Discours pour la Bénédiction des Cloches de Notre-Dame de Paris

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Panégyrique de saint Vincent-de-Paul et discours divers
A. Le Clère et Cie (p. 239-261).

DISCOURS
pour la
BÉNÉDICTION DES CLOCHES DE NOTRE-DAME
DE PARIS.
Quæ est ista Religio ?
Que veut dire cette cérémonie ?
(Exod. xii, 26.)
Monseigneur[1],

Quelle est, mes Frères, la cérémonie qui nous rassemble et quel en est le sens religieux ? D’où vient que l’Église a institué une sorte de baptême pour la Cloche qu’elle suspend au faîte de ses temples, et pourquoi retrace-t-elle, dans la consécration d’un métal inanimé et insensible, la consécration même par laquelle elle sanctifie la créature humaine à sa naissance ? Car, remarquez-le, pour la Cloche qu’elle inaugure dans le temple comme pour l’homme à qui elle ouvre son sein, l’Église a des rites semblables ; des ablutions qui purifient, des prières qui bénissent, des onctions qui consacrent. C’est pour nous apprendre que, dans le baptême de la Cloche, il y a des effets extérieurs qui sont l’image des effets intérieurs et bien autrement divins du baptême sur nos âmes.

Dans le baptême, l’homme dépouille ce qu’il y eut de souillé dans son origine ; par son baptême, la Cloche dépouille ce qu’il y a de vulgaire et de terrestre dans sa nature. Par le baptême, l’homme reçoit une adoption surnaturelle et entre dans la famille de Dieu même ; par son baptême, la Cloche reçoit une adoption à sa manière, elle entre dans l’ordre des choses saintes et qui n’appartiennent plus aux usages profanes. Par le baptême, l’homme se transforme ; sans cesser d’être lui-même il devient un être nouveau, il est toujours homme et, de plus, il est fait chrétien. Par son baptême, la Cloche se transforme ; elle reste toujours un airain sonore et elle devient la voix du temple et de la Religion. Elle passe de la sphère d’ici-bas à une sphère nouvelle, la sphère du monde supérieur auquel elle est liée désormais et dont on ne peut la faire descendre sans la profaner.

Voilà, mes Frères, l’effet de la bénédiction qui va consacrer ces Cloches par la main vénérée du premier Pasteur. En ce moment encore, vous n’avez sous vos yeux qu’un métal vulgaire façonné par une main habile et qui ne se distingue en rien de l’airain que l’homme fait servir à ses usages. Suspendez ces Cloches à un édifice humain, aux palais de la cité, aux ateliers de l’industrie : ce ne sera qu’une voix terrestre de plus dans ce monde, la voix du travail ou la voix du plaisir et des fêtes. Mais, quand tout à l’heure l’Église s’en aura emparée par sa bénédiction, quand elle les aura élevées jusqu’à soi en les consacrant aux services du sanctuaire et du culte public, tout aura changé. La Cloche sera devenue quelque chose de religieux, quelque chose de surnaturel, quelque chose de divin par les affinités saintes que sa consécration lui donne et qu’elle ne perdra plus. Affinités merveilleuses et que je ne dois qu’indiquer ! laissez-moi vous les rappeler ; elles vous apprendront la dignité, le ministère, et, si j’ose le dire, la mission de la Cloche dans le temple catholique.

