstein, de Carlsbad (1483-1532).

Page 129. — (²) Ulrich Zwingli (1484-1531).

Page 129. — (³) Jean Husgen, dit Acolempade (1482-1531).

Page 129. — (⁴) Gaspard de Schwenkfeld (1490-1561), fondateur des Confesseurs de la gloire de Dieu.

Page 129. — (⁵) André Osiander (1498-1552).

Page 129. — (⁶) Matthias Flach-Francowitz, plus connu sous le nom de Flocius Illyricus (1520-1575).

Page 130. — (¹) Francesco Stancari (1401-1574), théologien italien, qui vécut et mourut en Pologne.

Page 138. — (¹) Le duc de Saxe était Jean-Frédéric (1503-1564), le landgrave de Hesse Philippe le Magnanime (1504-1567), le marquis de Brandebourg Joachim II (1505-1571), le duc de Wurtemberg Ulric VIII (1487-1550).

Page 163. — (¹) Passer pour Panser.

Page 165. — (¹) Il manquait évidemment le mot : parvenir.

Page 171. — (¹) Jean de Morvilliers, prélat et homme d’État, qui naquit à Blois le 1er décembre 1506 et mourut à Tours le 23 octobre 1577. Évêque d’Orléans depuis 1562, ambassadeur à Venise, il assista successivement au colloque de Poissy (1561), au concile de Trente (1562), et fut garde des sceaux de 1568 à 1570. Voy. G. Baguenault de Puchesse.