Discours sur les fortifications de Paris

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Collectif
Chambre des députés (p. 21-30).

M. GUIZOT ministre des affaires étrangères. Messieurs, la discussion se prolonge, et cependant, si je ne m’abuse, la perplexité de la chambre continue. Avant-hier, un honorable membre, M. de Rémusat, attribuait cette perplexité à de bien petites causes, à des méfiances de personnes, à des misères parlementaires. Je crois qu’il se trompe, et que la disposition de beaucoup de bons esprits dans la chambre a des causes plus sérieuses. La chambre croit à l’utilité, à la nécessité de la mesure qu’elle discute. Elle a des doutes, des inquiétudes sur ses résultats ; elle n’en prévoit pas clairement la portée et les effets ; elle craint que cette mesure ne devienne l’instrument d’une politique autre que celle qu’elle approuve et veut soutenir. Elle craint d’être entraînée dans une politique turbulente, belliqueuse, contraire à cette politique de paix, de civilisation tranquille et régulière qu’elle a proclamée et appuyée. Voilà la vraie cause de la perplexité et des inquiétudes de la chambre. Adhésion au centre.

Si ces inquiétudes étaient fondées, messieurs, nous aurions, nous, un bien grand tort ; car, nous voulons comme la chambre la politique de paix, de conservation, de civilisation tranquille et régulière. C’est au profit de cette politique, et pour la servir, c’est autour de cette civilisation, et pour la protéger, que nous voulons élever les fortifications que nous vous demandons. Nous serions impardonnables si nous nous trompions en pareille matière. Mais nous sommes convaincus que le projet de loi, bien loin de contrarier la politique du cabinet et de la majorité de la chambre, confirme, soutient, fortifie cette politique, et c’est pour cela, et non pour aucun autre motif, que nous l’avons présenté et que nous l’appuyons.

Si, dans ce projet, qu’on a appelé un héritage du cabinet précédent, nous eussions entrevu aucun des dangers, aucun des maux qu’on y a signalés, nous ne l’aurions pas accepté ; nous savons répudier les héritages qui ne nous conviennent pas. Nous n’acceptons que les mesures conformes à notre politique. Celle-ci y rentre pleinement.

Messieurs, je n’hésite pas à l’affirmer, les fortifications de Paris sont, pour la France et pour l’Europe, une garantie de paix. Il est évident que c’est là de la politique défensive. Mais ce qu’on ne sait pas assez, c’est que quand cette mesure est née en France, quand elle y a été (je parle des temps modernes) sérieusement proposée et débattue, c’est dans un esprit de paix, au nom de la politique de la paix.

Elle apparut, pour la première fois, en 1818 ; c’est le maréchal Gouvion Saint-Cyr qui a institué la première grande commission pour la défense du territoire, commission qui a proposé la mesure que nous discutons.

C’est de 1818 à 1822 que cette commission a siégé, c’est-à-dire au moment où toute idée d’agression et de conquête était, à coup sûr, étrangère aux esprits, au moment où la défense du territoire les préoccupait seule.

La commission de défense remit, en 1822, à M. de Latour-Maubourg, alors ministre de la guerre, son projet de système général de la défense du royaume ; il comprenait les fortifications de Lyon et celles de Paris. Ce projet resta quelque temps enfoui dans les cartons. M. de Clermont-Tonnerre, pendant son ministère, l’en tira et essaya de faire adopter, non pas la totalité du projet, mais une partie importante, les fortifications de Lyon. Elles furent proposées au conseil du Roi ; elles furent écartées ; les deux ministres les plus influents de cette époque, M. de Villèle et M. de Corbière, s’y opposèrent. Un seul ministre, M. l’évêque d’Hermopolis, se joignit à M. de Clermont-Tonnerre pour soutenir les fortifications. (Hilarité prolongée.)

La mesure n’eut donc aucune suite.