I

D’abord affinité avec le temple même qu’elle achève et qu’elle complète. Quel est le but du temple ? Est-ce, comme nous le reproche une philosophie aveugle, de circonscrire et de renfermer la Divinité dans une enceinte élevée en son nom ? À Dieu ne plaise ! Nous savons bien que celui qui est immense ne se laisse pas rétrécir aux proportions de ces murs et emprisonner dans un édifice bâti par des mains mortelles. Le but du temple, en nous réunissant dans cette enceinte et en nous environnant de tant de symboles, est de rendre la Divinité sensible et comme visible à tous. L’Église sait que depuis notre chute nous sommes sous l’empire des sens, et que Dieu nous échappe sans cesse, parce qu’esprit lui-même il ne peut être saisi que par l’esprit. Que fait-elle ? elle élève au milieu de nos cités des monuments qu’elle consacre à Dieu, où elle nous appelle pour parler de Dieu, où elle multiplie les signes et les figures pour saisir les sens et par eux l’intelligence et donner l’homme tout entier à Dieu. Le temple chrétien, que je considère ici en lui-même et indépendamment du tabernacle et de la présence de Jésus-Christ qui le consacre, le temple chrétien n’a pas d’autre but ; son action propre est de nous conduire par ce qui est visible à celui qui est invisible et de rendre ainsi le Créateur présent d’une présence sentie de tous. La Cloche achève, complète cette action du temple. Sans le temple et hors du temple, il manque tout à la Cloche ; sa voix n’est qu’un peu de bruit qui s’ajoute aux mille bruits des foules et de la cité. Mais, sans la Cloche, à son tour, il manque quelque chose au temple ; il reste amoindri et comme mutilé. Le temple, alors même, a ses voix du dedans pour remuer les âmes, pour les soulever de terre et les emporter par leurs émotions au ciel. Il a la voix des symboles, des rites et des cérémonies ; il a la voix des hymnes et des saints cantiques ; il a surtout la voix de l’Apostolat et de ses chaires ; c’est beaucoup sans doute et c’est trop peu. Avec les seules voix du dedans, le temple ne remplit qu’à demi la mission et le but d’une Religion divine. Il atteint, il saisit l’homme qui vient à lui ; il ne peut prévenir ni chercher l’homme qui est absent ou qui fuit. Il dit tout de Dieu à qui est près ; il ne dit rien et ne peut rien dire à qui est loin. La Cloche va suppléer à cette impuissance du temple et agrandir son action. La Cloche, c’est sa voix du dehors par laquelle il parle à tous dans la cité ; la Cloche, c’est son mouvement par lequel, tout matériel et dès lors tout immobile qu’il est, il va chercher l’homme à travers l’espace et au milieu des foules. À cause d’elle, le temple s’élève et élance au-dessus de tous les monuments humains ses flèches qui portent la croix et la prière tout ensemble jusque dans les nues. Par elle le temple s’anime et a ses harmonies aériennes pour répondre aux harmonies des chants de l’homme dans son enceinte. Saints accords ! union merveilleuse ! Des voix qui prient au dedans, des voix qui prient au dehors ! Au dedans, des voix suppliantes qui appellent Dieu ; au dehors, des voix souveraines qui appellent l’homme aux autels ! Au dedans, des voix intelligentes, hommage de l’Esprit au Dieu des Esprits ; au dehors, des voix matérielles, hommage de la nature au Dieu de la nature ! Au dedans, la voix de l’homme qui loue et qui adore ; au dehors, la voix de l’airain qui répète et prolonge les louanges et les adorations de la voix de l’homme. Ainsi la Cloche et le temple s’appellent, s’entr’aident, se complètent dans des rapports mutuels. Par le temple, la cloche s’associe à la religion publique et devient quelque chose de presque spirituel. Par la Cloche, le temple a une voix et un langage dans la cité, et devient quelque chose de presque vivant. Admirable harmonie, d’où résultent la grandeur, la beauté, l’influence sans rivale du temple catholique au sein des sociétés humaines.

II.

La Cloche a des affinités avec le temple ; par le temple, elle a encore des affinités avec Dieu. Remarquons avant tout que, de soi-même et par sa nature, la Cloche a je ne sais quelle harmonie vague, mystérieuse, qui tire l’âme des réalités d’ici-bas, qui la jette dans une sorte de rêverie sublime, qui la transporte dans des régions nouvelles, les régions de l’immense et de l’illimité. En entendant le marteau des forgerons, Pythagore se prenait à rêver du nombre, de l’ordre, du beau, du divin. En entendant les sons de la Cloche au faîte de nos temples, quel homme, s’il n’a brisé en soi la fibre des sentiments élevés, ne se prend à rêver à quelque chose d’infini qui n’est pas du temps, qui n’est pas de la terre, qui est Dieu même ? La voix de la Cloche ressemble à toutes les grandes voix de la nature, à la voix des forêts, à la voix des fleuves, à la voix des tempêtes. Elle retentit à l’âme comme ces voix dont le Prophète a dit : « Voix du Seigneur dans sa force, voix du Seigneur dans sa magnificence, » Vox Domini in virtute, vox Domini in magnificentia[2]. Comme elles, par l’éclat, par la puissance, par la majesté de ses sons qui ébranlent l’air, qui remplissent l’espace, qui animent en quelque sorte les nues, elle parle naturellement à tous de la grandeur, de l’immensité, de la souveraineté du Créateur.

