Discours sur les conventions nationales
DISCOURS
SUR LES CONVENTIONS NATIONALES,
séante aux Jacobins, le 7 Août 1791 ;
Les anciens législateurs aspiroient à rendre éternelles des constitutions qu’ils présentoient au nom des dieux à l’enthousiasme du peuple. Mais des constitutions dictées par la raison seule doivent en suivre les progrès, et la raison ne permet pas qu’elles se traînent à travers les siècles, chargées des préjugés de celui qui les a vues naître, et de tous les vices introduits par le malheur des circonstances ou par les passions des législateurs. Cependant comment trouver un milieu entre des constitutions perpétuelles, qui portent dès-lors en elles-mêmes le principe d’une destruction violente, et une constitution toujours variable, qui expose sans cesse un peuple fatigué de ces mouvements à chercher le repas aux dépens de la liberté ? Ce moyen inconnu des peuples anciens, et dont l’ignorance a précipité la ruine de leur liberté, a été enfin trouvé de nos jours dans le nouveau monde. C’est l’établissement fait par la constitution même d’assemblées chargées de revoir, de perfectionner, de réformer cette constitution, soit à des époques déterminées encore par elle, soit au moment marqué par la volonté nationale recueillie et exprimée sous une forme prescrite par la loi. C’est à ces assemblées que l’on donne le nom de conventions.
Si l’on pouvoit se répondre que la constitution établie fût conforme au vœu général du peuple, qu’elle n’eût pour adversaires qu’un petit nombre d’hommes, les uns au-dessous, les autres au-dessus des lumières communes ; si on étoit sûr qu’elle ne renfermât que ces défauts qui ne peuvent devenir sensibles qu’au bout d’un long-tems ; alors sans doute il suffiroit que la loi constitutionnelle établît une convention réformatrice à une époque marquée ; et pourvu qu’elle ne fût pas assez éloignée pour excéder le tems où plus de la moitié des citoyens qui ont adopté la constitution première ont été remplacés par des citoyens nouveaux, on ne pourroit se plaindre ni que la liberté fût enchaînée, ni que les droits de la postérité n’eussent pas été assez respectés.
Mais il n’en est pas ainsi ; et comme une constitution établie même avec le consentement du peuple peut en très-peu de tems perdre sa confiance, sur-tout si elle n’a obtenu qu’une foible majorité, si elle ne la doit qu’à l’influence nécessaire du pouvoir dont elle émane, comme l’expérience peut développer dans une constitution des vices qui auroient échappé à ses rédacteurs, et qui menaceroient la liberté, il faut donner aux citoyens un moyen légal et paisible d’en obtenir la révision, ou s’exposer à voir sans cesse les révolutions succéder aux révolutions, la liberté, toujours aux prises avec la tyrannie, perdre dans ces combats ou de son étendue ou de sa dignité, et flotter sans cesse entre l’obéissance aveugle qui l’avilit, et l’esprit de faction qui la déshonore.
Toute constitution libre doit offrir aux citoyens un moyen de maintenir leurs droits contre la violation des loix, lorsque ceux qui sont chargés de les exécuter s’en rendroient coupables. Si ces loix elles-mêmes sont contraires aux droits des citoyens, la constitution leur doit présenter l’appui d’un corps législatif formé de leurs représentans. Mais si c’est dans la forme même de ces pouvoirs qu’est la source de la tyrannie ; alors le changement de la constitution en est le seul remède ; et si l’on veut que ce remède soit paisible, il faut que la loi offre à la majorité des citoyens un moyen simple et facile d’obtenir cette réforme nécessaire, qu’elle ait déterminé la forme, la nature de l’assemblée à qui cette fonction sera confiée ; qu’elle ne laisse rien d’incertain, rien d’arbitraire, rien qu’on puisse être obligé de régler dans le moment même, où des pouvoirs dont on demande la réforme ayant dès-lors perdu la confiance, il faudroit statuer sur ces objets incertains d’après la volonté tumultueuse d’une nation justement irritée.