Elle fut reprise, en 1830, par M. le président du conseil, au moment où nous soutenions, dans cette enceinte, pour la politique de la paix, les luttes les plus violentes qui aient eu lieu de nos jours. C’est pendant que la politique de la paix prévalait complètement dans la chambre, que la défense et la fortification de Paris ont été commencées par M. le maréchal Soult.

Ainsi, vous le voyez, messieurs, la mesure, dans sa véritable origine, a eu le caractère pacifique, le caractère de la politique défensive ; et les deux illustres maréchaux dont elle émane n’ont jamais pensé qu’à lui imprimer ce caractère.

Et ce n’est pas nous seuls, messieurs, c’est l’Europe qui, depuis 1814, a adopté le système de la politique défensive, et se conduit d’après cette vue.

Autour de nous, en Allemagne surtout, à toutes les portes de l’Allemagne, on se fortifie pour la défense et contre l’invasion. Toute la politique allemande est dirigée vers ce but. Aujourd’hui même, au milieu de l’émotion excitée par les derniers événements, les projets d’armements de la Confédération germanique, à quoi aboutissent-ils ? À des mesures de politique défensive.

Quelques bruits ont été répandus de camps qui se formeraient sur le Rhin, de grands mouvements de troupes de la confédération germanique : nous n’avons, je crois, à nous préoccuper d’aucune mesure semblable ; ce sont des mesures défensives que l’Allemagne adopte.

Mais elle s’organise très-fortement dans ce système, elle ferme toutes ses portes, elle s’établit sur toutes les routes par lesquelles nous pourrions entrer chez elle.

Serons-nous moins prudents, moins fortement organisés pour la défense ? Et dans une mesure qui n’a d’autre caractère que celui de la politique défensive, est-ce que nous ne persévérerons pas ? Est-ce que nous ne la maintiendrons pas, parce qu’un moment elle aura eu un caractère moins rassurant pour l’Europe et pour nous-mêmes ? L’honorable rapporteur me permettra de le dire, un moment la politique du 1er  mars a pu faire croire à l’Europe et à la France (je n’examine pas si c’est à tort ou à raison) que la mesure avait un autre but, qu’elle aurait d’autres effets ; mais au fond, et aujourd’hui, il n’en est rien.

Oui, messieurs, le vrai caractère de la mesure, depuis son origine jusqu’à nos jours, c’est d’être un acte de politique défensive, d’une politique analogue à celle qui prévaut aujourd’hui dans toute l’Europe, à celle que l’Allemagne en particulier pratique sous nos yeux.

Il n’y a donc aucune raison de concevoir aucune des craintes qu’on a essayé, sous ce rapport, d’inspirer à la chambre. (Très-bien !)

Voilà, messieurs, pour l’effet matériel de la mesure ; voilà ce qu’elle est dans son rapport avec la défense générale du royaume.

Voyons son effet moral, son action sur les esprits.

Quels sont les obstacles, quels sont les dangers que rencontre et qui menacent, soit chez nous, soit en Europe, la politique de la paix ? En France, le défaut de sécurité, de sécurité pour le territoire, pour Paris. Il est resté très-naturellement à la suite des invasions, une agitation patriotique qui préoccupe fortement les imaginations.

En Europe, la même cause a laissé des espérances, des idées d’invasion facile.

Au milieu de la prépondérance de la politique de la paix en Europe, il y a partout, messieurs, ne vous y trompez pas, un parti belliqueux, un parti qui désire la guerre.

Il est très-faible, j’en suis convaincu ; il ne prévaudra pas. Mais enfin il existe, il faut bien en tenir compte.

Eh bien, c’est dans ce parti que le souvenir des invasions a laissé des espérances présomptueuses contre lesquelles il importe de se prémunir.

La mesure que vous discutez a pour effet de rassurer les imaginations en France, de les refroidir en Allemagne. Très-bien.