L’Église catholique le sait, mes Frères, et avec sa profonde intelligence de tout ce qui touche à Dieu et à l’âme, elle a choisi la Cloche pour en faire la voix extérieure de son temple et par cela même comme l’organe du Ciel et de Dieu dans la société humaine. Prêtez l’oreille et écoutez ! Quels sont ces bruits qui partent des hauteurs du temple ? quelle est cette voix qui descend de ses flèches et qui se répand sur la cité et ses foules ? C’est la Cloche chrétienne qui parle aux peuples. Et de quoi leur parle-t-elle, sinon de Dieu et des choses de Dieu ? Tantôt elle éclate en accents joyeux sur un berceau ; elle annonce que Dieu va régénérer un nouveau-né et lui donner, avec sa grâce, un père dans le ciel, une patrie dans l’éternité. Tantôt elle gémit en sons funèbres sur une tombe qui s’ouvre ; elle nous apprend que le temps vient de finir pour une créature humaine, et que Dieu a appelé une âme à ce tribunal où se décide la destinée des âmes. Le matin, elle chante l’hymne du réveil au Créateur ; elle nous avertit d’offrir ce jour de plus à celui qui nous en fait présent. Le soir, elle chante l’hymne de l’adieu avant le sommeil, image de cet autre sommeil de la mort ; elle nous convie à remercier des heures écoulées celui à qui seul appartiennent les heures du lendemain. Chaque semaine, elle proclame le grand jour de la prière ; elle semble crier à tous : Voici le jour du Seigneur, Hæc est dies quam fecit Dominus[3] ! Arrière les travaux et les soucis de la terre ! que toute pensée soit en haut ! que tout cœur soit à Dieu ! Quelle voix s’unit au bronze des batailles et appelle les peuples dans le temple pour faire monter jusqu’au Dieu des armées les joies du triomphe et la reconnaissance de la victoire ? la Cloche chrétienne. Quel héraut parcourt la cité et annonce à tous que la Vérité va descendre dans le sanctuaire et parler aux hommes par l’enseignement de l’Apostolat ? la Cloche chrétienne. Quel messager d’en haut nous apporte les nouvelles du tabernacle, les nouvelles de Jésus-Christ qui vient s’asseoir sur le trône de son autel et qui attend la visite, les vœux, les adorations de son peuple ? la Cloche chrétienne. Saintes assemblées de la prière qui réunissez les fidèles dans le temple comme dans la patrie temporelle des âmes ; fêtes mystérieuses qui nous retracez si bien dans vos pompes les fêtes éternelles des Anges et des élus ; solennités si chères à la foi et qui, chaque année, faites revivre dans vos souvenirs tantôt la vie de l’Homme-Dieu, tantôt la vie de la Vierge sa Mère ou des Saints, ses glorieux serviteurs ; c’est la Cloche qui vous annonce à la terre, et qui remplit en même temps et les airs des bruits pieux qui vous rappellent et les cœurs des saintes émotions que votre pensée fait naître ! La Cloche se lie donc par son ministère à toutes les impressions, à tous les sentiments, à toutes les croyances, à toutes les idées de la foi. Suspendue entre le ciel et la terre, on dirait qu’elle n’élève sa voix entre l’un et l’autre que pour les rapprocher, que pour les unir, que pour les confondre dans la sainte unité de la prière et de l’amour.

III.

Par le temple, la Cloche a d’autres affinités encore, des affinités avec les âmes. En effet, par cela seul qu’elle est la voix extérieure du temple et dès lors la voix de la Religion et de Dieu même, la Cloche parle à l’âme. Quel grand mot et qu’il dit de choses si nous savons l’entendre ! Les hommes peuvent bien parler aux sens, parler à l’imagination, parler aux passions, parler à l’esprit ; que dis-je ? les hommes peuvent bien parler de ce qui regarde l’âme, de Dieu, du devoir, de l’avenir, de la destinée, en un mot des choses de l’âme ; mais ne nous y trompons point, ils ne peuvent parler à l’âme. Ils font du bruit à ses portes ; si vous le voulez, ils font du bruit à ses oreilles ; mais leur parole lui est un idiome étranger, et qui ne lui dit rien, et qui ne saurait dès lors ni la toucher ni l’émouvoir. La langue de l’âme, mes Frères, c’est la plus sublime des langues. Cette langue-là, elle emprunte bien à l’air ses bruits pour frapper l’oreille du corps ; au discours, ses mots pour y incarner ses idées ; mais elle n’a rien de commun avec ce que font penser ou sentir les langues mortelles. Cette langue-là est divine : d’un mot, elle révèle tout un monde ; d’un son, elle nous ravit à la terre ; d’une seule impression, elle nous transporte dans l’infini. Cette langue-là, c’est la langue propre des Esprits ; il n’y a que Dieu qui la parle et, avec Dieu, l’Église catholique qui l’a apprise sur le cœur de Jésus-Christ. Qui n’a pas entendu l’Église, celui-là a pu entendre des voix graves, éloquentes, sublimes, la voix des poëtes, des orateurs, des sages, des hommes de génie ; il n’a pas entendu la langue de l’âme. Celui-là, il connaît la langue des morts, il ne soupçonne pas même la langue des vivants.