Alors la paix publique seroit assurée, alors le refus seul de laisser former la convention nationale pourroit autoriser le peuple à ne pas se contenir dans les bornes de la loi, et rien même n’empêcheroit de porter encore plus loin son empire, en réglant d’avance sous quelle forme légale ce refus de recourir au remède établi par la constitution pourroit être repoussé. C’est ainsi qu’en multipliant les précautions d’une sage vigilance, on peut maintenir une éternelle tranquillité sans cet appareil de force qui effraie la liberté, rend la paix suspecte aux ames généreuses, et présente, avec les menaces du despotisme, une si honteuse ressemblance. Mais faut-il, en établissant ces conventions ordonnées par le peuple, renoncer à des conventions périodiques ? Non, sans doute. Toutes deux sont également des bases indispensables de toute bonne constitution.
En effet, l’objet de ces deux espèces de conventions n’est pas le même : celui des premières est de remédier à des abus dont le peuple sent déjà tout le poids ; celui des secondes est de prévenir la naissance de ces mêmes abus. Les premières nées des circonstances ameneront les corrections que ces circonstances rendent nécessaires ; les secondes s’occuperont davantage de ces perfectionnemens, dont le progrès des lumières aura fait sentir la possibilité ; l’amour de la liberté animera les unes, une sage philosophie dirigera les autres. On portera dans les unes les idées, les passions même du moment, on sera préparé par les ouvrages que le sentiment des défauts de l’ancienne constitution aura inspirés. Dans les autres, on sera conduit par l’esprit général du siècle, préparé par les ouvrages que le desir de perfectionner l’art social aura dictés aux publicistes. N’établissez que des conventions périodiques, et rien ne vous répond de la paix dans l’intervalle qui les sépare ; n’établissez que des conventions demandées par le peuple, et rien ne vous répond qu’on n’ait l’art d’en reculer la demande jusqu’au moment où il seroit obligé de les obtenir par la force, jusqu’au moment peut-être où cette force lui seroit déjà enlevée. Ceux qui craignent que l’on ne donne aux constitutions une perfection trop grande, qui ne savent pas apparemment qu’un ouvrage fait par des hommes ne sera jamais trop bon quand ils y emploieroient tout ce qu’ils ont de forces et de lumières, aimeroient mieux qu’on abandonnât au hasard, aux circonstances, le soin des réformes qui se feront naturellement, disent-ils, lorsqu’elles seront reconnues nécessaires. Ils craignent le trouble que des conventions peuvent produire ; mais qu’ils expliquent donc comment des moyens réglés par la loi seront moins paisibles que les mouvemens spontanés de leur volonté générale. Qu’ils montrent comment des questions constitutionnelles qui n’ont par leur nature qu’une influence médiate sur le bonheur des individus peuvent produire des crises si dangereuses. Sans doute le passage du despotisme à une constitution libre doit être accompagné de quelques orages ; sans doute ce travail d’un premier corps constituant, obligé de se frayer une route sur les débris dès abus sans nombre renversés par ses mains, ne peut être tranquille. Au milieu d’un combat entre un peuple qui se ressaisit de ses droits et les tyrans qui les avoient usurpés, on ne peut espérer que les loix et la paix publique ne reçoivent aucune atteinte. Mais quand il s’agit de passer d’une constitution déjà libre à une constitution plus libre, qui elle-même doit être remplacée par une troisième où la liberté aura fait encore quelques conquêtes ; quand il s’agit de rendre à des hommes qui jouissent déjà de leurs droits essentiels la jouissance de quelques conséquences de ces droits qu’on avoit méconnus, comment cette marche qui est celle de la pure raison de seroit-elle pas paisible comme elle ?
On craint la confusion de deux pouvoirs, quoique délégués à des assemblées différentes ; mais d’abord on doit mettre dans la forme des conventions, dans le nombre de leurs membres, dans les incompatibilités de leurs fonctions publiques, des différences qui ne permettent pas de les confondre avec les législatures. D’ailleurs, une convention qui n’est chargée que de former une constitution nouvelle, ne doit la présenter à la nation que lorsqu’elle est terminée. Or, il seroit difficile d’imaginer qu’elle y insérât des loix trop étrangères aux objets compris dans ses pouvoirs. Il ne doit émaner d’elle aucune loi particulière ; il ne doit exister aucune forme sous laquelle elle puisse en décréter de semblables. Au contraire, lorsque la constitution est reconnue, les législatures sont obligées de s’y conformer ; toute loi dont l’exécution y porteroit atteinte seroit nulle, seroit, même criminelle.