Elle a pour effet de donner à la France la sécurité qui lui manque dans sa mémoire, et d’ajouter pour l’Europe, à la guerre contre la France, des difficultés auxquelles l’Europe ne croit plus assez. Voilà, messieurs, le véritable effet moral de la mesure. Elle laissera les esprits en France et en Europe dans une disposition autre que celle où ils sont aujourd’hui. Elle nous tranquillisera, nous ; elle fera tomber les souvenirs des étrangers. Très-bien !

La mesure a quelque chose de plus important encore, quelque chose de plus grand, et qui la caractérise encore plus fortement comme politique de paix.

On a beaucoup parlé de guerres d’invasion. Messieurs, les guerres d’invasion, de nos jours, sont des guerres de révolution. Mouvements divers. C’est au nom de l’esprit et des tendances révolutionnaires que les guerres d’invasion ont lieu. Quand la convention s’est trouvée en guerre avec l’Europe, pourquoi est-elle allée sur-le-champ dans les capitales, à Turin, à Rome, à Naples, à Bruxelles, à la Haye ? Pour changer les gouvernements, pour faire de la propagande républicaine. Elle a bien compris qu’il fallait viser sur-le-champ à la tête des sociétés avec lesquelles elle était en guerre. Elle est allée dans les capitales pour renverser les gouvernements.

Par d’autres causes, l’empire a continué le même système.

Là où la convention voulait ériger des républiques, l’empire voulait élever des trônes, des dynasties. Mais la guerre d’invasion a presque toujours été une guerre destructive des gouvernements, faite non dans l’intérêt de telle ou telle question de territoire, de tel ou tel avantage commercial, de tel ou tel intérêt national, mais comme une guerre à mort. Eh bien, messieurs, croyez-vous donc que ce soit une chose indifférente que de mettre un terme, ou du moins d’ajouter de grands obstacles à ce caractère révolutionnaire et destructif des guerres modernes ? Croyez-vous donc qu’il soit indifférent, en mettant les capitales hors de cause, de mettre pour ainsi dire les gouvernements hors de cause ? Ce sera là cependant, ne vous y trompez pas, si la mesure réussit, si elle atteint complètement son but, si Paris est véritablement fortifié, ce sera là le grand résultat que vous obtiendrez : le Gouvernement que vous avez fondé, le Gouvernement de Juillet, vous l’aurez mis hors de cause en Europe ; vous aurez enlevé à l’Europe jusqu’à l’idée de venir renouveler contre lui ces tentatives de destruction que vous avez vues chez vous.

Souvenez-vous, messieurs, que l’Europe nous a rendu ce que nous lui avions fait. (C’est vrai !) Souvenez-vous du langage que l’on tenait en 1814 et en 1815. Ce n’était pas à la France, disait-on, que l’on faisait la guerre, c’était à son Gouvernement. Langage habile, et qui peut bien aisément devenir trompeur ! Mettez une fois pour toutes votre Gouvernement hors de cause ; vous aurez, non pas réussi complètement, mais vous aurez beaucoup fait pour atteindre à ce but, quand vous aurez mis Paris hors de cause dans la guerre. (Très-bien ! très-bien !)

Vous le voyez, messieurs, sous quelque point de vue que vous la considériez, la mesure est une garantie de paix ; et soyez sûrs qu’elle est jugée ainsi en Europe par les hommes véritablement clairvoyants, par les grands chefs de la politique des États. Aux yeux du vulgaire, à des regards superficiels, elle peut paraître un danger, une menace. Tenez pour certain qu’elle rassure les hommes clairvoyants qui veulent la paix en Europe, Français ou étrangers.

Et pourtant, en même temps qu’elle a ce caractère, en même temps qu’elle est une garantie de paix, la mesure est une preuve de force. Elle est la preuve que la France a la ferme résolution de maintenir son indépendance et sa dignité ; c’est un acte d’énergie morale. Et d’autre part, elle prouve le développement des immenses ressources militaires et financières de la France : c’est un acte de puissance matérielle.