L’Église, mes Frères, s’est fait, dans la Cloche qu’elle suspend à ses temples, un écho de cette langue divine qui est sa langue natale ici-bas. Que je plains celui qui, en entendant les bruits de la Cloche chrétienne, ne croit entendre qu’un de ces mille bruits terrestres dont retentit la cité ! Certes, il lui manque le premier, le plus élevé et le plus nécessaire des sens, le sens de l’infini et du divin. Et que de choses ne dit pas la Cloche chrétienne à qui a reçu l’ouïe surnaturelle pour écouter et pour entendre ? La Cloche a des relations avec toutes les situations, avec toutes les nécessités spirituelles de l’âme. Chaque son qu’elle jette dans les airs est une parole, et dans chaque parole il y a pour vous, ô âme ! ou une leçon ou un encouragement, ou une consolation, ou une menace, ou une espérance. Êtes-vous hors de vous-même par le mouvement et les agitations de la vie ? la Cloche vous crie : Rappelle tes puissances et reviens à toi-même. Avez-vous perdu Dieu de vue dans les mille préoccupations du travail, de la science ou des affaires ? la Cloche vous crie : Pense à qui ne cesse de penser à toi, pense à ton Dieu. Si la tentation vous menace, la Cloche vous crie : Courage ! Dieu te voit. Si la douleur fatigue et abat votre constance, la Cloche vous crie : Espère ! Dieu te bénit. Si le monde se retire et vous laisse à l’isolement et au désespoir, la Cloche vous crie : Console-toi ! tu n’es pas seule ici-bas, il te reste ton Dieu. Si votre volonté a cédé aux passions et trahi par une faiblesse la grâce et la conscience en vous-même, la Cloche vous crie : Tremble ! Dieu te jugera. Si vous avez fait un noble sacrifice et mis comme une portion de votre être dans un dévouement, la Cloche vous crie : Réjouis-toi ! Dieu te récompensera. Par les idées, par les sentiments qu’elle éveille, la Cloche chrétienne se lie par mille saintes et mystérieuses affinités à nos âmes. Ceux même qui ne connurent jamais ou qui se sont ôté la foi et avec elle le sens du surnaturel, ne peuvent se soustraire tout à fait à son action. La Cloche est moins éloquente, elle n’est pas muette pour eux ; elle retentit à leurs oreilles comme la voix d’une puissance supérieure et d’un autre monde. Ils ne savent pas ce qu’elle annonce, mais ils savent au nom de qui elle parle, au nom de la Religion et au nom de Dieu ; c’en est assez pour réveiller ce qu’ils croyaient avoir assoupi en eux pour toujours, la conscience et la terreur instinctive de l’avenir. C’est là le secret de leurs répulsions et de leur haine. Quand ils ont prétendu faire taire l’airain de nos temples et condamner leurs flèches à ne plus animer les airs de leur voix, ils ont proclamé par cela même la puissance de la Cloche chrétienne. Ils souffriraient ce bruit de plus dans la cité si ce n’était pour eux le bruit de la justice suprême qui s’avance. Ah ! ils traitent la Cloche comme ils traitent la conscience ; ils ont peur de sa voix et ils lui disent : Taisez-vous. Ils triompheraient de son silence parce qu’ils croiraient avoir endormi avec elle la voix du remords, la voix de Dieu et de l’Éternité.