D’après ces principes, non-seulement toute bonne constitution doit contenir l’institution d’une convention nationale ; mais de même qu’une déclaration des droits seroit incomplète si elle ne renfermoit celui de n’obéir qu’à des loix émanées de la nation ou de ses représentans ; elle l’est encore, si elle ne reconnoît dans les citoyens le droit de n’être obligés d’obéir qu’à une constitution dont ils puissent procurer la réforme, lorsqu’ils jugent cette forme utile à la liberté. Chaque constitution doit renfermer la loi qui règle la convention par laquelle elle doit être immédiatement examinée et corrigée ; mais l’obligation que cette loi fasse partie de la constitution, doit de plus être consacrée par la déclaration des droits.
Jusqu’ici j’ai prouvé la nécessité des conventions, même dans la supposition où la nation auroit ratifié la constitution, non par de vains complimens, que ceux qui ont le pouvoir sont toujours si sûr d’obtenir, non par le silence auquel on auroit forcé ceux qui la désapprouvent, mais par une adhésion solennelle, générale et libre. Mais combien cette nécessité ne devient-elle pas plus forte quand, soit timidité, soit orgueil, on a cru pouvoir se passer de cette adhésion. Comment oseroit-on proposer d’obliger une nation à obéir, par respect pour des hommes qu’elle a choisis, à une constitution que peut-être elle n’approuve pas, si on ne lui offre pas, en même tems, les moyens d’obtenir, dès qu’elle le voudra, la réforme de ce qui lui paroît menacer la liberté.
Supposons qu’une constitution attaque, dans plusieurs de ses dispositions, les principes de la déclaration des droits qui lui sert de base, que l’une reconnoisse tous les hommes égaux, et que l’autre établisse des avantages en faveur des riches ; que l’une proscrivant toute distinction héréditaire appelle également tous les citoyens à tous les emplois, et que l’autre crée des emplois héréditaires ; que l’une déclare que les hommes doivent être jugés d’après les mêmes lois, et que l’autre décide que la personne d’un tel homme sera inviolable et sacrée ; je demande s’il peut exister alors un motif de se soumettre en même tems à des décisions évidemment contradictoires entre elles, si ce n’est la juste espérance de voir des erreurs si palpables, livrées à l’examen de la raison publique, disparoître bientôt devant elle. Il y a plus : telle disposition qui, présentée comme devant avoir une durée indéfinie, seroit une atteinte à la liberté, peut, si elle est susceptible d’une prompte révocation, n’être plus regardée que comme un sacrifice fait aux circonstances. Telle seroit par exemple, l’hérédité d’une place. Si une convention peut au bout de cinq ans, au moment même où la nation voudra le convoquer, détruire cette hérédité, que devient-elle alors si non un mode passager de remplacement, absurde peut-être en lui-même ; mais que sa grande commodité peut faire tolérer pour une si courte durée. Supposons de même qu’une partie des habitans du pays se plaignent d’être exclus du droit de cité, parce qu’on l’attache à des conditions qu’ils ne peuvent remplir. Si une telle loi semble avoir une durée indéfinie, ils sont à jamais rayés de la liste des hommes libres. Mais si au contraire elle doit être bientôt l’objet d’une discussion nouvelle, on peut lui dire : attendez l’époque prochaine d’une convention réformatrice ; alors on saura, sans doute, que les habitans d’un territoire en sont les citoyens ; que ces habitans sont ceux qui ne peuvent être exclus par la volonté arbitraire d’un autre homme, que le vrai citoyen est donc celui qui a, par un acte, le droit d’occuper pendant un tems déterminé, une maison, ou une portion de maison, alors on saura que le droit de cité, que celui d’être éligible pour une fonction publique quelconque, étant les bases de l’ordre social, on ne peut les faire dépendre de la quotité de l’impôt dont toute législature doit pouvoir changer la masse. De telles erreurs, causées peut-être par les circonstances, ne dureront pas long-tems : souffrez avec patience cet outrage, afin de prouver combien peu vous l’aviez merité, et montrez, par votre conduite, combien se trompent ceux qui ont le malheur de croire encore qu’il existe quelque liaison entre le paiement d’un impôt et le talent de faire de bons choix, entre de l’argent et des vertus. Reposez-vous sur les progrès de la raison, le foible est sûr de gagner sa cause au tribunal de ce juge incorruptible.