Messieurs, une mesure qui assure, ou du moins qui protège la paix, et qui est en même temps une preuve de force, un acte d’énergie, c’est une mesure salutaire, une mesure précieuse, une mesure qu’un peuple sage et fier doit s’empresser d’adopter. (Marques d’approbation.)

Aussi, quand nous l’avons adoptée, quand nous avons présenté à la chambre le projet de loi, nous nous sommes soigneusement appliqués à lui maintenir, je ne veux pas dire, à lui rendre ce caractère. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons demandé cinq ans pour l’exécution des travaux. Il y avait pour cela des raisons financières, des raisons de bonne exécution, mais aussi des raisons politiques. Nous avons pensé que nous ne devions pas avoir l’air pressé. Nous ne nous croyons point menacés actuellement en Europe ; nous n’avons pas voulu en avoir l’air. Nous n’avons pas voulu non plus avoir l’air menaçant. (Très-bien !) Nous sommes convaincus que nous avons le temps, tout le temps d’exécuter tranquillement et raisonnablement ces travaux. La précipitation, la crainte, la menace, l’inquiétude seule, nous n’avons pas voulu en accepter l’apparence. C’est là la raison politique qui nous a déterminés à étendre à cinq ans l’exécution des travaux. (Nouvelles marques d’adhésion.)

Messieurs, dans les circonstances actuelles, après ce qui s’est passé depuis un an en Europe, j’ai envie de répéter l’expression dont se servait tout à l’heure mon honorable ami, M. de La Tournelle : « C’est une bonne fortune qu’une telle mesure à adopter. » (Mouvement.)

Je vous le disais tout à l’heure, l’Europe a besoin d’être rassurée sur les dispositions de la France à la paix ; l’Europe se souvient de l’esprit belliqueux, conquérant, qui a régné si longtemps en France. L’Europe le redoute ; elle a besoin d’être rassurée. Et en même temps, au moment où vous pratiquez la politique de la paix, où vous la pratiquez dans les circonstances difficiles, vous avez besoin, vous, de faire preuve de vigilance pour votre propre force, de soin pour votre propre dignité.

J’envie quelquefois les orateurs de l’opposition. Quand ils sont tristes, quand ils sympathisent vivement avec les sentiments nationaux, ils peuvent venir ici épancher librement leur tristesse, exprimer librement toutes leurs sympathies. Messieurs, des devoirs plus sévères sont imposés aux hommes qui ont l’honneur de gouverner leur pays. Quand le pays a besoin d’être calmé, il n’est pas permis aux hommes qui gouvernent de venir exciter en lui, même les bons sentiments qui l’irriteraient et le compromettraient.

Quand le pays a besoin d’être rassuré, il faut venir à cette tribune avec fermeté et confiance. Il ne faut pas se laisser aller à des récriminations, à des regrets. Il y a des tristesses qu’il faut contenir pendant que d’autres ont le plaisir de les répandre. (Marques très-vives d’approbation.) Nous n’avons pas hésité, nous n’hésiterons jamais à accomplir ce devoir. Je ne sais ce que nous ferions si nous étions sur les bancs de l’opposition ; mais ici, dans les circonstances actuelles, nous ne viendrons pas parler des passions patriotiques en même temps que des passions révolutionnaires ; nous honorons, messieurs, les passions patriotiques, mais nous ne croyons pas qu’elles soient le meilleur boulevard contre les passions révolutionnaires ; c’est là un fait démenti par l’expérience de tous les temps et par la nôtre. Le vrai boulevard contre les passions révolutionnaires, messieurs, ce sont les principes de l’ordre, les institutions de l’ordre, la bonne organisation du Gouvernement, le pouvoir fort et réglé. Voilà les véritables garanties contre les passions révolutionnaires ; les passions patriotiques ont droit au respect, et doivent trouver leur place dans les soins du Gouvernement ; il ne peut pas, il ne doit pas les mettre en tête de sa conduite. Les passions patriotiques abondaient au commencement de la révolution française ; elles ont marché en tête des passions révolutionnaires, et tout à coup elles se sont trouvées devancées, surmontées par celles-ci. (Très-bien !)