Oh ! que l’Église catholique a été heureusement inspirée en attachant la Cloche à ses temples et en empruntant sa voix pour parler aux multitudes ! Qui ne voit d’ailleurs qu’il y a une harmonie merveilleuse entre cette langue universelle que parle la Cloche et le caractère même de l’Église ? Cette voix qui s’empare de l’espace, qu’elle annonce bien la Société qui ne connaît pas plus les limites du lieu que celles du temps ! Cette voix qui domine de si haut tous les bruits de la cité comme les bruits d’un monde inférieur et à ses pieds, qu’elle va bien à cette Société dont le chef s’appelle « le Roi des rois et le Souverain des souverains, » Rex regum, Dominus dominantium[4] ! Cette voix qui, dans quelques sons dit les mêmes choses à des milliers d’intelligences, les fait penser d’une même pensée et sentir d’un même sentiment, qu’elle convient merveilleusement à une Société dont il est écrit « qu’elle ne forme qu’un seul bercail sous un seul pasteur, » Unum ovile, unus Pastor[5] ! Enfin cette voix qui, par les seules vibrations de l’airain balancé dans les airs, éveille tant d’impressions, tant de souvenirs, tant d’instincts, tant d’idées, tant d’aspirations, et dont aucune n’est de la terre, qu’elle est bien la voix naturelle d’une Église qui est la Société universelle des intelligences qui cherchent Dieu !

J’avais donc raison de vous dire, mes Frères, que la Cloche a une sorte de mission spirituelle, morale, religieuse. De là, l’appareil et les pompes de la fête qui nous rassemble. La vieille Basilique, témoin séculaire des joies et des gloires du pays, semble tressaillir ; elle s’émeut en offrant ces Cloches par la main d’un saint Évêque[6] et de pieux représentants au baptême de son Pontife, comme s’émeut à l’aspect de ses fils nouveau-nés une mère, ''Matrem filiorum lætantem[7]. Quatre générations d’Archevêques[8] revivent dans les nobles héritières de leur sang, de leur foi et de leur charité, et viennent, en quelque sorte, leur imposer avec leurs noms, le nom même du zèle, de la piété et du martyre. Leur successeur vénéré, le Pontife qui continue si dignement au milieu de nous les traditions de leurs vertus comme de leur autorité, suspend les travaux et les sollicitudes de l’apostolat ; il veut bénir cet airain désormais sacré des mêmes mains qui mettent le sceau de l’Esprit–Saint au front du chrétien et l’onction éternelle du sacerdoce sur les lévites. Soyez donc béni, airain pieux qui allez devenir la voix du premier temple de la Cité reine ! Suspendu à ces tours qui ont vu passer avec les flots de notre fleuve, les flots non moins pressés des aïeux, puissiez-vous sonner jusqu’aux siècles les plus reculés les heures des solennités saintes ! Oui, sonnez sans doute les fêtes des royales naissances ; sonnez les fêtes de la guerre triomphante et de la victoire ; sonnez les fêtes de la reconnaissance publique qui remercie Dieu des prospérités temporelles de la patrie ; mais sonnez surtout, sonnez toujours et pour notre dernière postérité les fêtes par excellence, les fêtes de la foi, véritables fêtes de la dignité, de la liberté, de la félicité des peuples, parce qu’elles sont les fêtes de l’âme !

Pour vous, mes Frères, que cette touchante cérémonie ne reste pas sans fruit pour vos âmes. Que cette bénédiction, que cette consécration d’un métal inanimé et insensible nous rappelle qu’une bénédiction plus sainte, qu’une consécration plus divine est sur nous. La Cloche ne reçoit que l’apparence du baptême ; nous en avons reçu la réalité tout entière. La Cloche ne reçoit des onctions et des prières de l’Église aucune grâce spéciale ; nous recevons l’Esprit même de la grâce, l’Esprit-Saint qui nous a marqués de son ineffaçable caractère. Si la Cloche ne peut être rendue sans profanation à de terrestres usages, comment pourrions-nous retourner à la terre, nous qui avons été faits tout spirituels ; ou au monde, nous qui avons été faits tout divins ? Croyez-moi, restons à notre hauteur ; à la terre ce qui est de la terre, mais à Dieu ce qui est de Dieu. Nos âmes ressemblent, à leur manière, à cet airain que l’Église va bénir sous vos yeux. Un ancien a dit que toute âme humaine rendait des sons. Que le son de nos âmes imite le son de la Cloche chrétienne ; que ce soit le son de la prière, le son des choses saintes, le son du ciel, de Dieu et de l’éternité.

Ainsi soit-il !


Séparateur

  1. Mgr Sibour, Archevêque de Paris.
  2. Ps. xxviii, 4.
  3. Ps. cxvii, 21.
  4. Apoc. xix, 16.
  5. Joan. x, 16.
  6. Mgr l’Évêque de Tripoli et les membres laïques du Conseil de fabrique de Notre-Dame, parrains des Cloches.
  7. Ps. cxii, 9.
  8. NN. SS. de Juigné, de Talleyrand-Périgord, de Quélen, Affre, Archevêques de Paris.