Ainsi, par l’établissement d’une convention, on peut aisément concilier, et la liberté des opinions, et la soumission aux lois. On ne peut accuser celui qui prépare les esprits à des changemens que la loi, elle-même, a permis de solliciter ; et d’un autre côté, on ne seroit pas excusable de se refuser à des lois dont on a des moyens légitimes d’obtenir la révision. Négligez cette institution, et il faut, ou permettre d’opposer la force aux mauvaises lois, ou empêcher d’éclairer le peuple sur leurs défauts. Il faut ou souffrir la tyrannie, ou rester exposé aux mouvemens de la liberté indignée.
On a dit qu’en établissant une convention, en ne la remettant pas à un tems éloigné, il étoit à craindre que la constitution française ne fût renversée ; que par-là on donnoit des espérances à ses ennemis, aux partisans du despotisme, à ceux de l’inégalité.
Les hommes qui feroient cette objection ignoreroient donc bien profondement la pente vers laquelle les progrès de la raison entraînent tous les esprits. La convention qui seroit appellée pour nous donner une constitution nouvelle n’augmenteroit pas l’autorité des pouvoirs dangereux pour la liberté, ne porteroit pas atteinte à l’égalité ; elle chercheroit au contraire à détruire les restes du despotisme et de l’inégalité, et tel est le véritable motif de ceux qui s’élèvent contre cette salutaire institution.
Il sera toujours dangereux sans doute, qu’une législature ait le droit de changer la constitution parce qu’elle même exerce un pouvoir particulier, parce qu’elle peut avoir intérêt d’en reculer les bornes, qu’elle peut trouver de l’avantage dans une représentation imparfaite, dans une multiplication de places superflues, dans tout ce que favorise la corruption, ou présente à l’ambition de grandes espérances. Voilà pourquoi ces mêmes hommes veulent, ou des lois fondamentales pour assurer la perpétuité des dispositions contraires à la plénitude de la liberté, ou des législatures toujours revêtues d’un pouvoir constituant, parce qu’ils esperent que du moins, pendant quelques tems, elles donneront plus d’étendue à ces mêmes dispositions. Ils savent que ces deux opinions se confondent, qu’une constitution irrévocable, laisse aux législateurs la facilité de la corrompre par des changemens souvent insensibles ; que tel a été le sort de celles qui ont été adoptées par les républiques modernes. Renvoyer une convention à un terme très-éloigné, c’est encore remplir leurs vœux. L’intérêt personnel ne calcule que pour lui, et pour une courte durée ; la vertu seule peut embrasser, dans tous les siens tous les hommes et tous les âges.
J’ai essayé de faire ici, sentir la nécessité de réunir dans une constitution, l’établissement des conventions périodiques et celui des conventions ordonnées par le peuple. J’ai essayé de demêler les sophismes que l’ignorance oppose à cette institution salutaire, et de dévoiler les vues secrètes de l’intérêt et de la corruption.
C’est de l’établissement d’une convention qu’on ne puisse refuser aux citoyens, lorsqu’ils la demanderont sous une forme déterminée par une loi facile dans l’exécution ; c’est de cette institution que dépend aujourd’hui notre liberté : la décision de l’assemblée nationale, sur cet objet, prononcera, en même tems, si nous sommes encore libres, ou si nous devons devenir esclaves.