Elles se sont trouvées à la suite après avoir été d’abord à la tête. C’est là le danger… (Nouvelle approbation.)

M. ODILON BARROT. Pourquoi ? parce que l’étranger a menacé la France.

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. L’esprit dans lequel nous soutenons le projet de loi que nous vous avons présenté, c’est donc l’esprit de gouvernement en même temps que l’esprit de paix. Nous entendons fortifier le pouvoir en même temps que donner des sûretés à la paix en Europe. Et voyez l’ensemble de mesures que nous vous avons proposé. Pendant que nous défendions, que nous proclamions, que nous pratiquions la politique de la paix au milieu des circonstances les plus difficiles, nous sommes venus vous proposer le maintien des armements que nous avons trouvés à notre avènement, et la cessation de tout armement plus étendu. Nous sommes venus vous proposer la prolongation de la durée du service militaire, l’organisation de la réserve, les fortifications de Paris. Voilà l’ensemble des mesures du cabinet ; voilà la véritable expression, le véritable caractère de sa politique : la paix, d’une part ; la forte organisation du pouvoir et de la sûreté publique, de l’autre. (Très-bien ! très-bien !)

Il sortira de là, messieurs, la paix rétablie, ou plutôt fortement maintenue en Europe, et l’établissement militaire de la France régulièrement fortifié.

Messieurs, croyez-moi ; cette politique et ses effets n’ont rien de menaçant ni pour les libertés publiques ni pour notre Gouvernement. Si vous portez vos regards au dedans comme je viens de les promener au dehors, la mesure ne vous offrira pas de caractère plus inquiétant. Vous le voyez, ce n’est pas une mesure de parti, ce n’est pas le triomphe du parti de la paix sur celui de la guerre, de la conservation sur le mouvement, du pouvoir sur la liberté. Non, ce n’est pas une lutte de parti ! (Très-bien ! très-bien !) Les opinions sont disséminées, divisées sur tous les bancs de la chambre. Je ne m’en afflige pas ; je serais profondément fâché qu’une mesure semblable fût une victoire des uns sur les autres. (Très-bien ! très-bien !) Il faut, pour son efficacité comme pour notre honneur à tous, qu’elle soit au-dessus de nous tous ; il faut qu’elle obtienne, je voudrais pouvoir dire l’unanimité, mais au moins une grande majorité dans cette chambre ; tenez pour certain, messieurs, que la paix sera d’autant plus assurée, et la France d’autant plus respectée, que la mesure que vous discutez sortira plus grande et plus unanime de cette chambre. (Très-bien ! très-bien !)

On dit qu’elle est gigantesque ; tant mieux ! je voudrais s’il était possible, que nous eussions dans ce moment deux, trois, quatre Paris à fortifier. (On rit.)

M. DE VATRY. Faites tout de suite les murailles de la Chine !

M. LE MINISTRE. Je crois beaucoup à l’effet moral de la bonne conduite des gouvernements sur les peuples qui les regardent ; je crois beaucoup qu’un spectacle de résolution ferme ; générale et tranquille, ne durât-il que huit jours, grandit et fortifie immensément notre patrie en Europe. (Mouvement.) Je désire donc passionnément que nous lui offrions ce spectacle ; je désire que le sentiment du bien que la France retirera des fortifications de Paris soit assez puissant sur vous tous pour vous faire surmonter les difficultés d’exécution et de détail qui s’y rattachent. Que la question de l’utilité morale et politique soit énergiquement résolue par chacun de vous ; que la conviction que je vous demande soit forte en vous tous, et les questions d’argent et les questions de systèmes descendront beaucoup à vos yeux. (Très-bien !)