Quelques amis de la liberté ont desiré que la première assemblée constituante fût remplacée par une assemblée revêtue des mêmes pouvoirs. J’ose croire au contraire qu’il est tems de les séparer. Sans doute il seroit utile que la constitution actuelle, provisoirement exécutée, fût revue par une convention, que les moyens de la présenter à la sanction réelle du peuple y fussent combinés après de sages discussions. Une nouvelle assemblée ne doit pas être supposée avoir des lumières nouvelles ; l’expérience n’a encore rien appris sur les vices de la constitution établie. Mais le défaut d’acceptation nationale semble exiger une révision immédiate, qu’autrement il eût été plus sage de différer. Tandis que cette convention paisiblement occupée de ce travail, laisseroit agir la législature, son existence seule arrêteroit ceux des pouvoirs établis par la loi, qui, s’ils comptent sur l’impossibilité d’être remplacés et croient pouvoir conspirer en sûreté, emploieroient peut-être pour la combattre les forces qu’ils n’ont reçu que pour la défendre. La puissance nationale, toujours prête à se déployer dans toute son étendue, au jour, au moment où la liberté aura besoin d’elle, effrayera les conspirateurs. Une telle convention seroit donc utile ? Mais si la nation a le droit d’en exiger la convocation, c’est d’elle qu’il la faut obtenir, c’est à elle qu’il faut en montrer la nécessité pressante. Peut-être auroit-on dû attendre du patriotisme de l’assemblée nationale, qu’elle appellât cette convention nouvelle, qu’elle ne craignît point de soumettre ses travaux à un examen sévère ? Mais n’est-il pas plus généreux encore de laisser prononcer la nation elle-même, de se borner à lui donner les moyens d’ordonner cet examen, et de ne paroître, ni le desirer, ni le craindre, ni trop tenir à son propre ouvrage, ni trop s’en défier.
La reconnoissance d’un peuple éclairé pour les fondateurs de la liberté, ne doit pas être un puéril enthousiasme ; il ne doit pas, dans une stupide admiration, proclamer l’éternité de leurs lois ; il doit exhorter la génération naissante à leur obéir, mais aussi à les juger, à les étudier, mais à se rendre digne de les corriger ; il ne peut exister de tems où le respect pour la tranquillité publique puisse défendre de soumettre les lois à un examen sévère, d’en montrer les dangers, d’en combattre les principes, d’en solliciter la réforme : vous faites perdre aux loix, dira t-on, la confiance du peuple ; mais qu’est-ce donc qu’une confiance qu’il faudroit fonder sur le silence de la raison, et quel droit auroit-on de tromper les hommes en empêchant qu’on les avertisse de ne pas accorder cette confiance à de mauvaises lois. Ceux qui conseillent le crime sont coupables, ceux qui discutent les lois remplissent un devoir ; qu’on cesse donc de confondre le crime et la vertu en les enveloppant dans les mêmes calomnies des hommes si différens d’intentions et de principes, en cherchant à exciter contr’eux les mêmes ressentimens.
Autrefois on traitoit d’insensés ceux qui, présumant trop bien de la nature humaine, osoient espérer du pouvoir de la raison, la chûte des préjugés, et se hâtoient de l’accélérer. Autrefois on appelloit ennemis des lois ceux qui osoient en montrer les vices, et c’est sous le règne de la liberté qu’on voudrait consacrer cet insolent et absurde langage ; c’est lorsque les hommes sont appellés à jouir de tous leurs droits qu’on ne pourroit sans crime leur parler des moyens de les exercer. C’est lorsque le peuple a repris sa souveraineté, qu’il seroit criminel de chercher à l’éclairer, comme si c’étoit pour lui et non pour ses tyrans que la vérité peut être dangereuse. Par quelle fatalité, en devenant libres, serions-nous obligés de renoncer à l’indépendance de nos opinions ?
Loin de nous pour jamais ces maximes de la vieille tyrannie. Qu’importe à l’éternelle vérité que des hommes, revêtus d’une puissance passagère, la méconnoissent ou la craignent ? Ceux qui ont reçu de la nature la faculté de la répandre et le courage de la dire, en ont aussi reçu la mission, et rien ne les empêchera de la remplir.
La société des amis de la constitution de Paris, séante aux jaccobins, ayant entendu la lecture du mémoire de M. de Condorcet, sur l’institution des conventions nationales, on a arrêté l’impression à l’unanimité, à Paris, le 7 août 1791.
Certifié conforme, L. P. Dufourny, secrétaire.