Je sais la valeur de ces questions, mais je ne m’en effraye point. Les questions d’argent, quelque graves qu’elles soient, sont résolues, dans le projet de M. le ministre des finances. Il a de quoi y pourvoir ; sans cela, nous n’aurions pas demandé les fortifications.

M. DE VATRY. Oui, en renonçant à toute espèce de grands travaux jusqu’en 1848 ! (Mouvement.)

M. LE MINISTRE. Les questions de système ! je déclare que je n’en suis pas juge, et que je me trouverais presque ridicule d’en parler ; je n’y entends rien. Ce que je demande, c’est une manière efficace, la plus efficace, de fortifier Paris. Tout ce qui me présentera une fortification de Paris vraiment efficace, je le trouverai bon. (Très-bien ! très-bien ! Sensation prolongée.)

Un seul mot et je finis. Un homme dont j’honore autant le caractère que j’admire son talent, M. de Lamartine (Mouvement), s’est vivement préoccupé, quant à la mesure que nous discutons, de l’approbation qu’elle lui a paru rencontrer dans les partis extrêmes ; il en a conclu qu’elle devait tourner à leur profit, et que nous devions la repousser.

Je ne puis partager cette crainte : les partis extrêmes travaillent à s’emparer de tout ; nous les rencontrons partout, nous les rencontrons dans les élections, dans la presse, dans la garde nationale, je ne veux pas dire à cette tribune.

M. JOLY. Pourquoi pas ? (Hilarité.)

M. LE MINISTRE. Je ne m’y refuse pas ; c’est une preuve de plus à l’appui de ce que j’avais l’honneur de dire.

Nous les rencontrons partout (On rit). Partout ils travaillent à s’insinuer, à s’emparer de la force qui est devant eux. Est-ce une raison de nous méfier de tout ; est-ce une raison de renoncer à tout, aux élections, à la tribune, à la garde nationale ? Non ! non !

Que les partis extrêmes s’efforcent autant qu’ils voudront, ils seront battus partout. (Marques d’approbation.) Toutes nos institutions, par leur libre et complet développement, toutes nos institutions tourneront contre eux. Ce qui se passe depuis dix ans m’en donne la complète assurance. Que les élections se fassent, que la garde nationale agisse, que la tribune parle, que la presse écrive, que les fortifications de Paris s’élèvent, toutes ces forces tourneront contre les partis extrêmes. (Très-bien ! très-bien !) Ils y trouveront peut-être des champs de bataille, mais certainement des défaites. (Très-bien !)

Les fortifications de Paris, vous croyez que les factions s’en empareront ! vous croyez qu’elles s’y enfermeront ! elles le tenteront peut-être, messieurs, et elles échoueront, comme elles ont partout échoué jusqu’ici.

J’ai encore plus de foi que l’honorable M. de Lamartine et dans nos institutions et dans le bon sens et dans l’énergie de mon pays. Je sais que c’est une condition laborieuse, rude ; je sais qu’il en coûte d’avoir à se défendre sans cesse contre l’invasion des factions et des brouillons. Dans notre organisation sociale, il faut s’y résoudre, messieurs, c’est la liberté même ; c’est à cette épreuve que les honnêtes gens, que les hommes sensés grandissent et deviennent les maîtres de leur pays.

Soyez tranquilles, messieurs, sur les fortifications de Paris, comme je le suis sur les élections, comme je le suis sur la garde nationale ; elles seront défendues, elles seront possédées par ce même esprit de conservation et de paix, qui, depuis dix ans, à travers toutes nos luttes, a prévalu dans toute notre histoire, et qui fait notre gloire, comme notre sûreté. (Mouvement prolongé d’assentiment.)

(Une longue agitation succède à ce discours, pendant laquelle la séance reste suspendue. — L’orateur attend à la tribune que le silence se rétablisse.)